Le journalisme helvétique en danger
30 octobre 2024 | Texte: Maude BenoitEdition N°3820
Serge Michel, le journaliste d’investigation né à Yverdon-les-Bains, a ouvert la saison des conférences nord-vaudoises de Connaissance 3, l’université des seniors.
Serge Michel naît à Yverdon-les-Bains en 1969 et y habite une vingtaine d’années avant d’aller faire ses études à Genève. Journaliste d’investigation sur plusieurs continents, il a aussi occupé la fonction de rédacteur en chef du Temps, puis de directeur adjoint du Monde, pour lequel il a créé Le Monde Afrique, afin de «donner la parole aux premiers concernés», comme il le dit lui-même. En 2019, il cofonde Heidi.news, un média indépendant d’information et d’investigation suisse. Aujourd’hui, il en est le rédacteur en chef.
À l’occasion de l’ouverture de la saison des conférences organisées par Connaissance 3 dans le Nord vaudois, il est justement venu parler des caractéristiques et des entraves au journalisme d’investigation, même dans un pays comme la Suisse qui se targue d’être une démocratie exemplaire.
Un genre à part entière
Le journalisme d’investigation est un genre spécifique qui se différencie du reportage ou de l’actualité par ses recherches approfondies sur un sujet délicat et d’intérêt général, sans garantie d’aboutissement. «Cette incertitude, c’est ce qui rend ce journalisme vulnérable. Produisant moins d’articles, il est sensiblement touché par les coupes budgétaires», explique le journaliste.
Du fait de la nature délicate des sujets traités, il est particulièrement difficile pour le journaliste d’investigation de trouver des sources ou des témoignages qui alimentent la donnée de départ, qu’il s’agisse d’une fuite de documents, d’informations captées au détour d’une conversation ou de la découverte d’une anomalie dans une procédure. Ainsi, quand un article est publié, c’est que les journalistes sont sûrs de leurs informations.
Journalisme et démocratie
Le journalisme et la liberté de presse sont des fondamentaux des systèmes démocratiques qui permettent d’informer les concitoyens et de dénoncer la corruption. Si censure il y a, alors l’intégrité démocratique est attaquée.
Les entraves au journalisme en Suisse
En Suisse, où la démocratie est considérée comme idéale, le journaliste rencontre de plus en plus de difficultés pour exercer son métier. En voici les raisons.
Pour commencer, «en Suisse, contrairement à l’Union européenne, aucune loi ne protège les lanceurs d’alerte», explique Serge Michel. «Genève est l’unique canton à s’être doté d’une telle loi. Toutefois, dans les faits, elle est inutile, car les lanceurs d’alerte doivent demander à leur hiérarchie le droit de contacter un journaliste.»
De plus, l’enquête est souvent entravée par les différents secrets de fonction qui existent en Suisse. À ce titre, il est important de mentionner l’art. 47 de la loi sur les banques, qui permet au secret bancaire de subsister de manière détournée.
À noter que, depuis une dizaine d’années, les différentes administrations publiques «se sont organisées pour fermer leur parole. C’est-à-dire que, malgré le nombre important d’employés qui composent ces institutions, une seule porte d’entrée existe désormais pour le journaliste: le chargé de communication. Il faut nécessairement passer par cet intermédiaire qui doit ensuite demander à sa hiérarchie l’autorisation ou non de permettre à un journaliste de rencontrer un employé», explique le conférencier.
En outre, en Suisse, les mesures provisionnelles, ou procédures «baillon», ont été renforcées en 2022. Elles permettent à un individu de faire bloquer la parution d’un article qui pourrait lui nuire, avant même d’en avoir lu le contenu. Pour débloquer l’article, il est nécessaire de passer par une audience, entraînant des frais importants. À ce sujet, les frais d’avocat coûtent toujours plus cher aux journaux en termes d’argent et de temps.
Enfin, le dernier problème, c’est le flot constant d’informations, notamment sur les réseaux sociaux, qui noient les sujets d’intérêt public dans les calomnies et les fake news.
Une université pour les seniors
Créée il y a plus de trente ans, la fondation Connaissance 3 est l’université du 3e âge du canton de Vaud. Divisée en onze régions, la fondation propose chaque année une série de conférences diverses et variées.
En réalité, elle n’est pas réservée qu’au troisième âge, puisque c’est «une passerelle entre le savoir universitaire et la société. Elle est ouverte à tous, sans limite d’âge ni considération de diplôme», explique Benoît Roethlisberger, responsable de la section nord-vaudoise de la fondation depuis environ six ans. Connaissance 3 a pour but de «permettre aux seniors de rester des citoyens actifs, engagés et conscients des nouveaux enjeux de la société, de proposer des activités pour maintenir à flot les connaissances dans un monde en constante transition et de promouvoir la qualité de vie et la santé par des activités stimulantes et conviviales», précise-t-il.
Jusqu’en mars 2024, neuf conférences seront encore données, tous les quinze jours, le lundi après-midi à 14h30, à l’Aula Magna du château d’Yverdon-les-Bains pour ce qui concerne la région Nord vaudois.
La fondation propose également une série de cours et de séminaires enseignés soit à Lausanne, soit à Yverdon-les-Bains. Les sujets sont divers et variés et portent notamment sur l’histoire de l’art, sur les langues, la technologie et les sciences, ou encore la littérature romande.