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Le remplacement des peupliers redessine la plaine

31 janvier 2017 | Edition N°1924

Nord vaudois – Les alignements de ces arbres identiques issus de savants croisements cèdent progressivement la place à une plus grande diversité végétale. Explications.

L’inspecteur forestier Pierre Cherbuin avec, en arrière-plan, une partie des peupliers destinés à être abattus dans le cadre du projet de la Thielle. ©Ludovic Pillonel

L’inspecteur forestier Pierre Cherbuin avec, en arrière-plan, une partie des peupliers destinés à être abattus dans le cadre du projet de la Thielle.

Le Jura a ses sapins, la Grande Cariçaie, ses roseaux, et la plaine de l’Orbe, ses allées de peupliers. Ces derniers, remparts contre les caprices d’Eole, ne résistent pas toujours à la volonté de l’homme de se passer d’eux. 240 spécimens vont, ainsi, disparaître dans le cadre du projet d’envergure qui remodèlera la Thielle. Alliant protection contre les crues et renaturation, le chantier fait l’objet d’une demande de crédit de 930 000 francs de la Municipalité d’Yverdon-les-Bains, sur laquelle l’organe délibérant devra se prononcer.

«Les racines des peupliers mettaient en danger les ouvrages techniques», explique l’inspecteur forestier Pierre Cherbuin. Contrairement aux 44 noyers, dont certains exemplaires seront replantés entre le pont Kiener et le pont Rouge, les peupliers feront place à «des boisements indigènes composés d’arbustes et d’arbres implantés sur les digues de la rivière et du canal du Déversoir», indiquait la Ville d’Yverdon-les-Bains dans un communiqué.

Choisis pour leur présence efficace contre l’érosion des terres cultivées (lire le 1er encadré), leur rendement (lire le 2e encadré) et leur capacité à prospérer en milieu humide, les peupliers issus de croisements entre des souches européennes et américaines cèdent leur place à des espèces locales à chaque fois que la possibilité se présente. Non pas qu’ils constituent globalement une menace, mais en raison de la volonté de privilégier des essences associées aux zones alluviales locales. Les rideaux-abris longitudinaux comme ceux de la Thielle, au rôle protecteur contre le vent moins important, sont, quant à eux, volontiers substitués par des érables, des vernes, des chênes et des homologues de la même famille, plus intéressants en matière de biodiversité.

Cela a par exemple été le cas dans le cadre du projet mené par le Syndicat d’améliorations foncières (SAF) Mujon sur les communes de Mathod et de Suscévaz. «Les racines déformaient les chemins. D’autre part, ces arbres arrivent rapidement à maturité. Leur remplacement par des essences à la croissance moins rapide permettra de diluer les interventions dans le temps», commente le biologiste Alain Maibach.

Doit-on, dès lors, s’attendre à la disparition des alignements de peupliers identiques, emblématiques du paysage nord-vaudois ? Pas tout à fait. Comme le signalait Pierre Cherbuin il y a quelques années dans une publication : «Les réseaux de rideaux-abris contre l’érosion éolienne, soumis au régime forestier, subsisteront en terme de populiculture (ndlr : les cultures en peuplements artificiels de peupliers)».

Erigées «par des agriculteurs pour des agriculteurs», ces barrières naturelles transversales ont vu le jour, «de façon plutôt désordonnée juste avant la Seconde Guerre mondiale», précise l’inspecteur forestier. Une deuxième génération a fait son apparition dans les années 1960.

«A cette époque, des essais ont été réalisés dans une bonne partie de l’Europe. Les arbres de culture que l’on voit au nord de l’Italie sont des clônes apparentés à ceux que l’on rencontre chez nous», indique Alain Maibach. Sélectionnés pour leur frondaison efficace contre les assauts d’Eole, ils s’avèrent parfois irremplaçables. «Dans un cordon boisé, nous avons dû renoncer à planter des peupliers indigènes, car ils constitueraient un coupe-vent moins efficace», relève le spécialiste mandaté par le SAF Mujon.

Paysage modifié

Reste que la politique de diversification change progressivement le visage de la plaine de l’Orbe. «La même densité -un arbre tous les sept ou huit mètres- est conservée dans les rideaux-abris, mais la présence de différentes espèces brise le côté ordonné et géométrique des alignements de peupliers jumeaux», conclut Pierre Cherbuin.

Limiter l’impact du vent sur le sol et les cultures

Les peupliers restent très précieux, car leur houppier (ndlr : l’ensemble des branches de l’arbre situées au-dessus du tronc) favorise la circulation fluide de l’air. «Les sous-étages de buissons associés à ces arbres empêchent le vent de prendre de la vitesse, ce qui pénaliserait les cultures à proximité, en les desséchant, en freinant leur croissance et en détruisant la tourbe», indique Pierre Cherbuin.

Le réseau de rideaux-abris qui quadrillent la plaine de l’Orbe est «amélioré et renouvelé au fur et à mesure, environ tous les trente ans», ajoute l’inspecteur forestier. Bien que moins intéressante que celle des cordons boisés comprenant un mélange végétal, la valeur biologique des peupliers n’est pas inexistante. Des oiseaux comme les pics et toutes sortes d’insectes, à l’image de la sésie apiforme -un papillon imitant le frelon – trouvent refuge dans ces derniers.

«Avant d’abattre ces arbres, il faut attendre que des espèces indigènes, comme les saules, aient atteint des tailles suffisantes pour garantir le maintien de ces niches écologiques», indique Pierre Cherbuin.

Naguère transformés en allumettes

Un inventaire effectué en 1970 a révélé que le canton de Vaud comprenait 45% des surfaces dévolues à la culture des peupliers sur le sol national. La production atteignait, alors, 7000m3 par an, alors que la demande représentait 17 000 m3. Entre les années 1970 et 1980, la fermeture des usines d’allumettes -remplacées par les briquets-, et de déroulage pour les produits d’emballage au profit des matières plastiques fossiles ont sonné le glas de la populiculture, qui les alimentait. «Le peuplier reste très prisé en Europe, grâce à sa forte croissance et à son gros diamètre. De plus, c’est un bois léger et facile à travailler. En revanche, pour des raisons économiques, aucune scierie ne le transforme désormais en Suisse. Seuls les sous-produits finis ou semi-finis sont importés. Ils sont essentiellement utilisés dans la construction», relève Pierre Cherbuin. Les billes de pied des arbres abattus le long de la Thielle seront écoulées en France et en Italie pour être sciées ou déroulées. Quant aux autres parties, elles finiront en plaquettes pour des panneaux de bois ou d’agglomérés.

Ludovic Pillonel