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Le terroir, tremplin vers la réinsertion

15 juillet 2016 | Edition N°1786

Chavornay et Sainte-Croix – La Coopérative L’autre temps fête ses cinq ans cette année. Rencontre avec le directeur de cette structure pas comme les autres.

Cyril Maillefer dans la chambre froide où sont stockés les fruits et légumes destinés à être transformé et vendus. © Michel Duperrex

Cyril Maillefer dans la chambre froide où sont stockés les fruits et légumes destinés à être transformé et vendus.

Les préparatifs vont bon train dans la cuisine de La bourse aux fruits, à Chavornay. Tandis qu’une femme place des étiquettes sur des jus d’agrumes, des hommes planchent sur la réalisation de brunoises.

Affiliés à une boucherie dans une autre vie, ces locaux de la Grand’Rue ont une nouvelle vocation, sous l’égide de la Coopérative L’autre Temps, née en 2011. Cette structure, placée sous la direction du Ballaigui Cyril Maillefer, a développé un concept singulier d’insertion sociale et professionnelle, qui consiste à remettre ses collaborateurs sur les rails tout en valorisant le patrimoine.

Des bénéficiaires du revenu d’insertion ou de mesures spécifiques de l’assurance-invalidité, placés pour une durée minimale de trois mois, se succèdent au sein de la coopérative. Cette dernière accueille aussi des personnes en provenance du Centre social d’intégration des réfugiés ou qui suivent, en parallèle, des cours à l’Ecole Verso d’Yverdon-les-Bains. «Ces gens ne demandent qu’à travailler. Ils sont très motivés et deviennent vite productifs, constate Cyril Maillefer, qui est, à l’origine, éducateur spécialisé et employé de commerce. Au total, seize places sont mises à disposition pour tous les cas de figure confondus. Nous proposons également deux à quatre postes à temps partiel, qui sont attribués aux personnes ayant bénéficié d’une des différentes mesures, ou suite à un processus de recrutement.»

Hormis La bourse aux fruits, la structure nord-vaudoise comprend «Les Contes du temps», l’atelier artisanal de production d’horloges personnalisées, de recherche et d’invention de Mario Wüthrich, à Sainte-Croix. La possibilité de travailler à la ferme agroécologique de Rovéréaz, près de Lausanne, complète l’offre.

Le directeur relève, en outre, qu’une collaboration, initiée il y a peu avec la Commune de Chavornay, permet actuellement à des réfugiés de réaliser des travaux d’utilité publique rémunérés, plusieurs jours par semaine, sur une période de deux mois.

Un faisceau de partenaires

Les activités de La bourse aux fruits sont étroitement liées à plusieurs partenaires dans le domaine rural. Les agriculteurs biologiques Patrick Frey, d’Agiez, et Christian Bovigny, de Pompaples, mettent à disposition une partie du produit de leurs récoltes en échange de travaux effectués dans leurs champs. Des propriétaires privés téléphonent pour écouler les fruits de leurs vergers. Ils reçoivent parfois quelques kilos cueillis ou quelques litres de jus en contrepartie. «L’accord se conclut au cas par cas», précise Cyril Maillefer. Le séchage de fruits et de chips de légumes s’effectue dans le four de Marc Haller, à L’Abergement.

Tous ces délices du terroir sont transformés à Chavornay, puis vendus, essentiellement sous forme de jus, sirops et confitures, dans quelques commerces de la région. La bourse aux fruits va, de plus, rouvrir ses portes aux consommateurs du lundi au vendredi matin, ou sur rendez-vous, dès le 15 août.

Les prestations couvertes par le Service de prévoyance et d’aides sociales, ainsi que l’Office AI, représentent 75% du budget total de la coopérative, qui s’élève à 552 000 francs pour 2016. Les 25% restants sont presque entièrement couverts par le revenu commercial de l’épicerie du campus -l’Epicentre- de l’Université de Lausanne, reprise et gérée depuis 2013. Des mets «frais et faits maison» préparés dans le Nord vaudois -soupes bio, salades en tous genres, tartes et jus, notamment- y sont vendus. La coopérative prépare également des apéritifs pour d’autres associations.

Cyril Maillefer planche, par ailleurs, sur l’obtention du label bio pour convaincre de nouvelles enseignes de proposer les produits de sa structure. «Des collaborateurs salariés pourraient ainsi rejoindre l’équipe et créer une nouvelle émulation. Notre capacité de production peut encore être augmentée», déclare-t-il.

Le directeur souligne, en outre, qu’il est possible, pour les personnes physiques, de s’associer à ce projet social moyennant la somme de 200 francs. Les communes et les entreprises qui le souhaitent aussi débourseront, quant à elles, un paquet de cinq parts à 1000 francs.

Ces velléités de développement vont de pair avec la pérennisation du patrimoine, si chère à la Coopérative L’autre temps. Diverses publications, ainsi que des recherches sur l’usage et les méthodes de conservation des variétés anciennes et rares de fruitiers, mises en place avec L’Arboretum du Vallon de l’Aubonne attestent de la volonté de léguer un héritage dans ce domaine.

Un bon moyen de sortir de la morosité du quotidien pour les recrues de La bourse aux fruits

Nadège Monnier étiquette des jus d’agrumes. © Michel Duperrex

Nadège Monnier étiquette des jus d’agrumes.

«C’est une deuxième naissance.» Nadège Monnier ne mâche pas ses mots au moment d’évoquer son quotidien dans la coopérative. Cette quinquagénaire d’Arnex-sur-Orbe, munie d’une prothèse du genou, est dans l’attente d’une décision de l’assurance-invalidité. La bourse aux fruits qui représente, pour elle, un taux d’occupation de 50%, lui permet de beaucoup apprendre en matière de préparations culinaires, dans une ambiance multiculturelle «très agréable». De l’aveu de Cyril Maillefer, Jalel Inoubli, un autre collaborateur, arrive tous les matins à 7h30 à Chavornay, soit une heure avant le début de la journée de travail. Preuve supplémentaire de la grande motivation de cet aide de cuisine de métier au bénéfice d’une mesure de réinsertion de l’aide sociale: la prolongation de son passage pour une durée de trois mois. «Les gens que nous accueillons sont souvent marqués par un échec professionnel et marginalisés socialement. Ils trouvent ici un endroit où s’investir. Nous leur laissons beaucoup de place et d’autonomie», conclut Cyril Maillefer.

Ludovic Pillonel