«L’attention de la Municipalité est attirée sur le fait que la réglementation communale en matière de taxe de distribution d’eau ne permet pas de tenir compte de l’existence de circonstances particulières.» Telle est l’une des conclusions de la CDAP qui a admis le recours du propriétaire de halles de stockage construites sur le territoire communal. La Commune de Champagne, en application du règlement en vigueur, a facturé près de 295 000 francs de taxes d’introduction au titre de la fourniture d’eau et de l’épuration. Une facture jugée excessive par le destinataire, auquel la Cour cantonale a donné raison sur le fond, tout en écartant bon nombre de ses arguments.
Le diable se cache dans les détails. En l’occurrence, les règlements de la Commune de Champagne, entérinés par le Canton, sont similaires à ceux de nombreuses communes vaudoises. Mais il y a des cas particuliers qui nécessitent une approche circonstanciée, et au final une pondération. Ce dossier fait figure de cas d’école.
Premièrement, parce que malgré le litige, le dialogue entre la Municipalité et le propriétaire du site incriminé, les halles de stockage de la société AB Box, n’a jamais été rompu. Ce que confirme le syndic Fabian Gagnebin: «Nous sommes allés au Tribunal avec le consentement du Conseil communal. On devait trouver une solution équilibrée. Nous n’y sommes pas parvenus dans le cadre de la négociation.»
«Malgré le désaccord avec la Commune, nous avons toujours eu d’excellentes discussions. J’ai été obligé de faire recours. Le jugement de la CDAP me satisfait. J’ai juste un petit bémol: ils auraient quand même pu fixer le montant des taxes à payer», commente pour sa part Abel Demiéville, propriétaire d’AB Box.
Le cas est susceptible d’intéresser plusieurs communes. Il est passé à deux reprises devant la CDAP. La première fois, les juges ont estimé que la décision de la Commission de recours en matière d’impôts de Champagne était insuffisamment motivée. Elle s’était contentée de se référer à la réglementation communale pour débouter le recourant.
Au second tour, les juges cantonaux ont pu entrer dans le vif du sujet. En l’occurrence, la halle incriminée, d’une surface au sol de 1276 m2, compte cinq étages, consacrés essentiellement au stockage. Seuls un local destiné à l’administration (81 m2), un local technique (6,5 m2) et une douche WC (4,3 m2) font exception.
La Municipalité de Champagne a délivré le permis de construire à la veille de Noël 2018, avec une facture de 295 000 francs qui, outre les frais de procédure, comporte deux montants importants: 150 000 francs de taxe distribution d’eau et 117 000 francs de taxe égouts et épuration des eaux usées.
Ce montant représente près de la moitié de valeur du terrain sur lequel la halle est construite (630 000 francs). Il a d’autant plus surpris le constructeur, que les projets qu’il a réalisés sur quatre autres sites, dans les cantons de Vaud, de Fribourg et du Valais n’ont pas donné lieu à des facturations d’une telle importance.
Il faut dire qu’exception faite des locaux administratifs, il n’y a pas de consommation d’eau dans les locaux dédiés au stockage. Elle ne pourrait intervenir qu’en cas d’incendie, par le système de sécurité.
Dans un arrêt particulièrement détaillé, et en se basant sur des dossiers déjà traités par le Tribunal Fédéral, la CDAP est arrivée à la conclusion que, en raison des circonstances particulières, la facture était bien trop élevée. La CDAP a aussi cité un arrêt du Tribunal administratif vaudois -l’instance à laquelle la Cour a succédé- qui avait considéré que la taxe de raccordement au réseau d’évacuation des eaux claires, de 195 000 francs, calculée en fonction du volume du bâtiment, était contraire au principe d’égalité pour une serre de 90 700 m3. Le Tribunal avait alors suggéré la réduction de cette taxe de 50% pour tenir compte du fait que la serre avait été raccordée uniquement au réseau d’évacuation des eaux claires.
Dans le cas de Champagne, le recourant a soutenu que les taxes devaient se limiter aux seuls locaux susceptibles de consommer régulièrement de l’eau, soit les sanitaires. Ce qui aurait réduit le montant à payer à moins de 15 000 francs. Il soutenait en effet que le stockage ne nécessite pas d’eau, exception faite de la mise en service du dispositif de protection contre le feu.
La CDAP n’a pas suivi ce raisonnement. En effet, la location de modules de stockage permet à l’investisseur d’obtenir un rendement. C’est donc une voie médiane que la Cour a choisie, sans toutefois fixer le montant à payer. Les exemples traités montrent toutefois la voie à suivre, soit un rabattement de l’ordre de moitié.
Au passage, les juges cantonaux relèvent que si le rabais de 15% consenti par la Municipalité sur la taxe de raccordement aux eaux usées peut se fonder directement sur la réglementation communale, avec une réduction de taxe jusqu’à 70%, il n’en va pas de même s’agissant de la taxe de distribution d’eau, «la réglementation communale ne prévoyant aucune clause d’exemption ou d’exonération partielle dans ce cadre». Un brin critique, le Tribunal relève qu’il «peine à comprendre les explications de l’autorité intimée à ce propos», car le rabais de 15% a été aussi appliqué pour la distribution d’eau, sans base légale suffisante.
Cela dit, la CDAP fixe une limite supérieure au rabais: «Il apparaît d’emblée que, en regard des principes d’équivalence, d’égalité et d’interdiction de l’arbitraire, les particularités de l’immeuble en cause ne sauraient justifier une réduction de plus de 70% des taxes à la charge de la recourante pour les surface de stockage, compte tenu des avantages économiques que lui procure le raccordement.» À la Municipalité maintenant de déterminer la quotité du rabais dans cette large marge de manœuvre!
Un concept en plein développement
«On a une forte demande pour le stockage, notamment des particuliers. Les box vont de 56 francs par mois pour les petits à à plusieurs centaines de francs. Nous avons actuellement six bâtiments, dont celui de Champagne. De nombreuses demandes de location concernent des périodes courtes, de moins d’un an. Les gens ont besoin de stocker des meubles ou d’autres objets pour une période intermédiaire, suite à un décès par exemple, ou d’autres événements de la vie», explique Abel Demiéville, le patron d’AB Box.
Pour certains clients, la location d’un box est une bonne alternative à un manque de place dans un appartement ou une cave. Les tarifs sont calculés au volume (m3), et sont dégressifs.
L’entrepreneur fribourgeois s’est lancé dans cette entreprise il y a quinze ans. Il dispose de locaux à Marly (FR), Granges (FR) Vuadens (FR), Yvorne (VD), Champagne (VD) et Vernayaz (VS).
AB Box propose un concept de «self stockage». C’est-à-dire que le locataire peut accéder librement à son local de 6h à 22h, voire jour et nuit sur demande, sept jours sur sept, grâce à un dispositif de sécurité nécessitant une identification. La température et l’hygrométrie sont contrôlées.
La flexibilité constitue l’un des principaux atouts de ce système. En effet, il est possible d’obtenir un local de stockage très rapidement, pour une période courte ou longue, et le délai de résiliation n’est que de 15 jours. «Cinquante pour cent de nos clients louent les locaux pour du très court terme. C’est vraiment pour du dépannage», explique Abel Demiéville.