Ursins Un site gallo-romain de grande envergure sommeille sous la terre autour du village. Connu depuis longtemps par la communauté scientifique, il se révèle désormais au grand public grâce à la nouvelle association Pro-Ursins.
Le sous-sol d’Ursins a de nombreux secrets à dévoiler. Des secrets qui ressortent parfois au grand jour, et qui, à la longue, ont commencé à faire partie de la vie locale. Nombreuses sont les histoires au village, de ces agriculteurs qui ont déterré des morceaux de mosaïques, des monnaies ou des céramiques au moment des labours. Certains se souviennent encore de ces piliers de pierre qu’il fallait dynamiter au siècle dernier, car trop lourds et volumineux pour les retirer des champs par les chevaux, ou de ces anecdotes dans lesquelles des tracteurs s’embourbent dans des caniveaux souterrains invisibles depuis la surface.
Au fil des décennies, c’est un vaste corpus d’objets, des trouvailles fortuites, qui a été découvert sur place. Des artefacts qui ne se sont pas retrouvés là par hasard. Car sous la terre, sommeillent les vestiges d’un vaste complexe de sanctuaires gallo-romains, connus des archéologues depuis le XVIIe siècle, mais encore peu de la part de la population.
Afin de sensibiliser le public, et notamment les citoyens d’Ursins, aux richesses de ce patrimoine endormi, plusieurs habitants se sont rassemblés pour former l’association Pro-Ursins en avril 2024. Celle-ci a organisé une première conférence publique le 30 octobre dernier dans l’église du village, qui repose elle-même sur des restes de maçonneries et de soubassements gallo-romains. Un premier jalon parmi une série d’activités que prévoit déjà l’association.
«C’est une véritable chance de disposer de ces vestiges à Ursins. Nous espérons attirer l’attention du public et des chercheurs sur l’importance de ce site historique», explique Didier Bonnard, président de l’association.
Proportions extraordinaires
La conférence en question a été animée par Daniel Burdet, doctorant à l’Université de Lausanne, et Lucien Fivaz, d’Archeodunum SA, auteurs du dernier travail scientifique réalisé sur le site d’Ursins, un travail de spécialisation en master d’archéologie.
«Le site est connu depuis plus de 300 ans, explique Daniel Burdet. Mais ce n’est que dans les années 1980 que l’intérêt scientifique s’est vraiment établi, avec des fouilles dans l’église d’abord, puis grâce à la démocratisation des détecteurs de métaux, qui a permis de rassembler un corpus d’objets conséquent.»
Un autre indice majeur est arrivé encore quelques années plus tard. Des photos aériennes, prises lors d’épisodes de sécheresse des champs entourant le village, ont révélé la présence de fondations enfouies sous la terre. En plus de l’église, trois autres bâtiments se trouvaient également sur ce site. «Nous avons là trois sanctuaires aux proportions gigantesques. Seuls des sites situés dans des grands centres urbains, comme des capitales de province, peuvent rivaliser.»
Le site d’Ursins comporte trois fanums, typiques des cultes gallo-romains, comportant un bâtiment central carré, la cella, entourée d’une galerie où déambulent les fidèles, ainsi qu’un bâtiment annexe, probablement à usage laïc.
Des témoins par centaines
L’étude réalisée par les deux archéologues s’est avant tout reposée sur le vaste corpus d’artefacts retrouvé préalablement à Ursins. «Nous avons étudié environ 500 objets métalliques qui nous indiquent clairement que nous nous trouvons sur un grand site religieux.»
Les objets attestent la présence de cultes liés au dieu Mercure, très répandu dans les provinces gauloises de l’empire, mais aussi des indices indiquant la présence de la déesse gauloise Epona et de plusieurs autres divinités.
Les éléments étudiés comprennent notamment une cinquantaine de clochettes, des statuettes ou des fragments de statuaire monumentale, comme un morceau de sabot de bronze, qui devait appartenir à un taureau. «C’est très rare, remarque Daniel Burdet. On ne trouve d’autres exemples que dans les grands sanctuaires ou les grandes villes.»
En compagnie des objets religieux, les archéologues ont analysé une certaine quantité de fibules, pièces de monnaie et autres objets et outils liés aux activités thermales, commerciales et alimentaires. Des éléments qui attestent la présence de nombreuses pratiques quotidiennes, non religieuses, autour des sanctuaires.
En analysant les lieux où les objets ont été retrouvés, les deux archéologues ont pu dresser des plans du site corroborant les hypothèses dessinées grâce aux photos aériennes révélant les fondations, avec des parties religieuses, des thermes et, peut-être, des commerces, forges et auberges pour les fidèles. «Les cartes sont le degré maximum du discours archéologique que nous pouvons faire, remarque Lucien Fivaz. Car une grande partie de l’archéologie repose sur l’étude des lieux où les objets sont trouvés et dans notre cas, il y a 70% de nos éléments dont on ne connaît pas l’endroit exact où ils ont été ramassés.»
Une ville hors de la ville
Pour l’instant, les deux chercheurs proposent une période d’occupation pouvant s’étaler de l’an 0 jusqu’en 350, voire plus.
On peut se demander, en revanche, pourquoi un sanctuaire aussi important se trouve à Usins, hors d’une grande agglomération à l’époque. Pour les deux chercheurs, l’endroit propose divers avantages: «Le site offre une vue imprenable sur la plaine de l’Orbe et permet de voir les villes d’Yverdon, Orbe et le sanctuaire du Chasseron. Le complexe se trouve aussi sur un axe important pour les voyageurs entre Yverdon et le Léman.»
Des secrets enfouis à jamais?
Reste à se demander, face à un site d’une telle importance archéologique, si des fouilles pourront s’engager sur place dans un avenir proche. «C’est peu probable, malheureusement, répond Daniel Burdet. Sur tout le territoire vaudois, il y a une énorme quantité de sites archéologiques, et le Canton privilégie surtout ceux qui sont menacés de disparition à très court terme. A Ursins, l’endroit est officiellement considéré comme étant protégé. Personnellement, je pense que le site est peut-être en danger après des décennies de labours et d’érosion due aux dénivelées.»
Difficile donc de dire quand des archéologues seront mandatés pour aller creuser à Ursins. «Même sans fouiller, aujourd’hui, nous sommes capables de dire qu’Ursins s’élève au niveau des plus grands sanctuaires connus», font tout de même remarquer les chercheurs.
L’association Pro-Ursins projette, de son côté, de continuer son cycle de conférences pour promouvoir ce site d’exception. Début 2025, des panneaux didactiques seront installés autour de l’église pour dévoiler aux visiteurs les secrets qui sommeillent sous la terre autour du village.