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«Les patients le manifestent: ils veulent rester à la maison le plus longtemps possible»
Cédric Mauvernay, directeur général de La Solution. © Michel Duperrex

«Les patients le manifestent: ils veulent rester à la maison le plus longtemps possible»

30 janvier 2021

Cédric Mauvernay, directeur de La Solution, livre sa vision des quinze prochaines années dans le secteur de la santé. Une période qui sera marquée selon lui par une intensification des soins à domicile.

La Solution, basée En Chamard, a un nouveau directeur, depuis le 1er juillet 2020, et un nouveau propriétaire, depuis le 1er janvier 2021. La société, fondée en 2008 par le couple Stéphanie Cornu et Junior Santos, est désormais propriété du groupe Après-demain, dont fait partie Debiopharm, et dont le président est Thierry Mauvernay. Son fils Cédric Mauvernay, directeur de La Solution, se confie à La Région.

Quel est l’état d’esprit du groupe Après-demain, que vous représentez?

Nous souhaitons avant tout conserver l’ADN de La Solution, qui doit rester inchangé, parce que c’est l’une des raisons de sa réussite et que ses 300 employés font un travail d’accompagnement remarquable tous les jours. Les fondateurs de l’entreprise nous ont d’ailleurs aussi choisis en fonction de valeurs que nous partageons.

Lesquelles?

Tout comme La Solution, Après-demain est une société familiale, avec une vision à long terme, et une volonté de pérenniser l’activité. Nous ne sommes pas venus faire une opération financière, c’est-à-dire entrer dans une société, la restructurer, injecter un peu d’argent et la revendre rapidement en faisant un profit. Les fondateurs ont choisi Après-demain pour sa volonté d’ancrage, de conserver La Solution, de la développer.

Votre arrivée a tout de même soulevé quelques questions. Que cherche un groupe pharmaceutique en arrivant dans le secteur des soins à domicile?

C’est vrai que l’annonce de notre arrivée a soulevé quelques questions et remarques, dont certaines nous ont surpris. On nous a notamment dit: «Vous investissez pour tester vos médicaments.» Ce n’est bien évidemment pas le cas. Et ce serait impensable. Et pour cause: les études cliniques ont lieu dans le milieu hospitalier et pour l’essentiel à l’étranger. Elles ne concernent strictement aucun des patients de La Solution, qui vivent tous à domicile. Ce qui serait d’ailleurs quasiment impossible. Les critères d’inclusion des patients très stricts dans les protocoles les excluraient. La deuxième interrogation, qui nous a étonnés, c’est que nous pourrions utiliser les patients de La Solution et nos infirmiers pour vendre et distribuer nos produits en oncologie. En réalité, seul un médecin peut prescrire des médicaments, et La Solution, qui emploie surtout des infirmiers et infirmières, n’a en aucun cas la capacité de prescrire. Nous ne faisons que suivre les prescriptions des médecins. Et puis, pour vous donner un ordre d’idée, nous soignons au niveau mondial 1 200 000 patients par an au sein de Debiopharm. La Solution compte 2200 patients… Le rapport d’équilibre n’est pas le même. Je tiens donc à rassurer: ce n’est en aucun cas notre motivation. Il n’y a aucun lien opérationnel entre les deux sociétés, juste des partages d’idées et une même vision, celle d’aider les patients.

Quelle est la motivation première, dès lors?

Après-demain souhaite être présent sur la totalité de la chaîne des soins, du diagnostic au traitement, jusqu’au monitoring et au suivi des malades à domicile. Autrefois, la pharma se contentait de traiter la maladie. Aujourd’hui, elle soigne un patient. Et celui-ci ne veut pas consommer des médicaments mais retrouver un bon état de santé. C’est une approche différente, plus humaine et plus à l’écoute. Le but est de pouvoir être davantage présent dans le parcours de vie des patients, de recréer le lien qu’on a perdu quelque peu dans ce domaine. En Suisse, nous avons des acteurs de la santé fabuleux, on a tout pour bien faire, mais il y a un problème de communication, qui se manifeste au quotidien au détriment des patients et des proches aidants. Nous voulons y remédier en créant un écosystème de soins visant à une intégration des patients dans une chaîne de prise en charge totale, avec une emphase sur la gestion de la douleur. Ce n’est pas parce qu’on est malade ou affaibli que la douleur est une fatalité. Voilà notre motivation.

Vous l’avez souligné, Après-demain est un groupe familial. Comment cela se matérialise-t-il?

Le président est l’actionnaire de la société, ce qui réduit les délais de prise de décision. Et puis, travailler en famille assure une certaine proximité. Enfin, appartenir à un groupe familial comme l’est le nôtre garantit la pérennité. Nous avons une vision à long terme pour La Solution autour de laquelle nous souhaitons bâtir un réseau de prestataires de la santé, focalisés autour des trois principales fragilités qui touchent le vieillissement: la perte d’autonomie, la douleur et la dépression.

Pourquoi la famille Mauvernay s’intéresse-t-elle au secteur de la santé et investit-elle dans celui-ci? Pourquoi pas ailleurs?

Historiquement, notre famille est ancrée dans le secteur de la santé. C’est un domaine qui nous passionne, qui est notre cœur de métier et nous y avons une certaine légitimité. Dès lors, il est pour nous naturel de continuer à y jouer un rôle parce que nous pouvons y avoir un impact bien plus fort que dans n’importe quel autre secteur. Cela ne nous empêche pas de faire d’autres investissements dans d’autres domaines industriels. Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir un impact positif sur les gens. Nous voulons donner du sens à nos investissements.

Vous dites que vous avez une vision à quinze ans pour La Solution. Mais plus globalement, quelle est-elle dans le domaine de la santé?

Notre vision, c’est que, dans le domaine de la santé, les EMS vont perdre en importance. Ils étaient très dominants ces 20 à 30 dernières années, ce qui sera probablement moins le cas dans les années à venir, même s’ils conserveront une place. Les patients le manifestent: ils veulent rester à domicile le plus longtemps possible, idéalement finir leur vie chez eux. Et si ce n’est vraiment pas possible, finir leur vie en milieu hospitalier, et cela dans les derniers instants ou, pour les soins lourds, qui ne pourraient plus être assurés à domicile. Voilà un peu comment je perçois l’avenir dans ce domaine.

Vous avez un beau tableau noir derrière vous, rempli de chiffres et de calculs que l’on devine compliqués. Où est l’émotion là-dedans?

Une entreprise ne peut pas se conduire uniquement à l’émotion. L’émotion et la passion doivent nous guider, mais le travail de tous les jours doit être de l’ordre du rationnel. Et surtout lorsqu’une entreprise commence à prendre de l’importance, comme La Solution, qui prend en charge maintenant plus de 2200 patients par an, agir rationnellement nous permet de bien faire notre travail et d’assurer la qualité de vie des soignants et des patients. Mais pour vous répondre clairement, ce métier, les soins à domicile, c’est avant tout de l’empathie. Dans ce secteur, les soignants ont une écoute et une disponibilité extraordinaires. Mais parfois, ils ont aussi besoin d’en parler. Et à La Solution, nous privilégions le partage et cela à tous les niveaux, et il faudra le faire encore plus à l’avenir en incluant encore davantage les proches aidants. Afin que chacun se sente épaulé. Vieillir ou être malade ne doit pas amener à une exclusion mais on doit au contraire travailler à une inclusion plus forte.

Avez-vous des gens qui aident vos collaborateurs à gérer les situations pénibles?

On a une cellule psychologique et des répondants en interne pour évoquer, partager, relâcher la pression. Même si nos soignants sont globalement solides, il faut parfois se poser et prendre du recul. Quand vous suivez un patient pendant cinq ou six ans, vous vous attachez à lui, à sa famille… Ce n’est jamais anodin, c’est pour cela que je vous dis que dans ce métier, vous n’échappez pas à l’émotion. Nous avons toutes sortes de patients, certains que l’on visite quatre fois par jour, d’autres quasiment 24h sur 24… Ce sont autant d’histoires différentes, autant d’accompagnements différents.

 

Y-Parc, mieux que le Biopôle d’Epalinges et l’EPFL

 

Vrai Lausannois, Cédric Mauvernay avoue avoir été étonné par le dynamisme yverdonnois, en arrivant dans le Nord. «Bon, on n’est pas dans un autre pays, il faut relativiser la découverte. Yverdon est à 30 kilomètres de Lausanne seulement. Mais c’est vrai que j’ai été frappé, en toute honnêteté, par le dynamisme d’Y-Parc. Depuis Lausanne, on entend parler de ce parc technologique, mais un peu de loin, et on croit quand même que ce qui se fait à Lausanne est mieux…»

Or, Y-Parc a de vrais atouts, selon le directeur de La Solution. «A Lausanne, le Biopôle d’Epalinges et le parc de l’innovation à l’EPFL sont actuellement réservés plutôt à des sociétés high-tech, avec aussi des loyers moins abordables. Et que ce soit l’EPFL ou le Biopôle, pour un certain nombre de société, ce sont des rampes de lancement, mais l’objectif de ces institutions c’est que les sociétés s’installent durablement, sauf pour leurs incubateurs. De même, Y-Parc parvient à attirer des petits comme des grands, et à les inscrire dans la durée au travers de leur cycles de croissance.

Le Lausannois n’a d’ailleurs pas perdu au change en venant travailler dans le Nord, au niveau confort de vie. «Au contraire! J’habite Morges et je mets cinq minutes de moins sur le trajet pour venir travailler En Chamard que pour me rendre à mon ancien travail au centre-ville de Lausanne.»

Yverdon est une ville qui résonne d’ailleurs particulièrement aux oreilles de Cédric Mauvernay, puisque c’est là qu’il y a rencontré celle qui allait devenir sa femme.

 

Plus de 300 collaborateurs pour La Solution

 

La Solution s’impose clairement comme l’un des grands employeurs de la région nord-vaudoise puisque la société emploie aujourd’hui 302 collaborateurs, dont 275 temps plein. Deux chiffres en constante évolution.

«La croissance était déjà assez soutenue avant notre arrivée et nous maintenons le cap avec une progression de 15 à 20% par an. Il y a une vraie volonté de grandir, assumée et réfléchie. La raison est simple: il y a besoin d’un maillage, il faut une taille critique pour avoir des soignants disponibles 24h sur 24 partout dans le canton, sept jours sur sept.»

Cette évolution se fait en essayant de rester fidèle aux valeurs de La Solution. Tel est en tout cas le sentiment de Magali Aguirre, directrice du service à la clientèle, en poste depuis cinq ans, et qui a donc vécu la transition: «La Solution a évolué, a pris une dimension importante. Il était primordial d’accompagner cette croissance en gardant notre âme». Est-ce le cas? «Oui. La dynamique est la même, mais pouvoir bénéficier d’un apport extérieur est bon, il amène une autre vision, ce qui est toujours positif quand on parle de développement. Pour l’instant, tout se passe très bien. On grandit tout en gardant notre esprit.»

A noter que les clients de La Solution sont nés entre 1920 et 2005, ce qui veut dire que certains sont centenaires. 60% d’entre eux sont nés entre 1920 et 1940, soit la grande majorité. Rester à domicile le plus longtemps possible, telle est leur volonté.

Rédaction