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L’éviction d’un chef écœure toute la région

29 mars 2018
Edition N°2216

Nord vaudois  –  L’Organisation régionale de protection civile (ORPC) du Jura-Nord vaudois a écarté son commandant remplaçant en février. Des édiles du district dénoncent les méthodes «abusives» exercées par Pierre-Alain Lunardi, président du comité directeur.

Une convention entre le Codir et son commandant remplaçant a été signée. © Michel Duperrex

«C’est un assassinat professionnel!», dénonce un édile nord-vaudois. Comme lui, une dizaine de représentants politiques indignés par l’éviction de Claude Rutishauser ont accepté de témoigner sur cette sombre affaire, sous couvert d’anonymat.

Actif depuis plus de 27 ans au sein de la Protection civile (PCI), l’homme a été démis de ses fonctions de commandant remplaçant le 9 février dernier avec effet immédiat, par Pierre-Alain Lunardi, président de l’Association intercommunale de l’ORPC. Depuis le 1er janvier 2018, celle-ci regroupe les 73 communes du district du Jura-Nord vaudois, à la suite de la dissolution des quatre régions ORPC de Grandson, d’Orbe, de la Vallée et d’Yverdon-les-Bains.

Silence complet

Aucune explication n’a été formellement donnée aux communes par le comité directeur (Codir) de l’association – il compte neuf membres – ni par son président qui a pourtant «pris les rênes de la communication», assure-t-on. «C’est tout de même scandaleux de ne rien dire et de laisser toutes les communes du district dans le flou», s’insurge un municipal. Rancœur personnelle, complot, abus de pouvoir, comment en est-on arrivé à une telle issue, conséquence d’un contexte qualifié par certains de véritable «nid de vipères»?

Fusion des quatre régions du district

En 2014, le Conseil d’Etat a engagé un processus de modernisation de la Protection civile vaudoise, qui proposait une organisation simplifiée et réduite à dix régions. Les quatre organisations régionales ORPC de Grandson, d’Orbe, de la Vallée et d’Yverdon-les-Bains ont alors dû fusionner.

Un commandant pour Orbe et Grandson

Pour rappel, une unification technique entre Orbe et Grandson avait déjà abouti en 2012 à la suite du départ à la retraite de Philippe Duvoisin, municipal à Sainte-Croix. Claude Rutishauser avait alors été nommé pour assumer le commandement des deux entités et Raphaël Graf avait été engagé comme responsable du matériel à plein temps à Grandson. «A l’époque, nous avions demandé à l’ORPC du district d’Orbe si son commandant pouvait être aussi présent sur notre région, puisque nous savions que l’ORPC allait être restructurée sur le plan cantonal, rappelle un syndic. Au niveau de son engagement, Claude Rutishauser a rempli toutes les attentes qu’on peut espérer d’un commandant.»

Un centre névralgique

Pour mettre sur pied cette fusion, les communes ont choisi, en mars 2017, Orbe pour accueillir le siège de la future entité vu, notamment, sa «position géographique centrale». Selon plusieurs sources concordantes, Pierre-Alain Lunardi – il est également municipal PLR à Montagny-près-Yverdon – aurait voulu aménager un nouveau bureau au cœur de son village pour avoir la «mainmise» sur l’ORPC. «A Orbe, il y a tout ce qu’il faut, places de parking et fibre optique inclus, constate le syndic d’un petit village. Vexé, Lunardi l’a pris comme une attaque personnelle.»

Trois commandants pour un poste et demi

Au moment de la fusion des quatre régions, les communes devaient désigner un commandant. Qui de Vincent Zumstein (Yverdon-les-Bains), de Claude Rutishauser (Orbe) ou de Sébastien Poncet (vallée de Joux) serait chargé d’unir les forces de l’ORPC? «Les Combiers sont des montagnards, ils ont toujours su se défendre par rapport à la capitale nord-vaudoise et ils ont eu raison», affirme un représentant politique. Sébastien Poncet, de La Vallée, a en effet été désigné à la tête de la nouvelle ORPC et est entré en fonction le 1er janvier 2018. Vincent Zumstein est, quant à lui, nommé chef opérationnel et Claude Rutishauser commandant remplaçant. Pour assurer le commandement de l’ORPC, Sébastien Poncet et Claude Rutishauser ont été engagés tous les deux à 100%. Les statuts prévoyaient pourtant 1,5 équivalent temps plein (ETP). Comment justifier une augmentation de 0,5 ETP? Selon la responsable des ressources humaines du Codir, Valérie Jaggi-Wepf, le calcul se fait à partir de la masse salariale totale définie dans le budget.

«Il y a eu un assessment technique pour évaluer les compétences managériales des trois candidats, qui a été organisé par le Service de la sécurité civile et militaire (SSCM), précise Pierre-Alain Lunardi, président de l’association intercommunale. De plus, un cabinet privé a été mandaté pour procéder à des tests de personnalité. Sébastien Poncet était le meilleur candidat pour ce poste.» Et de préciser: «Je ne connaissais pas les deux commandants avant la fusion des quatre régions, c’est une toute nouvelle structure et parfois il y a des divergences possibles.»

«Qui ne veut plus de son chien dit qu’il a la rage»

La situation s’est corsée durant la nuit du 1er février, lors de l’incendie qui a ravagé le Moulin d’Yverdon. En mission, Claude Rutishauser aurait, selon les dires de plusieurs édiles, revêtu son ancien uniforme de commandant de l’ORPC d’Orbe. Selon nos sources, Pierre-Alain Lunardi l’aurait alors menacé de trois ans de prison pour «usurpation de grade». «Comment pouvait-il en être autrement, s’interroge un édile. Il n’avait pas encore reçu son nouvel uniforme.» «Après 27 ans de bons et loyaux services pour la PC, il s’est senti profondément blessé», poursuit un homme politique.

Par ailleurs, le fait que le quinquagénaire ait fumé sa pipe sur les lieux du sinistre aurait déplu au président du comité directeur. «Est-ce qu’on vire quelqu’un pour ça?», lâche un élu PLR. Et d’ajouter: «Qui ne veut plus de son chien dit qu’il a la rage.»

Interrogé, Pierre-Alain Lunardi ne veut pas répondre «par respect» pour Claude Rutishauser et précise que la «collaboration a été rompue d’un commun accord». Ce que Valérie Jaggi-Wepf confirme avec fermeté: «Cette convention est strictement confidentielle».

Quant aux menaces qu’il aurait proférées contre son commandant remplaçant, Pierre-Alain Lunardi répond: «Je ne suis pas un juge au Ministère public. Je ne peux pas menacer qui que ce soit.»

Le chef du Service de la sécurité civile et militaire (SSCM) Denis Froidevaux a été informé des «difficultés de collaboration» entre Claude Rutishauser et le président du Codir. «Nous avons appris que cet ancien candidat au poste de commandant aurait eu un comportement inadéquat. Nous ne sommes pas du tout intervenus dans ce processus puisque c’est l’autorité décisionnelle de l’association qui gère la situation », indique-t-il. Et d’ajouter, sur le ton de la plaisanterie: «Si vous cherchez un coupable, ce n’est pas nous.»

Une assemblée extraordinaire convoquée

Selon nos sources, la Commune d’Onnens a envoyé un courriel aux membres de l’association pour convoquer une assemblée extraordinaire, afin d’obtenir des explications. Contacté, le syndic Alain Portner n’a pas voulu s’exprimer. Pour l’heure, cette séance n’a pas eu lieu. Selon les statuts de l’ORPC, le Conseil intercommunal se réunit lorsqu’un cinquième de ses membres en fait la demande. Selon plusieurs sources, Onnens aurait obtenu le soutien de plus de 18 communes du district.

«Le mieux serait de changer les membres actuels du Codir et de désigner d’autres personnes, commente un représentant politique PLR. Mais on ne pourra jamais réparer le tort moral infligé à Claude Rutishauser.» Contacté, celui-ci n’a pas souhaité répondre à nos questions.

«Claude nous manque»

«On nous a juste annoncé qu’il ne travaillait plus au sein de l’ORPC et qu’il avait démissionné d’un commun accord, mais je n’en sais pas plus», révélait Marc*, astreint de la protection civile en mission dans la région d’Orbe, jeudi dernier. Pas le temps d’en savoir plus car la discussion a été interrompue par l’arrivée de Vincent Zumstein, chef opérationnel de l’ORPC, qui a refusé catégoriquement de communiquer sur ce sujet.

Quelques jours plus tard, Basile*, un autre astreint également en mission à Orbe, confiait regretter le départ du commandant: «C’était un homme remarquable, il avait du charisme et il était respecté de tous. Les autres, à côté, ce sont des petits chatons. A mon avis, l’enjeu est politique. Mais, Claude nous manque.»

Président du comité directeur de l’ancienne organisation régionale de protection civile du district d’Orbe de 2002 à 2009, le syndic de Vallorbe Stéphane Costantini a appris «avec stupeur» la nouvelle. «J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui, se souvient-il. C’est un homme loyal, compétent et travailleur, c’est tout ce que je peux dire.» Selon un autre syndic, le commandant était «un meneur d’hommes hors pair, qui a toujours su être proche de ses soldats».

*Noms d’emprunt

Histoire pipée d’avance?

A la Vallée, les trois communes redoutaient la nouvelle fusion, car la région est «éloignée» du district, assure-t-on. Engagée en juin 2014, la commandante de l’ORPC vallée de Joux Sarah Poncet – elle a accompli une carrière à l’Armée – a démissionné de ses fonctions qu’elle remplissait d’abord à 50% puis à 60%. «En septembre dernier, elle a choisi de se consacrer à sa famille», explique Bernard Rochat, municipal au Lieu et membre du Codir. La personne désignée pour la remplacer n’est autre que son mari, Sébastien Poncet. «On a eu des difficultés à trouver quelqu’un pour assurer la sécurité à la Vallée, poursuit l’édile. Mais nous sommes contents qu’un Combier – il a effectué une brillante carrière militaire – intègre le sérail officiel de l’ORPC.»

«A trois mois d’une fusion, je trouve étrange que ce père de famille ait postulé pour un temps partiel, alors qu’il était engagé à plein temps pour une entreprise de sécurité privée et qu’il n’avait aucune expérience dans le domaine de la PC», s’étonne un édile nord-vaudois. «Toute cette histoire était pipée d’avance pour évincer Claude Rutishauser», renchérit un collègue. Selon plusieurs témoignages, il semblerait que le chef opérationnel Vincent Zumstein soit le parrain de l’un des enfants de la famille Poncet.

Président «narcissique»

Avec les «vieilles casseroles» que traîne Pierre-Alain Lunardi derrière lui, une question taraude plusieurs édiles nord-vaudois: «Comment cet homme a-t-il pu être élu à la présidence du comité directeur de l’association intercommunale?»

En 2010 déjà, le spécialiste en sécurité publique avait créé la polémique, alors qu’il était chef de l’assistance au Centre d’enregistrement de requérants d’asile à Vallorbe. «C’était un manipulateur et il faisait régner la terreur», se souvient un ancien collaborateur du centre. Selon la presse de l’époque, Pierre-Alain Lunardi avait été accusé de «mobbing et de racisme» et avait été licencié par son employeur, à la suite d’une lettre du personnel qui dénonçait ses agissements. Une plainte pénale avait d’ailleurs été déposée par l’un de ses collègues. L’homme donnait pourtant l’impression d’un chef à «visage humain» dans le film «La Forteresse» de Fernand Melgar.

Rebelote en août 2013, lorsque la Ville de Neuchâtel avait annoncé son engagement au poste de commandant du Corps de police. Pierre-Alain Lunardi y avait renoncé trois semaines plus tard en raison d’une erreur dans son CV. «C’est un narcissique qui abuse de son pouvoir», soutient un Nord-Vaudois.