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L’héroïne de fiction Mystéria doit se retirer du marché
© Michel Duperrex

L’héroïne de fiction Mystéria doit se retirer du marché

13 janvier 2022

Blâmée à cause de son nom, la justicière masquée pour enfants Mystéria doit changer d’identité. Clarisse Bauwens, l’auteure de Bonvillars, raconte cet accroc bloquant un départ littéraire pourtant fulgurant.

«Pour un auteur auto-édité sorti de nulle part, les ventes vont bien. J’étais tellement contente, cette baffe qui m’arrive dessus est très violente», avoue Clarisse Bauwens, la créatrice de Mystéria. Cette héroïne de fiction connue et adorée des jeunes lecteurs de la région est face à un dilemme de taille. Elle va devoir abandonner son nom d’enquêtrice mystère et changer d’identité…

Depuis juin 2021, nombreux sont les enfants et les élèves qui connaissent le personnage de Mystéria, jeune inconnue qui a déjà résolu deux enquêtes sous son masque de super-héroïne. Elle est le fruit de l’imagination de Clarisse Bauwens. Après un grand voyage autour du monde et à la suite de ses études de criminologie, l’auteure et grande amatrice de sport se lance dans l’écriture de romans jeunesse.

Son premier livre, soit le tome 1 des aventures de la protagoniste Mystéria, fait un carton. Elle enchaînera rapidement avec un deuxième opus, joint comme le premier à des cahiers pour enfants. Une fois ces deux tomes écrits et publiés, l’auteure est invitée dans les écoles pour faire la promotion de ses livres et donner des cours d’écriture aux enfants. Les retours des professeurs et des parents sont unanimes: Mystéria a (re)donné le goût de la lecture aux enfants. Avec deux livres sortis en moins de deux ans, l’auteure de Bonvillars, nourrie par une motivation grandissante pour la création de son univers, vend plus de 850 livres en six mois.

Mais voilà qu’un mystérieux message vient entacher l’euphorie de cette fin d’année de succès. Il y a un mois, l’auteure est contactée, via Facebook, par un Français qui évolue également dans le milieu de la littérature jeunesse. Il a déposé un brevet au nom de «Mysteria» en 2019 en France. Son souhait: que l’auteure nord-vaudoise d’origine belge «fasse le nécessaire», soit abandonne le nom de son personnage et retire ses livres du marché. Lorsque Clarisse Bauwens lui répond pour tenter de le contacter et d’en discuter, ses messages se trouvent sans réponse.

«Il a déposé un concept Mysteria abstrait lié à la littérature, il n’écrit pas de livres pour enfants. Ce sont des lettres pédagogiques, mais en tapant Mysteria sur Internet, on ne le trouve pas tout de suite. Ce n’est pas du tout la même chose, sauf qu’il a enregistré sa marque dans le même registre que moi, soit sous littérature.» Perplexe, la voyageuse ne comprend pas cette démarche. «C’est comme si nous étions sur la même montagne, mais lui sur la face sud en plein soleil, et moi sur la face nord en train de me les geler! J’aurai aimé négocier avec lui et qu’on continue à s’amuser sur la même colline.» Pour Clarisse Bauwens, les lecteurs respectifs des deux créateurs de Mysteria n’auraient jamais pu être confus, puisqu’il ne s’agit pas du même public, ni du même concept.

«Ce sont quatorze mois de travail mis à la poubelle. Après discussion avec des avocats, le verdict est tombé vendredi passé. Je n’ai à peu près aucune chance de gagner», témoigne Clarisse Bauwens. Si celui qui a fait protéger le nom Mysteria n’a entamé aucune procédure officielle contre Clarisse Bauwens, celle-ci a préféré anticiper, malgré l’absence de réponse de l’homme. «Je n’ai pas de délai fixe pour retirer le nom, mais plus j’attends, plus je risque qu’il me retombe dessus avec des demandes de frais ou autres.» Pour l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle à Genève (OMPI), contactée hier par La Région, «le droit d’auteur est plus léger que pour les marques, mais c’est plus compliqué que cela. C’est déterminé au cas par cas et c’est à un juge de trancher.»

Car le problème n’est pas tant le nom du personnage en soi, mais l’utilisation d’une marque déposée à des fins commerciales, puisque Clarisse Bauwens vend ses livres mais également toute une série de goodies associés (tasses, cahiers…) «C’est tout un concept. Tout un univers pour les enfants. Et ce n’est pas une option d’abandonner cela.» Et pourquoi ne pas changer le nom d’une lettre, d’un accent ou de le décliner en un jeu de mots? «Ce n’est pas possible, c’est la phonétique qui compte », assure Clarisse Bauwens qui avait pensé à ce subterfuge.

Au-delà d’une perte financière due au retrait des livres, surtout en début de carrière, Clarisse Bauwens souligne d’autres conséquences. «C’est quatorze mois à faire en deux mois donc beaucoup de larmes versées et d’heures de sommeil en moins. Mais surtout, Mystéria aborde des thématiques importantes qui ont permis de sensibiliser les enfants ainsi que les enseignants et les parents au harcèlement scolaire et à la pollution par exemple.» Mais aussi des conséquences professionnelles à plus long terme. «Si je veux passer à l’édition classique par la suite, aucune maison d’édition ne voudra me prendre s’il y a un litige avec Mystéria.»

Si ce cas de figure pouvait être évité au préalable, les titres d’œuvres, que ce soient des films ou des livres, peuvent tout à fait être utilisés plusieurs fois. «On ne peut pas monopoliser complètement un titre, cela limiterait beaucoup trop les choix», explique l’OMPI, à Genève. «Dans le cas d’un titre d’œuvre littéraire avec une marque, c’est possible, mais nous avons très rarement entendu parler d’une marque en conflit avec un livre!»

Et si les maisons d’édition jouent un rôle pour prévenir et conseiller les auteurs, ce n’est pas le cas pour ceux qui recourent à l’auto-édition. «Il y a une base de données avec beaucoup de marques protégées Mysteria, mais pas en littérature. En débutant, c’est très difficile de s’y retrouver, et personne ne le vérifie par la suite. Je n’ai pas voulu protéger Mystéria car cela ne me gène pas si quelqu’un d’autre l’utilise. Mais je n’ai pas pensé qu’à l’inverse, cela dérangerait une personne qui l’utilise déjà», explique Clarisse Bauwens, qui a désormais retenu la leçon et souhaite faire protéger le prochain nom de son héroïne.

Pour ce faire, elle devra déjà modifier les deux premiers tomes de ses livres, les couvertures et le contenu, tout en expliquant à son lectorat la raison de ce changement. «Je ne sais pas comment les lecteurs qui ont déjà lu les deux premiers réagiront, s’ils comprendront ou seront déçus. J’avais pensé à écrire une histoire autour de cette transition, mais ça ne changera pas le problème pour les tomes 1 et 2 qui doivent être modifiés.»

Malgré tout, l’auteure, qui a déjà terminé le 3e opus de sa série de livres, reste positive. «Mon option c’est l’imagination. Dans ce monde, on fait ce qu’on veut, ce n’est pas le souci. C’est juste dommage de devoir se prémunir contre ça et de recourir à des avocats.» Et cette première mésaventure de début de carrière littéraire ne l’arrête pas pour autant. «Ça ne m’a pas démotivée, c’est sûr et certain. Ça a plutôt réveillé la lionne en moi qui se reposait dans son monde de bisounours», assure avec un sourire persistant celle qui doit «tuer» son héroïne et reste dans l’attente de confirmation pour un nouveau nom.

Si ce cas de figure semble plutôt isolé dans le milieu de l’édition, une chose est sûre, cela a permis à Clarisse Bauwens de prendre du recul sur le milieu dans lequel elle a été projetée plus rapidement que prévu. «Entre auteurs, nous ne sommes pas concurrents, on est tous ensemble, solidaires, on se soutient. On évolue vers une entraide d’auteurs, car un lecteur ne lit pas un seul livre! C’est pour ça que je suis triste et ne comprends pas la démarche de ce monsieur qui prône la lecture pour la jeunesse parce que c’est ce que Mystéria fait, on a les mêmes valeurs!»

Mais cette expérience a au moins l’avantage de faire garder les pieds sur terre à celle qui souhaite vivre de sa plume dès l’année prochaine. «C’est ça qui est traître, c’est qu’on est écrivains, donc dans l’imaginaire. On n’est pas vraiment dans le vrai monde finalement et, tout d’un coup, il nous rattrape! philosophe l’auteure en riant. Le retour à la réalité est un peu sauvage, surtout après dix-neuf mois de voyage. On n’est revenus qu’en novembre donc on est toujours un peu dans notre voyage de rêve…», ajoute-t-elle, pensive. Et de conclure, déterminée: «Mais Mystéria a surmonté des obstacles bien pires que ça! Tout va continuer.»

 

Elle organise une «vente flash» pour écouler 250 livres

 

Pour écouler son stock de 250 livres encore affublés du nom «Mystéria» le plus rapidement possible, l’auteure Clarisse Bauwens lance une vente flash. Des packs duo avec le tome 1 et 2 sont donc disponibles à la vente à -40% en Suisse depuis lundi, notamment pour les écoles, mais aussi pour les particuliers.

Pour acquérir un de ces packs avant épuisement du stock, commander sur:
www.clarissebauwens.com ou au 076 396 07 90.

 

Mystéria, un prénom fictif qui comporte un indice

 

Mystéria est, comme on l’imagine, un nom qui fait référence au mystère, notamment celui de l’identité de l’héroïne, mais pas seulement. Derrière ce nom fictif se cache une énigme que l’auteure a pris soin de dissimuler pour pousser l’enquête au-delà du récit. Dans le prénom Mystéria est caché un indice lié aux lettres qui le composent. Cet indice permet de trouver l’identité de la personne cachée derrière le masque turquoise de l’aventurière qui reste pour l’heure anonyme. «La première idée qui vient à l’esprit n’est généralement pas la bonne et la solution est un peu plus farfelue!» s’amuse la criminologue et auteure Clarisse Bauwens.

Léa Perrin