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L’incroyable histoire de la discothèque d’Arnex

28 novembre 2013

Le livre s’est définitivement refermé après plus de 35 ans. On ne dansera plus jamais à Arnex, dans les locaux des anciens légendaires Cash-Box, Arthur’s ou Why not ? Retour sur les plus belles années de l’établissement avec les deux premiers propriétaires des lieux.

Les soirées étaient festives à Arnex. Le disc jockey Christian Oulevay (au centre) ne dira pas le contraire.

Les soirées étaient festives à Arnex. Le disc jockey Christian Oulevay (au centre) ne dira pas le contraire.

Une Lausannoise racontait, il y a quelque temps et avec une pointe de nostalgie, qu’elle connaissait Arnex, car elle allait y danser dans sa jeunesse. C’était il y a une trentaine d’années, au Cash-Box. Cette discothèque de campagne, devenue l’Arthur’s puis le Why Not ?, si différente des autres, et dont l’histoire a été marquée par les luttes avec la Commune, qui n’en voulait pas, et une popularité hors norme, bien au-delà des frontières de la région.

De Michel Delpech à Boney M, en passant par Patrick Hernandez, Imagination ou Indra, la liste des célébrités qui s’y sont produites est révélatrice de la dimension qu’avaient acquis les lieux, dans ce petit village du Nord vaudois.

Une incroyable histoire qui a pris fin l’an dernier, quand le Tribunal fédéral a donné gain de cause à la Commune arnésienne, dont le combat a duré 35 ans. Il y a quelques jours, comme le précisait L’Omnibus, le locataire a dû débarrasser son matériel, suite à une ultime décision du Tribunal des baux.

Une histoire d’amour et de haine. On ne compte pourtant pas les témoignages émus de ceux qui ont vécu les grandes années de la discothèque, celles qui ont fait sa réputation. «Parce que, même si je n’aime pas trop le dire ainsi, reconnaît Dominique Mottas, on avait peut-être un peu d’avance.» Le créateur du Cash-Box avait eu du flair, son établissement avait rapidement marché du tonnerre. «Les copains y travaillaient, ils faisaient venir les leurs et ainsi de suite. C’était rapidement devenu the place to be, comme on le dirait à présent.

La disco du village attirait les fêtards d’Yverdon, d’Echallens, de Cossonay, de la vallée de Joux et, donc, même une clientèle lausannoise, neuchâteloise et genevoise.

Une longueur d’avance

Un statut de précurseur qui a perduré avec les années et les changements de nom, jusqu’au début des années 2000. La recette ? La disco d’Arnex était l’un des premiers établissements romands à proposer une multitude d’animations, comme à Paris. «On avait des magiciens, des sosies, des défilés de lingerie et plein d’autres spectacles», énumère Yves Faivre, alors directeur.

C’est en se disant «pourquoi pas ?», en anglais, à chaque proposition énoncée que le nom de Why Not ? Et son fameux point d’interrogation rose se sont finalement imposés à Claude-Alain Thomann et ses acolytes. Propriétaire des lieux depuis 1988, il est resté à la tête de l’établissement (avec quelques ventes et rachats entre-temps) jusqu’au milieu des années 2000. «Je ne changerais pour rien au monde toutes ces années. Je peux en parler des jours et des nuits», lâche-til, en explorant sa mémoire.

La discothèque d’Arnex-sur-Orbe est définitivement fermée.

La discothèque d’Arnex-sur-Orbe est définitivement fermée.

Il se souvient du monde de la nuit de l’époque, certainement plus facile qu’à présent. Un sentiment que partage son prédécesseur, Dominique Mottas : «C’était beaucoup plus insouciant, plus bon enfant, estime ce dernier. Les gens venaient pour se divertir et faire la fête. Aujourd’hui, les jeunes vont pour s’éclater, c’est complètement différent, à mon sens. Comme s’ils sentaient, au fond d’eux, que le futur ne sera plus aussi beau.»

Que ce soit au Cash-Box, à l’Arthur’s ou au Why Not ?, ils étaient 600, 700, 800 (et même jusqu’à 920 une fois !) à investir, chaque soir de week-end, les marches de la discothèque en étages. Elle aura été un tremplin pour les uns, une éternelle source d’ennuis pour d’autres, mais elle a incontestablement marqué plusieurs générations. Dans la région d’Orbe, bien sûr, mais aussi bien plus loin à la ronde, jusqu’à Patrick Bruel, l’un des clients les plus prestigieux accueillis par l’établissement durant ses grandes années.

Des moments dont il reste les récits qui se transmettent aujourd’hui encore. Et probablement pour longtemps.

 

Le retour au calme

Depuis le milieu des années 2000, les exploitants et les noms se sont succédé à la vitesse grand V à Arnex. Le K-Ré Blanc, l’Euphoria, le Rimini, rien n’a bien marché. De quoi réjouir Max Débieux, le syndic du village depuis 16 ans. «Le village va retrouver sa tranquillité», se réjouit-il, après s’être battu pour cela durant de longues années, comme son prédécesseur. Alors que le propriétaire actuel des locaux vit au Maroc, l’édile espère qu’ils seront vendus et transformés en appartements.

 

Ces instants qui ont forgé sa légende

La naissance – 1976

L’Urbigène Dominique Mottas fréquente les bals de campagne dans les salles des villages du Nord vaudois. Des lieux pas toujours bien équipés à ses yeux, étant donné le caractère épisodique des bals. Avec ses amis, il se met à passer de la musique, notamment à Arnex. Alors que l’on vit les débuts du disco en Europe, il obtient une autorisation de la Commune et y développe les prémices de sa discothèque. C’est là que commencent les remous avec la Municipalité, qui ne veut pas des nuisances, débuts de plus de 35 ans de bataille. En achetant un des dancings de Vallorbe, en le transformant en pub, le jeune homme de 18 ans récupère une licence et l’utilise pour Arnex, où il bénéficie de la clause du besoin (article qui limitait le nombre d’établissements dans un certain rayon). Il choisira de baptiser la discothèque le Cash-Box en référence au hit parade américain du même nom. En 1986, elle deviendra l’Arthur’s, se basant sur la légende du roi.

La reprise – 1988

Le changement de propriétaire de 1988 est lui aussi le fruit d’une sacrée histoire, dont très peu de monde est au courant. Client régulier de l’établissement, Claude-Alain Thomann, lui aussi urbigène, se rend un soir, avec une bonne vingtaine d’amis, à Arnex. Il tente alors de négocier le prix de l’entrée, qu’il estime trop cher pour tant de monde. Le directeur de l’époque, Yves Faivre, refuse catégoriquement d’accorder une exception. Encore vexé d’avoir dû payer la totalité du prix d’entrée, Claude-Alain Thomann lance, dès le lendemain, à Dominique Mottas : «Tu la vends combien ta discothèque ?» Quelques temps plus tard, le premier cité devient le nouveau propriétaire des lieux. Alors que tout le monde imagine qu’Yves Faivre, qui avait tenu tête à Claude-Alain Thomann à l’entrée de la boîte, sera viré, les deux hommes se lient d’amitié. Ils travaillent encore ensemble aujourd’hui… «Yves avait raison, reconnaît aujourd’hui Claude-Alain Thomann. Ma réaction de l’époque était lamentable.» Mais elle a changé l’histoire.

Le vingtième anniversaire – 1996

Depuis le début des années 90, l’Arthur’s est devenu le Why Not ?, un nom qui marquera fortement toute une génération. Pour les 20 ans de l’établissement, une fête de cinq jours est organisée avec, chaque soir, une affiche exceptionnelle. Boney M est notamment présent. Comme pour les Girons, les Jeunesses campagnardes viennent sur place avec leurs roulottes pour passer la totalité de la fête dans le village, dans l’ambiance qu’on imagine.

Les afters Johnny – fin des années 90

Fan convaincu de Johnny Hallyday, Claude-Alain Thomann décide de repasser au Why Not ? Les meilleurs disques du rockeur, comme à l’époque du Cash-Box, en toute fin de soirée. Cela se déroule vers 4h du matin, à la fin des années 90, pour lui et quelques-uns des plus assidus. Ils se comptent d’abord sur les doigts de la main, puis deviennent une dizaine, une vingtaine… «Au final, tout le monde restait jusqu’à la fermeture pour écouter du Johnny. Les gens ne voulaient plus partir, se souvient-il. Il a fallu arrêter, car on finissait à 500 personnes à 8h du matin !»

La «Tribunal Disco» – 2010

En décembre 2010, la Cour de droit administratif et public visite les lieux, fermés depuis 18 mois. Elle doit trancher dans le différend qui oppose la Municipalité au nouveau locataire des lieux. La Commune n’a, en effet, pas délivré le permis d’exploitation et les problèmes de nuisance sont, comme depuis toujours, au coeur du conflit, alors que le nouvel exploitant a déjà investi, selon lui, pour près de 400 000 francs dans des travaux et payé deux ans de loyer en avance. Il souhaitait alors nommer son établissement… «Tribunal Disco».

Manuel Gremion