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Luc Marelli «cherche des traits pour dire la nature»

19 décembre 2020

Jusqu’en janvier, Luc Marelli investit la galerie Kaminska & Stocker avec ses œuvres abstraites, à la croisée du néo-expressionnisme et du primitivisme flamand. L’artiste s’est confié à notre correspondante sur son parcours de vie et son irrémédiable besoin de peindre, de l’urbain au bucolique.

Genève, un après-midi brumeux. Le café du Rond-Point, pittoresque imitation d’une brasserie parisienne, semble avoir été conçu pour les peintres, les poètes, les flâneurs ou les curieux dans mon genre, qui traquent les secrets de la création. Une voix, depuis la table de derrière, cherche à attirer mon attention. Il est déjà là – nous nous sommes presque ratés. À la fois haut en couleur et nonchalant, Luc Marelli se fond tellement bien dans l’ambiance qu’il semble être assis là depuis toujours. Avant même qu’il ne l’évoque, ce je-ne-sais-quoi de Berlin lui colle à la peau. À première vue, il est un parfait artiste cosmopolite qui a tout vu, tout entendu. Mais ça, c’était avant le retour aux sources, à la nature.

Le Suisse, d’origine italo-allemande, né à Athenaz (Genève), expose ses œuvres à la galerie yverdonnoise Kaminska & Stocker. Et il en profite pour renouer avec la capitale nord-vaudoise, ayant déjà exposé une série de gravures au musée historique dans les années 1980. L’artiste est aussi un féru des bains thermaux.

Du côté créatif, il s’enthousiasme pour la flore locale: «J’aime les jardins d’Yverdon, tout particulièrement le parc d’Entremonts. Il y a de très beaux arbres anciens, qui sont une source d’inspiration. Ce serait l’endroit idéal pour mener un atelier à l’air libre!» Fruits d’un long parcours, les tableaux à l’honneur chez Kaminska & Stocker sont inspirés de périples en Scandinavie. Lithographe, professeur, décorateur de théâtre, Luc Marelli a exploré de nombreux champs créatifs, pour revenir inlassablement à la peinture.

Pourquoi avez-vous commencé à peindre? «La question est mal posée, rétorque l’artiste. J’ai toujours peint. Je dirais plutôt: pourquoi ne me suis-je jamais arrêté? C’est devenu mon moyen d’expression privilégié, qu’il s’agisse de peinture ou de dessin. »

Nous sommes dans les années 1980, en plein mouvement néo-expressionniste: «Jeune, j’étais frustré de la peinture et de son milieu à Genève. Je suis donc rapidement parti faire un apprentissage de lithographe à Munich. Là-bas, je suis entré en contact avec des artistes professionnels, relativement renommés. Plus qu’à travers les livres de peinture, j’ai été très influencé par ces gens que je côtoyais. Ensuite, après un bref retour en Suisse, je suis reparti à Berlin. Là-bas, j’ai également rencontré des personnalités très intéressantes, dont Mathias Wiltz, qui m’a beaucoup influencé formellement. Pigments, colle: j’ai appris de lui des techniques dites pauvres. À l’époque, nous travaillions nos pigments nous-mêmes.»
Grandes villes aux milliers d’artistes, jeunes talents ambitieux à tous les coins de rue, la scène allemande est plus compétitive qu’en Suisse. «Je suis allé à Berlin dans l’état d’esprit ça passe ou ça casse. Je voulais me confronter au terrain. Je savais que c’était la ville où j’allais pouvoir rencontrer le plus d’artistes vivants intéressants. Finalement, ça a passé, mais pas sans peine.»

Si les métropoles effraient et fascinent à la fois, leur trop-plein finit par appauvrir l’esprit. «Depuis environ trente ans, j’ai abandonné les villes. Je travaille dans la nature. Je n’ai pas d’atelier au sens classique du terme. Il s’agit simplement d’un avant-toit itinérant, que je balade au fil des inspirations. Même au mois de novembre, où la lumière est très belle, je travaille à l’extérieur. Je n’ai pas peur du froid; il n’y a pas de mauvais temps, que de mauvais habits», confie le peintre, un sourire en coin.

Un jour, il sait qu’il reviendra à des représentations « plus sales, plus urbaines», qui rendent mieux sur un dessin. Mais pour l’instant, il profite de ses escapades en nature. Dans son processus de création, la balade joue d’ailleurs un rôle fondamental: «Je marche beaucoup dans la forêt. Tous les chemins mènent, à chaque fois, à une perception nouvelle des choses et du quotidien.» Et d’ajouter: «Dans la nature, le sujet se forme petit à petit. C’est un signe à trouver. Un mouvement qui commence à s’esquisser par lui-même et dont je m’empare. Les mousses sur les arbres, les boulots qui, grâce à leur écorce, ont leur propre écriture… C’est magique. »

Celui qui expose régulièrement ses toiles dans cette même nature cherche avant tout un sentiment de symbiose: «Pour moi, la peinture est une association de mouvements, de signes et de couleurs. En partant de cela, j’essaie de trouver ma piste. La peinture ne se fait pas par moi, mais avec moi.»

«Mon travail est assez long et méticuleux. Un tableau peut me prendre jusqu’à deux ans. Il m’arrive d’abandonner une toile parce que la lumière de l’extérieur a changé en cours de route. Puis j’y reviens un an plus tard, lorsque la bonne lumière est à nouveau là.»

Luc Marelli a toujours une trentaine de tableaux en cours. Ils naissent puis croissent sans hâte, au rythme des saisons. « Grâce à la nature, j’ai abandonné le descriptif. Cette dernière offre des mouvements très propices à l’interprétation. Lorsque je peins une feuille, par exemple, je peins avant tout son mouvement. Je cherche des traits pour dire la nature, au lieu de la décrire. Je suis les lignes extérieures, mais aussi intérieures, celles que mes sujets évoquent en moi, mes ressentis.»

 

«Faire de la peinture, c’est forcément politique»

Plus matérialiste que conceptuel, le peintre est aussi artisan: «Je prépare mes toiles moi-même. Il y a une série de jus blancs pour imperméabiliser, ensuite j’applique des huiles. Au final, j’offre à voir un objet total. » Un tout, aux formats parfois grandioses, qui semble enrober celui qui le regarde. «J’aime que mes spectatrices et spectateurs soient confrontés à quelque chose de frontal, d’englobant. Le tableau n’existe que face à des spectateurs.»
Au-delà du sentiment, des impressions transmises, un message à faire passer? «Faire de la peinture, c’est forcément politique. Plutôt que passer la journée face à un ordinateur, on choisit une autre voie. Et c’est un acte difficile que de se retirer pendant six mois, par exemple, sans gagner d’argent, pour se consacrer à la peinture. C’est une prise de risque – le résultat est toujours incertain. »

Infos pratiques

Expo prolongée: Les œuvres de Luc Marelli et du sculpteur de Max Roth sont à admirer à la galerie Kaminska & Stocker (mercredi – samedi, 14h-18h30). L’exposition continuera jusqu’à la mi-janvier, mais sur rendez-vous. Pour cela, il suffit d’appeler au 077 443 99 85 ou au 077 410 81 66.

Daniella Gorbunova