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Menace persistante sur les producteurs de lait

26 novembre 2015

Nord vaudois – Les agriculteurs ayant misé sur la filière du lait sont découragés par le prix peu élevé de cette matière première. Ils vont participer à une manifestation organisée par l’Union suisse des paysans, demain dans la capitale, pour défendre leurs intérêts.

Les élevages de vaches laitières sont menacés par la baisse du prix du lait. © Michel Duperrex

Les élevages de vaches laitières sont menacés par la baisse du prix du lait.

La ville de Berne sera le théâtre, demain, d’une importante manifestation du monde paysan en réaction à la coupe de 94 millions de francs que prévoit le Conseil fédéral dans le budget 2016 dévolu à l’agriculture. Les producteurs de lait, déjà réunis dans la capitale le 22 octobre dernier, seront, naturellement, du voyage, à l’image de Vincent Wasser. Employé agricole dans une exploitation laitière d’Ependes, il a à coeur de se montrer solidaire de ses collègues helvétiques, lui qui sort d’une expérience douloureuse dans la filière laitière en France voisine. «La crise de 2009 a donné le coup de grâce au domaine que je gérais avec ma femme. Nous avons été condamnés à vendre. Nous y avons laissé beaucoup d’argent, mais, surtout, beaucoup de nous-mêmes », déplore celui qui avait un rôle actif dans la défense des intérêts des producteurs de sa région.

Qu’ils soient implantés en France ou en Suisse, les agriculteurs affiliés au marché du lait sont engagés dans le même combat. Ils font face à la pression des acteurs de la transformation et de la distribution, euxmêmes tributaires des fluctuations de l’offre et de la demande à l’échelle internationale.

Perte d’argent

La baisse du prix du lait d’industrie, de l’ordre de 50 centimes le kilo actuellement, met de plus en plus d’exploitations, incapables de couvrir leurs coûts de production, en péril. Les normes à respecter demandent, parfois, de lourds investissements, que certains ne se sont pas en mesure de réaliser. On se souvient, par exemple, de Philippe Gonin, d’Orzens, dont l’écurie n’était pas conforme à la loi en matière de détention des animaux et qui avait dû se résoudre à cesser son activité. L’absence de relève et les contraintes liées à une activité gourmande en maind’oeuvre -un cheptel de vaches laitières réclame une attention sept jours sur sept, avec, entre autres, une traite matin et soir- sont d’autres raisons de jeter l’éponge.

«Depuis que nous avons arrêté pour nous lancer dans la viande, il y a environ un an, nous pouvons partir en week-end et aller chercher les enfants à la garderie. La journée d’un producteur de lait commence à 4-5h et se termine à 19-20h. Alors, face à tout ce travail et ces responsabilités pour perdre de l’argent, nous avons préféré dire stop. Tous mes collègues qui continuent dans le lait d’industrie sont à la limite de jeter l’éponge», déclare Joaquim Vez, de Bavois.

Producteurs pas unis

Le problème de base, selon toutes les personnes interrogées, est l’absence d’union entre les producteurs. Certains livrent leur lait en direct à des transformateurs. Les quatre grands, sur le plan national, sont Emmi, Elsa, Cremo et Nutritech Hochdorf. D’autres se sont groupés au sein de leur organisation pour tenter de mieux gérer l’offre. C’est le cas de Prolait. «Aujourd’hui, le manque d’unité des producteurs et l’absence de volonté pour gérer une offre de lait excedentaire a des effets catastrophiques », commente Eric Jordan, le directeur de la Fédération laitière basée à Yverdon-les-Bains. «Face à cette situation figée, il est urgent de trouver des solutions pour obtenir une meilleure valorisation de notre lait de qualité, c’est dans ce sens, à petite échelle, que Prolait a décidé de créer la fromagerie pâte molle Le Grand Pré, à Moudon», ajoute-t-il.

Rapport déséquilibré

«Chaque producteur a une relation différente avec son acheteur. Il est seul face à lui pour signer le contrat», indique, pour sa part, le Poméran Yves Pellaux. L’abondance de cette matière première difficile à conserver ne place pas l’agriculteur en position de force dans la négociation du prix.

«Les agriculteurs ont leur part de responsabilité. Certains sont prêts à produire plus afin d’éviter que leur voisin ne le fasse», commente le conseiller national de Pomy Jean-Pierre Grin.

La solution, tout le monde l’a. Imposer la gestion du volume de production, et donc maîtriser la fluctuation de la valeur du lait sur le marché, à l’image de ce qu’a réussi l’Interprofession du Gruyère (lire ci-dessous). Un rôle que la Confédération devrait endosser, selon les acteurs du domaine consultés.

Valorisation des herbages

L’enjeu est de taille, selon Jean-Pierre Grin, qui a déposé une interpellation allant dans ce sens sur le plan fédéral. Il a trait au maintien d’une agriculture de proximité que semblent vouloir soutenir les consommateurs. «Si cela continue, il n’y aura plus que des grandes exploitations. Le maintien d’unités de taille plus petite en plus grand nombre sur tout le territoire permet de répartir le bétail, ce qui garantit un bon équilibre des sols», indique-t-il. Eric Jordan abonde. «Notre pays est très herbagé et la vache laitière est un bon moyen de valoriser les prairies. Sa disparition entraînerait l’avancée des forêts. Les communes se verraient donc obligées d’engager du personnel pour entretenir le paysage», explique-t-il.

 

Les producteurs de lait sert à la fabrication de Gruyère sont mieux lotis

Ils ont décidé de relever le défi du lait

© Nadine JacquetLes producteurs de lait ne sont pas tous logés à la même enseigne. Ceux fournissant la matière première nécessaire à la fabrication du Gruyère AOP vendent, en effet, leur kilo de lait environ 80 centimes, c’est-à-dire 30 centimes plus cher que leurs homologues fournissant la filière du lait industriel. Ueli Leibundgut (ci-contre) et ses fils, basés à Essertines-sur-Yverdon, font partie des rares producteurs à investir dans la filière du lait. Une nouvelle construction, devisée à 2,5 millions de francs, leur permettra bientôt de continuer à exercer leur passion. «Nous avons environ 120 vaches laitières, pour produire 950 000 litres de lait par année», indique l’agriculteur.

De son propre aveu, leur choix a été motivé par leur confiance en l’Interprofession pour laquelle ils travaillent. Impactée par le franc fort, l’organisation a réduit de 3,5% la production de Gruyère sans toucher à son prix. «L’opération est plus facile pour un produit de niche, fabriqué dans une région, tandis que le lait industriel concerne tout le territoire national», admet, toutefois, Ueli Leibundgut.

Ludovic Pillonel