Le fameux Denis Flageollet siège dans le jury du prestigieux Grand Prix d’Horlogerie de Genève. Rencontre avec une pointure dans son domaine.
Textes et photos: Iphigeneia Debruyne
La cérémonie du Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG) se tient aujourd’hui au Théâtre du Léman, à Genève. Denis Flageollet, maître horloger et cofondateur de De Bethune, manufacture à L’Auberson, détenteur du Grand Prix de l’Aiguille d’Or en 2011 et lauréat à plusieurs reprises, siège pour la seconde fois dans le jury.
Denis Flageollet, quelle est l’importance des prix comme le GPHG?
Une poignée de concours sont des maillons non négligeables pour le secteur. Lancé en 2001, le GPHG est devenu pour la haute horlogerie ce que sont les Oscars pour le cinéma. Remporter l’Aiguille d’or, c’est-à-dire le premier prix, être le lauréat d’une catégorie ou simplement être nominé donne un rayonnement à une marque. La variété des catégories et surtout la composition du jury en font un prix de référence. Un groupe éclectique de connaisseurs évaluent les pièces. Pour l’édition 2022, toutes catégories confondues, ce sont 96 montres. Chaque bijou passe entre les mains d’horlogers, de designers, de spécialistes du marché ou encore de collectionneurs. Chacun a une expertise unique. Cette diversité offre une annotation nourrie de plusieurs points de vue. Horloger, mes yeux sont rivés sur le savoir-faire de la mécanique de précision et la fonctionnalité. Les complications et la finesse de l’exécution, la lisibilité de l’heure et le confort au poignet contribuent à mon appréciation de l’esthétique. Quant à un designer, il apprivoise plutôt la mécanique à la lumière du style. L’évaluation d’un tel jury permet de stimuler l’innovation sans pour autant lésiner sur le maintien ni sur le perfectionnement du savoir-faire.
Comment l’industrie de l’horlogerie se porte-t-elle?
J’observe un recentrage sur l’essentiel et donc un dynamisme nouveau qui s’esquisse. Nous sommes dans une ère de recherche fondamentale et de développement. La frénésie créative pour proposer des pièces avant-gardistes et fonctionnelles gagne du terrain. Cette mouvance est entre autres portée par une poignée de jeunes maîtres prometteurs qui osent proposer des nouveautés. En effet, sortir des sentiers battus, trouver le juste milieu entre transgression des règles et respect de la tradition est un exercice d’équilibriste. Les concours permettent d’accélérer ces innovations. Grâce à la visibilité d’un concours, une originalité s’apprécie comme la suite logique de la tradition. Qui plus est, aujourd’hui, les clients potentiels manifestent un intérêt croissant pour la mécanique de précision. Dans une société hautement digitalisée, la magie d’un engin complexe fait à la main sans recours à des puces interpelle. Saisir cette curiosité pour surfer sur cette vague est de mise. Rebondir, une mentalité que les artisans et entrepreneurs du Jura-Nord vaudois se sont appropriée depuis des lustres. Sans aucun doute une des raisons pour lesquelles la région réaffirme sa place sur la mappemonde du secteur.
Le Balcon du Jura a-t-il une carte à jouer dans ce nouvel engouement?
Oui. Aujourd’hui, l’authenticité historique d’une région est centrale. L’ADN du Balcon est lié à la mécanique de précision. Je me souviens qu’à mon arrivée, j’étais impressionné par l’histoire de Sainte-Croix. Son passé horloger remonte bien au-delà de la fin du XIXe siècle. Ce versant du Jura était alors un haut lieu de fabricants de pièces pour les montres des maisons genevoises. Cette ruche s’est d’abord transformée en capitale des boîtes à musique, et ensuite en métropole de la mécanique de précision. L’histoire du XXe siècle a été écrite et documentée avec des machines à écrire Hermès et des caméras Bolex. Le savoir-faire horloger a toujours été vu à travers un prisme plus large que celui d’un fabricant de montres. Cette vision, qui est une force de résilience, permet de rebondir, de voir plus loin et de se projeter dans l’avenir. Cette dynamique est propice à l’innovation respectueuse de la tradition. Ainsi, écrire la page de la belle horlogerie du XXIe siècle n’est pas une innovation, mais une continuité pour les acteurs locaux.