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«Mon problème n’est ni un atout ni un handicap»
Line Randin. © Michel Duperrex

«Mon problème n’est ni un atout ni un handicap»

28 janvier 2021

La Région revient sur la candidature de Line Randin à l’Exécutif. Sa postulation soulève quelques interrogations, y compris au sein de son propre village. Comment cette enfant du village pense-t-elle concilier malvoyance et travail de municipale?

A la surprise de tous, Line Randin s’est portée candidate à la Municipalité d’Ependes. Mais cette mère de deux enfants n’est pas tout à fait une femme comme les autres. Derrière ses lunettes de soleil, elle cache non seulement de beaux yeux bleus, mais aussi une maladie dégénérative qui trouble sa vue depuis sa naissance. Au fil des ans, ce voile s’est épaissi. Aujourd’hui, il ne lui reste que 2 ou 3% de capacité. Mais si la vie lui a enlevé les 97-98% de son acuité visuelle, elle lui a donné la force de dépasser sa timidité. Désormais, elle est prête à s’afficher pour défendre ses idées et à montrer que sa canne peut lui permettre de briser des barrières.

Line Randin, comment pensez-vous concilier un mandat de municipale avec votre handicap?

Ce qui me fait sourire, c’est que lorsque je suis revenue au village, après un séjour à Yverdon, personne ne s’est demandé comment j’allais faire pour aller à la déchetterie ou pour cuisiner. Ni même quand je suis entrée au Conseil général. Et maintenant que je suis candidate à la Municipalité, on se pose plein de questions, on s’inquiète. Mais moi je vis avec ça tous les jours.

Cela vous embête-t-il que l’on vous pose ce genre de questions?

Non, je les comprends. Je pense que les gens font face à leur propre peur de perdre la vue en me voyant. Par contre, je refuse d’être réduite à cela. Je ne veux pas qu’on s’intéresse à moi seulement parce que je suis malvoyante. D’ailleurs, un député jurassien m’avait avertie: tu ne te laisseras pas enfermer dans le rôle du handicap! Et il me disait que les gens s’inquiétaient toujours de savoir comment on peut lire les dossiers, alors qu’ils devraient plutôt s’inquiéter de savoir si les candidats vont les lire, parce qu’il y en a certains qui ont la capacité de lire mais qui ne le font pas!

Donc cette interview vous agace un peu…

(Sourire). Non… Je crois que c’est bien d’en parler si cela peut faire avancer la cause. Certains pensent encore qu’un malvoyant ne peut faire que des macramés ou du rotin dans un atelier protégé. Il n’y a pas de barrière, ou peut-être que celle de l’engagement. Pour l’avoir vécu, je peux vous dire qu’il faut forcer les portes, elles ne s’ouvrent pas toutes seules. Les gens ont peur que l’AI doive casquer ou qu’il faille toujours quelqu’un derrière nous, parce qu’ils n’imaginent pas ce qu’on est capables de faire et qu’on a des compétences. On doit toujours prouver plus que les autres.

Si je comprends bien, vous n’appréhendez pas du tout d’assumer la tâche de municipale?

Non, je ne me fais pas trop de souci. Mon papa, ma sœur et mon mari ont été municipaux, donc je sais ce qui m’attend. Pour les déplacements, par exemple, je trouve toujours quelqu’un pour m’emmener, que ce soit des personnes qui vont au même endroit que moi ou d’autres. Globalement, les gens sont bienveillants et aidants. Après, si une fois il n’y a vraiment personne, il existe des services avec des bénévoles, comme La Chaise Rouge ou les transports de personnes à mobilité réduite. Et j’ai aussi mon mari qui fait parfois le taxi.

Et pour les tâches plus administratives, comme la lecture, la rédaction de documents, etc.?

Aucune appréhension non plus. J’ai soit un appareil de lecture portable, soit des applications mobiles pour malvoyants, au jour d’aujourd’hui il y a énormément. Il y en a même pour nous dire les couleurs, mais elles ne sont pas très fiables (rires). Il y aussi le voice over (ndlr: appareil qui décrit à haute voix ce qui est écrit). D’ailleurs, c’est plus agréable pour moi de lire mes mails sur mon téléphone, même s’il y a toute une gestuelle à apprendre. Et si on est vraiment perdus, il y a aussi des plateformes où des bénévoles voyants peuvent nous aider, il suffit de leur mettre la caméra.

Et si vous héritez du dicastère des Bâtiments, arrivez-vous à lire un plan par exemple?

J’ai construit ma maison il y a un an, donc j’ai dû lire des plans. Mon cerveau a appris à visualiser l’espace. Après, c’est sûr que je ne vais pas creuser un trou ou aller seule sur un chantier. Et s’il y a eu du vandalisme sur une porte, comme c’est arrivé ici, je vais appeler un peintre mais je ne vais pas pouvoir vérifier son travail. Pour le reste, étant employée de commerce de formation, je sais faire des tâches administratives, de la comptabilité…

Utilisez-vous un clavier en braille pour écrire?

Non! J’apprendrai le braille quand je ne verrai vraiment plus rien, histoire de garder un pied dans le monde des voyants. J’ai appris la dactylographie et je tape sur un clavier normal, à l’aveugle (rires)!

Vous avez l’air de le prendre plutôt bien…

Disons que stricto sensu, c’est un handicap. Dans ma vie de tous les jours, c’est limitant et j’aimerais être plus autonome au niveau de mes déplacements, mais pour le reste non. Et mon problème de vue n’est ni un atout ni un handicap pour faire de la politique. ça fait partie de moi.

«Cela ne peut être que bénéfique pour tout le monde»

Qu’on se le dise, Line Randin n’est pas la première malvoyante à vouloir entrer en politique. D’autres avant elle ont déjà accédé à des Exécutifs et même au Conseil d’état, comme le Tessinois Manuele Bertoli. Mais cela pourrait bien être une première dans le Nord vaudois, selon le préfet Etienne Roy. «C’est très encourageant. Et cela ne peut être que bénéfique pour tout le monde; autant pour la population que pour les quatre autres collègues, car la présence d’une élue malvoyante peut amener une meilleure compréhension des personnes en situation de handicap, que ce soit dans l’aménagement urbain ou dans celui des locaux. Cela ne peut être que positif.»

 

«Cela ne peut être que bénéfique pour tout le monde»

 

Si le préfet ne voit aucune contre-indication à l’arrivée de Line Randin à l’Exécutif, il ne doute pas de l’ampleur du défi: «Ce serait peut-être plus simple pour elle dans une ville que dans un village, car il y a des chefs de service qui préparent bien le terrain, considère-t-il. Ce que l’on pourrait dire, c’est que si elle a besoin d’aide pour faire son travail, il ne faut pas qu’elle s’attende à ce que la Commune paie tout, mais elle peut participer. Il faut juste en être conscient et en discuter en amont.» Selon lui, un handicap ne doit pas décourager les candidats de se lancer: «Cela complique peut-être les choses mais tant pis, ces personnes ont aussi le droit d’accéder à cette fonction.»

 

Et le travail sur le terrain?

 

Quand Carole Glauser, syndique à Ependes, a appris que Line Randin se portait candidate, elle s’est posé une multitude de questions. «C’est vrai qu’on a souvent un peu peur de ce que l’on ne connaît pas. On n’arrive pas à s’imaginer comment elle peut fonctionner dans une Municipalité. On a fait une petite séance pour voir comment elle imaginait son travail et ses réponses m’ont beaucoup rassurée. Elle avait l’air tout à fait à l’aise sur la lecture en tout cas. Après, on devra certainement faire quelques adaptations et trouver le dicastère confortable à chacun, mais il n’y a rien d’insurmontable, confie l’édile. La seule inquiétude qui demeure est de savoir comment cela va se passer sur le terrain, car ici les municipaux sont aussi les employés communaux. Mais ça, l’avenir nous le dira.»

 

Six candidats en lice

 

Line Randin n’est pas la seule à briguer un siège à la Municipalité d’Ependes. En fait, ils sont six pour cinq places. Il y a tout d’abord trois élus sortants, à savoir Carole Glauser (syndique), Christian Bavaud (vice-syndic) et Rémy Perrin (municipal). Ainsi que deux nouveaux prétendants: Nicolas Poncet et Marco Costantini. Après discussion, tous les candidats ont accepté de ne déposer qu’une seule liste, symbole d’unité entre les six habitants du village.

Christelle Maillard