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«Je n’aurais pas voulu d’autres parents»

14 février 2018 | Edition N°2185

Romainmôtier - Frédérique Drilhon von Arx a participé à la réalisation du film «Jusqu’au bout des rêves», qui retrace la vie passionnée et tumultueuse de ses parents et de leur combat pour rénover la Maison du Prieur. Rencontre.

L’auteur suisse Wilfried Meichtry a jeté son dévolu sur l’incroyable parcours de Katharina von Arx dans son nouveau film-documentaire «Jusqu’au bout des rêves» (lire encadré). Le réalisateur a passé près de sept ans à farfouiller dans la vie de cette famille qui s’est installée, en 1959, à la Maison du Prieur de Romainmôtier. Au point qu’il en est «presque» devenu un membre à part entière. La fille de la protagoniste, Frédérique, délivre sa version de l’histoire et sa relation avec sa maman, décédée en 2013, et son père qui l’a quittée quand elle n’avait que 18 ans.

Frédérique Drihlon von Arx reste admirative devant la force et la ténacité de ses parents, qui ont su se démarquer tout au long de leur vie. © Christelle Maillard

 

Comment ce projet de film sur votre maman a-t-il démarré?

Tout est parti d’une visite fortuite d’un des caméramen de Frenetic Films A.G. (ndlr: l’entreprise qui a réalisé le film) au tea-room de la Maison du Prieur. Ma mère y était souvent et n’hésitait pas à parler avec les gens qu’elle croisait de son travail pour rénover cet endroit et de toutes les histoires qui y sont liées. C’est ainsi qu’ils ont fait connaissance. Le caméraman a, ensuite, répété cela à Wilfried Meichtry.

Et qu’a-t-il pensé de ce récit?

Au départ, il n’y croyait pas, alors il est venu ici pour rencontrer ma maman et il s’est très vite enthousiasmé pour les histoires incroyables qu’elle racontait. Il faut dire qu’elle était une grande conteuse, très charismatique. Et elle savait transmettre sa passion pour la Maison du Prieur qu’elle a retapée durant des années (ndlr: de 1959 à 1989), à tel point qu’elle en est devenue l’âme. Le projet du film a débuté en 2011, quand le réalisateur s’est lancé à la recherche d’archives officielles et personnelles de notre famille.

Cela vous a-t-il gêné qu’il vienne mettre le nez dans votre passé?

Au début, j’avoue que j’étais réticente, car c’était notre vie privée qu’il voulait étaler dans un film et je craignais qu’il déforme notre histoire ou qu’il en fasse du sensationnalisme. Mais ma résistance est vite tombée quand j’ai vu avec quelle finesse et quel respect il racontait les choses. Aujourd’hui, il est devenu l’expert de la famille.

Qu’est-ce qui a particulièrement intéressé le cinéaste, selon vous?

C’est la relation passionnelle et tumultueuse entre mes parents. Comme ils étaient journalistes, ils ont sillonné le monde et ont vécu des moments insolites, mais, malgré les conflits, ils restaient très attachés l’un à l’autre. Ce lien a perduré tout au long de leur vie.

Aviez-vous conscience de cette complicité avant ce projet?

Oui, j’ai toujours eu une grande admiration et beaucoup de respect pour mes parents. Je me suis aussi beaucoup bagarrée avec eux parce qu’on avait fait de la liberté d’expression notre culture. Mais je sais aussi que, de l’extérieur, mes parents étaient perçus comme des gens bizarres, des monstres.

En avez-vous souffert? 

Non, et pour rien au monde j’aurais voulu d’autres parents.

Quel a été votre rôle dans le projet après le décès de votre mère? 

J’avais donné l’interview pour le film, mais je sais que Wilfried a dû réécrire tout le scénario. Je l’ai donc aidé en lui donnant des documents et en le mettant en contact avec d’autres membres de la famille.

Aujourd’hui, que pensez-vous du résultat du film?

Je trouve qu’il est très poétique et élégant. Physiquement, les acteurs ne ressemblent pas à mes parents, mais ce n’est pas grave car le plus important c’est qu’ils ont su retransmettre la complicité qui les liait. Il correspond très bien à ce que j’ai vécu avec mes parents, passionnés mais aussi tourmentés. Et je crois que ma mère l’aurait aimé.

«Jusqu’au bout des rêves» de Wilfried Meichtry

Katharina von Arx et Freddy Drilhon ambitionnent de rester cohérents avec eux-mêmes et de bâtir librement leur vie. Un amour passionnel les unit; elle devient célèbre en tant que reporter et dessinatrice, et lui comme photographe. Quand les deux s’installent, avec leur fille, à Romainmôtier pour faire du prieuré en ruines le nouveau centre de leur vie, la relation entre les deux est mise à rude épreuve.

Alors que Katharina met toute son énergie dans la restauration de l’impressionnante bâtisse, Freddy commence à se morfondre. Une grave crise éclate entre les deux et c’est la rupture. Mais l’amour qui les unit ne s’essouffle pas.

Dans ce documentaire-fiction, Sabine Timoteo, plusieurs fois récompensée par le Prix du cinéma suisse, et Christophe Sermet, acteur suisse installé en Belgique, font revivre les figures de Katharina von Arx et de Freddy Drilhon. «Jusqu’au bout des rêves» a été nommé pour le prix du public lors des Journées de Soleure. S’il n’a pas reçu ce titre, il a, en revanche, décroché le Prix Suisa 2017, récompensant la meilleure musique de film, au Festival de Locarno pour les compositions originales du Zurichois Balz Bachmann. (Com.)

Christelle Maillard