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«On cherche le positif dans tout ça»
Philippe Dyens et Martial Du Pasquier. © Michel Duperrex

«On cherche le positif dans tout ça»

29 juillet 2021

Après le coup de massue sur la tête des agriculteurs, victimes de la grêle de samedi, l’espoir renaît. Mais le constat reste cinglant: presque l’entier des cultures touchées sont perdues.

D’Onnens à Concise, la grêle a fait des ravages samedi soir. Durant de longues minutes, des billes de glace ont tranché l’air, haché les cultures et brisé des vitres avant de rebondir sur le sol. Les rues se sont transformées en torrents éphémères alors que des larmes coulaient sur les joues de certains habitants, impuissants. Après ce déluge, il ne restait plus qu’à constater les dégâts. Une trentaine d’habitations ont subi des casses, les routes ont été recouvertes de verdure et d’herbe. Mais le vrai désastre s’est manifesté dans les cultures.

A Corcelles-près-Concise, Luc Humbert (en photo) a retrouvé ses champs dans un piteux état. Son maïs, par exemple, fait ce qui ressemble plus à une posture du chien tête en bas qu’à une salutation au soleil. Face à ce cauchemar, l’agriculteur ne peut rester aussi zen qu’un yogi. «C’est rageant! lâche-t-il. En plus, le 28 juin, quand il y a eu la première vraie grêle, j’avais hésité à tout enlever. Mais un expert m’a dit que ça allait repartir. Là, je ne suis pas expert, mais à mon avis, c’est une perte à 100%!»

Son colza a subi les mêmes sévices. «Ce qui est encore plus rageant, c’est qu’on avait prévu de battre vendredi dernier, mais les deux machines qui devenaient venir sont tombées en panne. On a donc tout préparé pour samedi, mais c’était trop humide, alors on a attendu, attendu… et il s’est mis à grêler», poursuit le Nord-Vaudois. Il ne sait d’ailleurs pas comment réagir avec son colza, dont la plupart des graines qu’il devait récolter ont été propulsées dans le sol par la force des grêlons. «Normalement, on sème 3 kg de graines par hectare, là, il y en a 3000! Cela va devenir une mauvaise herbe pour la culture suivante.» Il n’est donc pas près de replanter quelque chose sur cette parcelle. «C’est vraiment rageant, répète-t-il. Car si je n’avais pas écouté les gens qui me disaient d’attendre et que j’avais fait plus de téléphones pour trouver d’autres machines, je n’aurais peut-être pas tout perdu.»

Luc Humbert en a gros sur la patate, bien qu’il cultive une lueur d’espoir. «Je vais attendre les experts, qui devraient passer vendredi, pour voir ce qu’ils me conseillent, eux qui ont l’expérience de ce genre de situation.» Il tente aussi de rester optimiste car ses autres parcelles, situées plus haut sur la commune, ont été moins impactées que celles établies sous la route cantonale. «La betterave, par exemple, semble totalement détruite, si on regarde ses feuilles. Mais si elle arrive à en refaire d’ici à septembre, peut-être que cela ne sera pas le cas, espère cet enfant de Corcelles-près-Concise. On serait étonné de voir comment les plantes peuvent reprendre des forces.» Par contre, si elles mettent de l’énergie à refaire des feuilles, elles en auront moins pour fabriquer du sucre pour les betteraves, ce qui risque de se ressentir au final sur la facture.

Il reste donc une part d’inconnu pour lui, mais aussi pour les vignerons de Concise (lire encadré) qui devront attendre la récolte pour déterminer les pertes avec exactitude. Pour l’instant, les viticulteurs estiment qu’elles oscillent entre 80 et 100%. «Quand on travaille avec la nature, on doit accepter ces risques, car elle n’y va pas par quatre chemins pour remettre l’église au milieu du village. Mais on se relève, on cherche le positif dans tout ceci et on recommence notre travail», témoigne Martial Du Pasquier, qui prétend avoir vu bien pire en Lavaux, en 2003.

Son collègue, Philippe Dyens, se rassure autrement. «Comme ça va coûter trop cher de faire venir du monde pour si peu de vendange cette année, je vais proposer aux gens de passer une journée dans les vignes pour nous aider et pour resserrer les liens. Ensuite, on partagera une bonne fondue, ce sera sympa», espère-t-il. Le Concisois tente de voir le verre à moitié plein désormais. «Si avec toute cette pluie, on n’a pas une bonne année avec les truffes alors je ne sais pas ce qu’il faut!» rigole-t-il en regardant son père. Ce dernier a installé des plants truffiers il y a dix-sept ans et ils commencent à porter leurs fruits. «Il faut bien crocher les cordes qui sont en haut, car celles qui sont en bas, on les connaît!»

 

Quoi qu’il arrive, il y aura toujours du vin!

Que les amateurs de vin soient rassurés: les vignerons de la région de Concise auront toujours des bouteilles à vendre, malgré le passage de la grêle. Par contre, le raisin ne viendra peut-être pas de leurs vignes. «On est assurés, ce qui nous permettra de continuer à fournir notre fidèle clientèle, assure Martial Du Pasquier (à droite sur la photo). Ce n’est pas parce qu’on a été grêlés qu’on n’aura pas de raisin cette année. Le but de l’assurance est justement de nous permettre d’aller nous approvisionner ailleurs.»

Alors effectivement, son travail de viticulteur a changé avec la rafale de grêle qu’il a subie samedi, mais il ne va pas croiser les bras cet été pour autant. «On doit téléphoner à des collègues pour voir s’ils acceptent de nous vendre du raisin. Heureusement, il y a une belle solidarité entre les vignerons, je ne me fais pas de souci», poursuit-il. Et son collègue Philippe Dyens (à gauche) de préciser: «Je me réjouis presque de travailler avec de la matière d’ailleurs pour voir si vraiment on va ressentir le terroir différemment. Même si je suis persuadé que c’est surtout la patte de l’artisan qui fait la différence.»

Comme tant d’autres, le propriétaire du domaine de Saint-Agnan est déjà aux petits soins avec ses vignes, même s’il ne reste plus beaucoup de grappes. «Même en cherchant bien, on n’arrive pas à trouver de feuille intacte, déplore-t-il. C’est pourquoi maintenant, on doit presque être plus assidus dans nos soins qu’auparavant.»

Les Concisois restent pourtant confiants. Et si, aujourd’hui, les billes de glace qui ont haché les cultures ont laissé de profondes cicatrices sur les branches, la nature saura reprendre du poil de la bête. «Dans six semaines, on ne verra presque plus rien de loin. La plante a des ressources incroyables», rappelle Philippe Dyens, qui a retrouvé le sourire après ce week-end fort en émotion. Néanmoins, il faudra du temps. «C’est comme si on se prenait trois uppercuts et des coups dans les côtes, il nous faudrait aussi un moment pour reprendre notre souffle. La vigne, c’est pareil.» Pendant qu’elle panse ses blessures, les vignerons invitent la population à continuer de soutenir les caves nord-vaudoises. «Il ne faut pas que la clientèle s’inquiète, on a toujours d’excellents millésimes 2019, 2020 et on aura aussi du 2021!» martèle Martial Du Pasquier.