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Pas le droit d’être malade
KEYSTONE/Christian Beutler

Pas le droit d’être malade

9 février 2022

Santé – À l’heure où l’on parle toujours de troisième dose de vaccin et de tests pour les citoyens symptomatiques, une tranche de la population ne peut pas se permettre d’être souffrante: celle des sans-papiers. Comment s’en sortent-ils?

Discrètement, Maria* tousse dans son coude. Cette fois, elle n’a pas pu se retenir, mais elle sait qu’elle doit faire attention, surtout en cette période de pandémie où les gens reculent d’un mètre à la vue d’un symptôme évoquant le Covid. Immédiatement, elle reprend son balai et continue de frotter le carrelage, comme si de rien n’était. Pourtant, derrière cette réaction se cache un vrai enjeu pour Maria: elle ne peut tout simplement pas tomber malade, car elle n’a pas d’assurance maladie, ni de papiers. S’arrêter de travailler reviendrait à la plonger, elle et sa famille, dans une situation de précarité dangereuse.

Cette histoire, François Chéraz l’a entendue des centaines de fois. Le directeur du Point d’Eau, à Lausanne (lire encadré), côtoie et aide les plus démunis en leur donnant accès à des soins. Ils sont entre 9000 et 15’000 dans le canton à slalomer entre les virus et les soucis de santé, faute d’avoir un statut légal, une assurance maladie ou simplement les moyens de se faire soigner. Et le Nord vaudois n’est pas épargné par cette situation, bien au contraire. Des pistes de réflexion sont étudiées pour offrir un meilleur soutien médical aux sans-papiers.

9000 : Comme le nombre minimum de personnes sans-papiers qui résident dans le canton de Vaud, selon une étude de 2015.

Ces sans-papiers que l’on ne voit pas et n’entend pas, qu’ont-ils pour affronter cette crise? «Ils ont accès aux tests et vaccins malgré leur situation, assure François Chéraz. Le Canton est au courant qu’il y a des milliers de sans-papiers et que c’est d’intérêt public de leur permettre de se faire tester et vacciner. Le contraire serait un non-sens car tout le monde est concerné par le Covid et que ces personnes, pour presque la totalité, travaillent. Restauration, hôtellerie, bâtiment, travail domestique… Ce sont des gens qui sont en contact avec la population.» Et Olivier Cruchon, chef du secteur Action sociale à Caritas Vaud, de préciser. «En effet, il y a eu une porte d’accès spécifique à Lausanne, pour les personnes sans-papiers et/ou sans assurance maladie. Ailleurs, dans les régions, il y a eu des journées de vaccination, comme à la Lucarne à Yverdon-les-Bains, mais cela n’a pas été fortement sollicité. Pour les tests, par contre, cela n’a pas toujours été facile de trouver un endroit dans les régions, ils étaient souvent renvoyés à Lausanne.»

Qui paie leurs factures? «Les coûts des vaccins Covid sont pris en charge par la Confédération. Il n’est pas obligatoire de fournir un numéro d’assurance. La facturation se fait par le biais de factures collectives sans fournir de données personnelles», répond Grégoire Gogniat, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique.

Mais la vie en temps de pandémie ne se résume malheureusement pas uniquement à faire des tests et à se vacciner. Il y a aussi un risque de complications graves. Dans ce cas également, les sans-papiers ont la possibilité d’être pris en charge gratuitement, malgré leur situation illégale. «Oui, l’accès aux soins d’urgence doit être garanti pour toute personne», confie Susanne Flückiger, chargée de communication au Département de la santé et de l’action sociale (DSAS), qui précise: «Une convention lie la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et les hôpitaux du canton. La DGCS prend en charge certains frais d’urgence des populations vulnérables après investigation et démarches sociales effectuées par les services hospitaliers.» Concrètement, le Canton de Vaud finance en moyenne pour quelque 100’000 francs par année les frais médicaux des sans-papiers. Et l’arrivée du Covid n’a pour l’heure pas fait grimper ce montant, selon le DSAS.

100’000 : Comme la somme en francs que l’Etat de Vaud paie en moyenne chaque année pour les frais médicaux d’urgence des sans-papiers.

Le drame évité, un autre stress vient serrer le cœur des sans-papiers. Car ils craignent une chose en allant à l’hôpital: que les autorités découvrent leur situation, même s’il n’y a pas de risque. «Les données personnelles du patient sont recueillies par les services d’urgence pour pouvoir prendre en charge la personne. Certaines données (nom, prénom, date de naissance, adresse, etc.) sont transmises au service social des hôpitaux pour assurer un accompagnement médico-social», explique Susanne Flückiger. Le personnel social des hôpitaux peut ensuite accompagner la personne pour qu’elle régularise sa situation en contractant une assurance maladie de base. «En 2020 (du 1er janvier au 30 septembre), 79 demandes d’affiliation ont été faites par le CHUV pour l’ensemble des personnes ayant été hospitalisées sans assurance maladie préalable, dévoile la communicante, avant de rassurer sur la démarche. L’affiliation LAMal n’est pas transmise à une autre autorité puisqu’elle ne dépend pas d’un permis de séjour.»

Néanmoins, si Maria se retrouvait dans ce cas de figure, ses problèmes ne seraient pas finis pour autant. Car des pénalités sont imposées aux personnes qui n’ont pas respecté les règles. Et celles-ci peuvent coûter très cher. «Il y a la possibilité d’éviter de les payer si la personne est mise dans la gêne et qu’elle a des circonstances atténuantes, assure Mélanie Dieguez, responsable du service social à Caritas. On aide les gens pour éviter qu’ils soient bloqués dans les démarches d’affiliation et pour obtenir des subsides, car avec les assurances maladie ce n’est pas simple.»

90% : Le pourcentage estimé de sans-papiers qui n’ont pas d’assurance maladie en Suisse.  Un chiffre qui pourrait diminuer avec le Covid. Caritas, qui a gagné en visibilité durant la pandémie, aide de plus en plus de personnes à s’affilier et à profiter de subsides. A noter que l’école oblige les enfants sans-papiers d’être assurés, ce qui permet souvent à Caritas de régulariser toute la famille.

Malgré toutes les mesures d’encadrement, les démarches administratives inquiètent les sans-papiers, qui préfèrent rester dans l’ombre, là où ils connaissent les règles du jeu, plutôt que de s’exposer à des sanctions insupportables. «Âgés ou malades, ils n’ont pas d’autre choix que de travailler, car ils craignent énormément pour leur capacité financière. Ils ont peur d’être mis aux poursuites, de devoir donner des informations personnelles et d’être inscrits quelque part, même pour demander des subsides à l’assurance maladie. Tout cela pénalise l’accès aux soins, assure Mélanie Dieguez. Ce sont des bombes à retardement.» Et le Covid les a sorties de l’ombre. «Je constate de plus en plus de sans-papiers à qui ont a diagnostiqué une maladie à la suite d’une consultation ou hospitalisation en lien avec le Covid.» Reste à savoir si les conséquences exploseront à la figure des Vaudois.

*prénom d’emprunt

 


 

Le Point d’Eau, une source pour la survie

La règle est simple: «Toute personne qui s’installe dans le pays a trois mois pour s’affilier auprès d’une assurance maladie, synthétise François Chéraz, directeur du centre médical pour démunis Le Point d’Eau, à Lausanne. D’après une étude, près de 90% des gens ne le font pas, qu’ils aient des papiers ou non, notamment en raison du prix.» Même avec une assurance maladie, ils doivent payer la franchise qui, là déjà, est trop haute. Ils ne peuvent donc pas se faire soigner comme tout un chacun. «Les personnes sans assurance-maladie sollicitent souvent des institutions caritatives ou des associations pour recevoir des soins de base», relève le DSAS.

Les Nord-Vaudois n’ont souvent pas d’autre choix que d’aller à Lausanne. Ce qui pousse bien souvent les malades à repousser leur visite chez le médecin, dans l’espoir que le mal finisse par partir, et au risque que cela s’aggrave. «Il y a un coût aussi, car s’ils n’ont pas de médecin de famille qui connaisse leur cas, il faut faire des recherches», note François Chéraz, qui met aussi en garde sur les risques d’automédication.

C’est pour prévenir des dérapages que Le Point d’Eau est utile. Mais avant de parler de soins médicaux, il faut parler de confiance. «On a une équipe de salariés et de bénévoles qui travaillent ici depuis des années. On parle plusieurs langues, ce qui permet de nouer un lien émotionnel et d’échanger sur des problèmes plus intimes. Depuis notre fondation, nous avons su créer un lien de confiance exceptionnel avec les gens démunis qui viennent nous voir. Et je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas uniquement de sans-papiers, nous recevons de plus en plus d’autochtones.» Et d’assurer: «Les gens savent qu’ils peuvent venir tout de suite nous voir, c’est comme ça qu’on évite les drames humains.»

Avec une centaine de thérapeutes, le Point d’Eau propose la quasi totalité des prestations médicales. Se considérant comme une «petite structure», elle cherche à se développer.

Christelle Maillard