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Pour Yasmina Zoutat et Chienne de rouge, les racines fondent l’identité

27 avril 2023

Etablie de longue date à Paris, la cinéaste yverdonnoise Yamina Zoutat revient avec un long métrage qui nous renvoie aux sources.

Il est des frustrations qui, liées à la recherche identitaire, peuvent nourrir un grand projet. C’est certes un constat abrupt, mais qui résume assez bien Chienne de rouge, film de Yamina Zoutat, présenté en compétition à Visions du Réel, le festival qui s’achèvera dimanche à Nyon, et qui a déjà valu des distinctions par le passé à la réalisatrice de Lessiveuses et de Retour au Palais.

La frustration, c’est celle de l’ancienne chroniqueuse judiciaire de TF1, qui a dû beaucoup insister auprès de sa hiérarchie pour couvrir ce qu’il faut bien nommer une parodie de justice, «le procès du sang contaminé», orchestré par une «cour spéciale», auquel les victimes ont tout juste eu le droit d’assister… sans dire un mot. Tout ça au nom de la raison d’Etat.

Quant à la recherche identitaire, émergeant un matin au réveil avec le désir de filmer du sang, elle pourrait avoir été déclenchée par une confidence de la maman de l’auteure, lors d’une visite à sa fille. «Nous étions aux Galeries Lafayette lorsqu’elle m’a dit que bébé, je n’aurais pas survécu si je n’avais pas été transfusée…», témoigne Yamina Zoutat. Bien qu’ébranlée par cette révélation, – elle vivait grâce au sang d’un autre – elle n’a pas dit un mot.

Mais le désir de filmer du sang a sans doute surgi des tréfonds de son inconscient. Et peu à peu le processus créatif s’est mis en marche. Journaliste de terrain, Yamina Zoutat a eu le temps d’apprécier les avantages du confort technique d’une grande télévision, mais aussi ses inconvénients. Et ce n’est pas un hasard si, dès son premier film, elle a choisi de travailler «caméra au poing».

Certes, cela exige de multiples compétences, mais assure aussi une vraie proximité avec les confidents. Et il y en a. Autant dans la rue qu’à l’hôpital de la Pitié Salpétrière – «un bout de Paris» assure l’auteure –, où à force de patience elle a fini par se faire admettre, mais surtout où elle a trouvé une femme médecin remarquable, qui l’a faite entrer dans la salle d’opération, mais aussi dans sa famille. La scène où le papa, d’origine vietnamienne, livre sa définition de l’identité est touchante de bon sens.

Et Chienne de rouge est bien une quête de l’identité. Celle-ci ne peut se forger sans racines et le sang est à l’humain ce que la sève est à l’arbre. Dans le quotidien, ce fluide presque traité comme n’importe quelle autre marchandise par le convoyeur qui achemine les poches de plasma vers l’hôpital, est vital.

La réalisatrice le montre par des images qui peuvent, a priori, choquer, mais qui témoignent de la réalité. Même si l’attentat du Bataclan en 2015 est évoqué au travers d’un exercice dans le cadre duquel des étudiants en médecine ont joué les victimes avec un réalisme déroutant.

Indispensable à la vie, le sang est présenté à tous ses stades, depuis la naissance, à la mort, celle d’une biche, en passant par les épisodes anodins, tels la perte d’une dent, ou encore un nez qui saigne, ou plus sérieux avec l’importance des greffes. Et cela avec des personnes filmées au naturel.

Mais que vient faire un animal sauvage éviscéré au terme du parcours? Il marque tout simplement la fin de la quête de Salsa, une chienne de chasse au rouge, véritable fil conducteur de cette quête identitaire, lancée par l’auteure née d’une maman italienne et d’un père algérien. Et c’est pourquoi cette chienne a donné son nom au film, sur suggestion de l’une des meilleures amies de Yamina Zoutat, qui a pisté l’animal et son maître, Jean Fournier, dans les bois de la région de Vugelles.

Yamina Zoutat, qui a fait une petite entorse à Visions du Réel en présentant le film en première mondiale au Centre Pompidou, «parce que beaucoup de protagonistes venaient de Paris», se rendra en mai à Madrid, pour présenter son film à Documenta, puis à Montréal, et sans doute dans d’autres manifestations internationales.

La productrice Joëlle Bertossa annonce la sortie en salles pour l’automne en France. En Suisse, elle est encore à la recherche d’un distributeur, mais elle espère bientôt aboutir.

Isidore Raposo