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Quand la glace du lac Brenet s’exportait jusqu’à Paris

25 février 2015

Vallée de Joux – Avant le boom des réfrigérateurs, la glace combière était utilisée pour la conservation des aliments. Rémy Rochat raconte ce pan d’histoire.

Edgar Rochat a obtenu la concession pour l’exploitation des glaces en 1877, celle-ci étant transmise à la Société pour l’exploitation des glaces de la vallée de Joux deux ans plus tard. L’entreprise a ensuite plusieurs fois changé de nom au gré de ses nouveaux acquéreurs. Photo mise à disposition par Rémy Rochat

Edgar Rochat a obtenu la concession pour l’exploitation des glaces en 1877, celle-ci étant transmise à la Société pour l’exploitation des glaces de la vallée de Joux deux ans plus tard. L’entreprise a ensuite plusieurs fois changé de nom au gré de ses nouveaux acquéreurs.

Un panneau de signalisation, trois bâtiments d’époque, dont le bureau et l’ancienne forge, le tout accompagné d’un tableau explicatif: voici, en cette matinée d’hiver au Pont, les quelques traces visibles de la période de plus de soixante ans, entre 1880 et 1942, où la couche de glace recouvrant le lac Brenet était commercialisée.

De cette époque révolue dont il a récolté photographies, cartes postales, coupures de presse et autres documents, l’historien combier Rémy Rochat avoue apprécier particulièrement les années ayant précédé l’arrivée du chemin de fer. Une bribe d’histoire, théâtre d’un vrai morceau de bravoure, où les blocs de glace étaient transportés avec chars et chevaux par l’ancienne route de Vallorbe.

Jusqu’au sud de la France

L’une des rares photos de l’époque du transport épique à cheval. Photo mise à disposition par Rémy Rochat

L’une des rares photos de l’époque du transport épique à cheval.

La déclivité trop forte de cet accès a toutefois nécessité de trouver une autre voie jusqu’à la gare de Croy par le col de Petra Felix. «Il y avait un nombre impressionnant d’attelages. La plupart des charetiers venaient de Vaulion. Un Italien, Baptiste Dassetto les dirigeait. Il fallait avoir une forte personnalité, car ce n’était pas des hommes de coeur», précise le Combier.

Rémy Rochat sur le site du Pont qui accueillait, jadis, les glacières. © Michel Duperrex

Rémy Rochat sur le site du Pont qui accueillait, jadis, les glacières.

L’acheminement de la glace vers les brasseries et autres restaurants -jusqu’à Paris, et au sud de la France- étant effectué surtout à la belle saison, celle-ci fondait, détrempant les routes dont le passage des grosses roues à cercles des chars accentuait la détérioration. «Il y avait de l’activité même le dimanche. Il paraît que les gens de Romainmôtier étaient excédés au point de vouloir pendre le directeur de la société», indique Rémy Rochat.

Les nombreuses complications liées à ce mode de transport poussent à trouver une alternative ferroviaire. La constitution, en 1885, de la Compagnie du chemin de fer Le Pont-Vallorbe et l’inauguration, une année plus tard, de la ligne, apportent la solution souhaitée.

Faillite en 1886

Des bandes de glace d’un mètre de large étaient découpées avec cette scie. Photo mise à disposition par Rémy Rochat

Des bandes de glace d’un mètre de large étaient découpées avec cette scie.

Malgré une activité toujours plus importante traduite par la construction, au début de 1883, d’un deuxième bâtiment pouvant abriter 5000 tonnes de glace -le hangar originel avait une capacité de stockage de 14 000 mètres cubes-, la faillite de la société des glacières intervient en 1886. Son rachat par le chemin de fer Le Pont-Vallorbe, le transport de glace représentait près de la moitié du trafic total sur la ligne, lui donne un second souffle avant l’incendie de 1927. La société disparaît en 1942, «victime de la guerre et de la concurrence des congélateurs», précise l’historien des Charbonnières.

Plusieurs façons d’extraire la glace du lac Brenet se sont succédé durant ce laps de temps où Le Pont faisait partie des plus grosses glaciaires d’Europe. Rémy Rochat mentionne l’emploi d’une scie à contrepoids maniée par deux personnes, puis le recours à une scie circulaire à moteur. Les bandes ainsi découpées étaient débitées par d’autres travailleurs, puis transportées vers les locaux de stockage (d’abord sur des traineaux attelés à des chevaux ou à des mulets), puis dans des locaux isolés par une double paroie remplie de sciure. «La récolte avait lieu en janvier et février, parfois jusqu’à début mars», conclut l’historien.

Ludovic Pillonel