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«Sans ce bâtiment, je risque de devoir mettre la clé sous la porte»
Même en hiver, Pierre-Alain Chevalley (ici avec une caisse de palée pêchée le matin même) ne déserte pas sa baraque.  © Michel Duperrex

«Sans ce bâtiment, je risque de devoir mettre la clé sous la porte»

28 janvier 2021

Contrairement à ce que croit le Canton, le village des pêcheurs abrite bel et bien un professionnel, Pierre-Alain Chevalley. Pour le seul pêcheur de la commune, ce site est primordial, tant pour son activité que pour la valeur patrimoniale du lieu.

La résistance s’organise à Yvonand. Comme relaté dans notre édition d’hier, la Canton a ordonné la démolition au 1er avril de plusieurs bâtiments situés au bord du lac. Conscients que l’état ne blaguait pas, les Tapa-Sabllias se sont mobilisés pour défendre un site en particulier: le village des pêcheurs.

C’est que la situation du site est complexe… Alors que le terrain est propriété du Canton, les constructions qui peuplent le site appartiennent à la famille Ottonin. Dans les années 70, le bail a été modifié afin de permettre de construire et de maintenir des baraques de pêcheurs professionnels. À l’époque, ils étaient encore trois a exercer ce métier dans le village.

Aujourd’hui, le Canton demande la destruction des bâtiments du village des pêcheurs car plus aucun professionnel n’y exercerait… sauf que cette information est fausse. En s’installant au village, Pierre-Alain Chevalley a ramené cette tradition à Yvonand.

Du coup, avec un pêcheur professionnel toujours en activité, le site est-il sauvé? Et bien… ce n’est pas si simple. Car si le pêcheur occupe bien une baraque, il ne les loue pas toutes. Et sans accès direct au lac par bateau, il n’est pas certain que les services cantonaux considèrent le site comme pouvant accueillir un pêcheur.

Lors de la dernière séance du Conseil communal, des élus ont estimé qu’il s’agissait là d’un «diktat» de l’état. Plusieurs initiatives ont été lancées pour sauvegarder le lieu. En plus d’une pétition, qui a dépassé les 700 soutiens, «L’Association pour la sauvegarde du Village des Pêcheurs» est également en train de se monter. «C’est une bonne nouvelle, estime Pierre-Alain Chevalley, qui n’est pas toutefois associé au groupe. Personnellement, lorsque j’ai appris le contenu de la lettre, je n’y croyais pas. J’ai répondu à la Direction générale de l’environnement que je travaille sur ce site et qu’il est essentiel pour mon activité. J’en ai aussi profité pour les inviter à venir découvrir le village des pêcheurs et sa valeur patrimoniale. Mais ces actions ne doivent pas être perçues comme anti-Canton. Elles cherchent simplement à trouver une solution pour préserver le village.»

La clé pour les défenseurs du village des pêcheurs sera de distancier le site autant que possible des cabanons de loisir qui existent le long de la rive sud du lac de Neuchâtel (lire encadré). En effet, de nombreux propriétaires de chalets, sur Vaud et Fribourg, se battent en ce moment pour ne pas avoir à démolir leur infrastructure.

Or, en autorisant le village des pêcheurs à demeurer tel quel, le Canton créerait un précédent pour tous les autres propriétaires. D’où l’importance pour l’association de mettre en valeur l’aspect patrimonial et pédagogique de ce qui a été un véritable village regroupant une dizaine de familles de pêcheurs. Une organisation pratiquement unique autour du lac de Neuchâtel. Et pour rendre cette histoire encore plus palpable, l’association cherche à mettre en valeur les nombreux articles et photos d’archives qui témoignent de la vie dans le village.

L’enjeu est grand pour Pierre-Alain Chevalley. Car pêcheur n’est pas un métier comme les autres et la recherche d’un local est difficile. «C’est bien simple, résume le père de famille. Si on détruit ce cabanon, je risque de devoir mettre la clé sous la porte, faute d’endroit où travailler. J’en ai besoin, notamment pour épancher mes filets et m’occuper de mon poisson.»

Mais pour pouvoir continuer à exercer son métier de pêcheur à Yvonand, Pierre-Alain Chevalley sait que le site devra évoluer. «L’idée est de donner une nouvelle raison d’exister au village, tout en le rénovant. Le concept devrait être cohérent avec mon activité et la réserve naturelle. Les cabanons de loisir, ça c’est terminé, on l’a bien compris. Mais il faut sauver ce site. Pour toutes les familles de pêcheurs qui m’ont précédé.»

 

Les chalets de loisir seront plus difficiles à défendre

 

Le village des pêcheurs n’est pas le seul site que le Canton voudrait voir vierge de toute construction. Les propriétaires de cinq chalets situés aux abords de la plage du port ont aussi reçu la lettre demandant la destruction de leur bâtiment. Or ils leur sera difficile d’argumenter, comme le font les défenseurs du village, que leurs chalets ont une importance patrimoniale.
Concrètement, le terrain sur lequel sont bâtis les cabanons appartient au Canton. Un bail a été accordé au milieu du siècle dernier permettant à certains d’y construire un bâtiment dont ils sont les propriétaires. Ce bail était valable jusqu’au décès du locataire et de son épouse, et ce au maximum jusqu’aux alentours des années 90. Depuis cette date, le bail a été renouvelé tacitement. Cela signifie que depuis les années 90, les propriétaires des cabanons vivent avec une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête. Car les documents précisent bien qu’en cas de fin de bail, la parcelle doit être libérée de toute construction. C’est chose faite avec cette demande du Canton, qui estime que les baraques contreviennent aux objectifs d’aménagement du territoire et de protection de la nature.

Il n’empêche. Si le sort des infrastructures de loisir semble scellé, la façon d’agir demeure discutable. «Les propriétaires ont reçu la lettre en décembre et doivent avoir terminé la démolition le 1er avril. Nous sommes en plein milieu d’une pandémie et ce genre de travaux ne se réalisent pas en un claquement de doigts, souligne Guy-Daniel Beney, municipal. C’est pour le moins cavalier de la part du Canton…»

Massimo Greco