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Stéphane Cand, marginal matinal

11 avril 2019 | Edition N°2476

Sur son vélo, le Vaudois parcourt tous les jours le chemin qui sépare son domicile de Seiry à son travail, à Bière, en traversant tout le Nord vaudois. Soit 140 km aller-retour. À moins qu’il ne décide de rajouter une boucle…

Il est 18h10 lorsque Stéphane Cand arrive au rendez-vous. Il s’excuse pour les dix minutes de retard. «J’ai croisé des animaux sur le chemin. J’adore les animaux. Alors je me suis arrêté pour les prendre en photo et poster les images sur mon Facebook.» Le chemin dont il parle, c’est celui entre Bière et Seiry, qu’il parcourt tous les jours de la semaine… en vélo. «Disons entre 80 et 100% du temps. Parfois, je dois aller à Neuchâtel. Et vu qu’il n’y a pas de douche quand j’arrive… J’appelle ce concept le vélotaff, soit le fait d’aller travailler en vélo.» Une balade de santé pour ceux qui habitent à quelques pas de leur lieu de travail. Un véritable exploit sportif dans le cas de Stéphane Cand, puisqu’il roule au minimum 70 km par trajet, soit 140 km par jour.

Des sucreries pour avancer

Son périple débute généralement à 3h15 du matin. Après une courte nuit d’à peine six heures, le Vaudois d’origine alimente la machine. Son déjeuner durera au moins une heure. «Le meilleur moment de la journée, sourit-il. Je mange à peu près tout ce que je trouve. En temps normal, je brûle environ 6500 calories par jour. Ça représente pas mal de nourriture. Alors je commence tôt, et je mange beaucoup.» Mais l’homme n’est pas du genre à suivre un régime strict ou spécial. «Vous voulez savoir ce que j’ingurgite pour me donner de l’énergie sur mon vélo?», questionne-t-il en espérant nous surprendre. Il met alors sa main dans son dos, fouille dans une poche de son coupe-vent et sort… un gigantesque paquet de bonbons. Mission accomplie. «C’est du sucre rapidement absorbable par l’organisme. Essayez la prochaine fois que vous allez faire du sport!»

Qu’il vente ou qu’il neige

À 5h, le ventre bien rempli, Stéphane Cand peut passer le pas de sa porte et chevaucher sa bécane. Il en a deux, en fait. Un vélo de course avec qui il fait la paire la plupart du temps, ainsi qu’un bolide aux pneus plus larges pour quand il neige. Parce que non, ni la pluie, ni les flocons n’arrêtent Stéphane Cand. «Je préfère, même. Ça brise un peu la routine.» Ce que l’ultra-cycliste apprécie un peu moins, c’est le vent. Dans des conditions idéales, l’homme est réglé comme une horloge. À quelques minutes près, il a besoin de 2h15 pour rallier Seiry à Bière, en traversant tout le Nord vaudois (une grosse moitié de son parcours). «Mais avec le vent, il me faut parfois 3h30. Heureusement, j’ai un chef sympa. Il ne sait jamais trop quand je vais débarquer, mais il peut être sûr que, quoi qu’il se passe, je finis par arriver», se marre celui qui est employé à la base logistique de Bière. «Un boulot qui me permet de récupérer entre chaque sortie.»

C’est souvent au retour que Stéphane Cand dévie de sa trajectoire. L’homme va non seulement chercher des kilomètres supplémentaires, mais surtout du dénivelé. «Il y a trois jours, je suis rentré en faisant une boucle par la France voisine.» Résultat: près de 300 km sur la journée, 3500 m de dénivellation et une arrivée à bon port au milieu de la nuit. «J’ai de la chance de pouvoir compter sur une compagne compréhensive», sourit-il.

Cette charge de travail quotidienne, le quadragénaire s’y astreint volontiers. Avec un certain plaisir, même. Mais pourquoi? «Ça peut paraître dément pour des gens qui ne font pas de cyclisme, ou juste de temps en temps. On me dit souvent que je suis fou, marginal. Je le prends dans le bon sens. C’est même un compliment à mes yeux. En réalité, ce vélotaff, c’est à la fois un super entraînement et un de mes rêves. Je l’ai accompli. Maintenant, j’en ai encore deux autres.»

Deux rêves, deux records

Le premier, c’est de battre le record de pays traversés à vélo en une semaine. La meilleure marque est pour l’heure établie à treize. «L’idée, c’est de la repousser d’abord, puis de prendre un peu de marge au cas où quelqu’un cherche à me détrôner du Guinness Book. Alors je vise quinze!» Le 28 août, Stéphane Cand donnera le premier coup de pédale d’un challenge de 1905 km, qui le mènera de la Belgique à la Pologne.

Le second, encore plus fou, l’emmènera dans une traversée de l’Europe du Cap Nord, en Norvège, à Tarifa, en Espagne. Soit quelque 6400 km à accomplir, pour lesquels le sportif de l’extrême disposera d’un peu plus de 21 jours s’il entend ajouter son nom au livre des records. Une aventure qui l’obligera d’ailleurs à transformer son vélo en radeau grâce à un dispositif spécial l’espace de quelques hectomètres, dans le but de rejoindre le Danemark depuis la Suède. «J’aurais aimé profiter un peu de l’appareil. Prendre mon temps et effectuer une boucle sympa sur la mer, explique-t-il en nous montrant une vidéo de l’engin. Mais il y a un record à aller chercher, alors je me contenterai du strict nécessaire.» C’est d’ailleurs l’unique stade du voyage où cet homme de défis bénéficiera d’une aide extérieure. Pour le reste, il sera seul, confronté à lui-même. Rien qui ne l’effraie vraiment, donc.

 

568 km sur tapis de course

Avant de devenir un ultra-cycliste, Stéphane Cand est passé par la case course à pied. Une blessure d’usure au tibia l’a rapidement contraint à en faire un peu moins, puis à passer complètement au vélo. Reste que c’est baskets aux pieds et montre au poignet que le Vaudois a commencé à bâtir son inébranlable mental. «À l’époque, je faisais des compétitions de duathlon. J’ai toujours été suivi par un très bon médecin. Le jour où j’ai lâché, c’est quand on a compris que, pour passer professionnel, il fallait… Vous voyez», glisse-t-il en mimant le geste d’une piqûre. Alors l’homme s’est replié sur des défis différents, loin des courses de renom. «J’avais notamment battu le record de kilomètres courus sur un tapis en une semaine: 568! Il avait tenu deux mois», rigole celui qui n’est pas peu fier de rappeler qu’il a également bouclé trente marathons en neuf mois.»

 

Escorté par la police italienne sur une autoroute

Stéphane Cand ne se définit pas comme un écolo. «Mais le vélotaff, c’est bien un geste écologique. D’ailleurs, l’an prochain, je compte vendre ma voiture au profit d’un abonnement général de train. Disons que c’est ma contribution à cette cause, mais je suis loin d’être irréprochable.» Reste que, pour lui, les routes devraient être  davantage peuplées par les cyclistes, et un peu moins par les automobilistes. Et les autoroutes aussi, tiens. «Les autoroutes, c’est ce qu’il y a de mieux quand vous êtes perdus en vélo. C’est interdit? Si vous voulez. Cela m’était arrivé en Italie, à Venise. Je n’avais aucune idée d’où je me trouvais. Alors j’ai pris l’entrée d’autoroute la plus proche. Je roulais sur la bande d’arrêt d’urgence quand la police est arrivée. Les agents ont essayé de faire rentrer mon vélo dans leur voiture et de me faire dégager d’ici. Impossible. Alors ils m’ont demandé de les suivre. Ils ont allumé leurs feux, démarré et m’ont escorté jusqu’à la prochaine sortie. Et vu que j’étais toujours perdu après ça, ils m’ont même indiqué mon chemin.»

Florian Vaney