«Tout le vivant est positif»
30 janvier 2025 | Texte: Maude Benoit | Photos: Michel DuperrexEdition N°3881
Fondamentalement convaincu de l’importance de préserver notre monde végétal, le photographe Mario Del Curto, habitant de Sergey, met en avant la complexité du règne fongique – entre autres.
«Je me suis toujours attaché à photographier les exclus de la société», explique Mario Del Curto, dans son atelier lumineux et encombré de tous ses projets à Sergey. Photographe depuis l’âge de 17 ans, sa «passion irrationnelle», comme il le dit lui-même, l’emmène aux quatre coins du globe, à la rencontre du monde végétal, de l’art brut et des hommes.
À la fin de son ouvrage Humanité végétale (2019), Mario Del Curto s’intéresse aux questions agronomiques et survole la thématique des champignons. Il découvre alors un monde fantastique, de l’infiniment petit à l’incroyablement grand, des entrailles de la terre à la stratosphère. Pris d’intérêt pour le sujet, il en fait alors la thématique centrale de l’un de ses prochains projets.
Mario Del Curto, qu’est-ce que la photographie pour vous?
Je crois que la photographie, c’est ma relation au monde. C’est d’ailleurs plutôt elle qui m’a choisi que l’inverse. Elle permet une autonomie et une grande indépendance qui correspond bien à mon caractère.
On dit de vous que vous êtes un photographe engagé. Êtes-vous d’accord avec cette description?
J’essaie de donner du sens à ma vie et à mon travail. Des fois, j’ai l’impression qu’à l’époque où on vit – où ce qui est bien, c’est ce qui ne coûte pas cher –, dès qu’on essaie de bien faire son travail, c’est déjà un acte subversif. La photographie, c’est transmettre une pensée, son sentiment. Quand je vois la situation planétaire qui est peu réjouissante, j’essaie d’apporter quelque chose de positif au monde. C’est peut-être un peu prétentieux, mais c’est quelque chose que j’ai dans ma tête. Enfin, quand je pense à ma pratique, j’ai toujours le sentiment d’être au début de ma carrière.
Qu’est-ce qui vous inspire?
Ce qui nourrit ma conscience et ma sensibilité, c’est la lecture. Je lis de l’ethnologie, de la sociologie, de la philosophie pour affiner mon esprit et ma manière de regarder le monde. Actuellement, l’un des sujets qui m’inspirent, c’est toute la relation au végétal. Par mon travail, j’aimerais montrer la complexité du vivant. J’ai le sentiment que la technologie numérique qu’on introduit partout crée une humanité hors-sol. Or, je pense qu’on doit garder un contact avec l’essentiel de ce qui nous fait vivre.
C’est le sujet de votre livre Humanité végétale (2019), n’est-ce pas?
Quand j’ai fait Humanité végétale, je me trouvais stupide de me poser la question (à mon âge) «pourquoi il y a de la terre sur la Terre?». Quand on y réfléchit, on change complètement son regard sur l’environnement et sur le monde. On se dit qu’il y a quelque chose de fondamental qui a permis à l’humanité de vivre et de survivre. Il y a tout un environnement d’une complexité biologique parfaite, constamment en mouvement, qu’on doit préserver au détriment de l’excitation générale autour du matérialisme, de l’argent et de la consommation.
Vous continuez ce travail en vous intéressant aux champignons. Comment vous y prenez-vous?
La première chose, c’est qu’il faut pouvoir trouver des financements. Et c’est toute la difficulté du métier. Ensuite, même si je ne suis pas scientifique, en abordant la question des champignons, on aborde l’une des plus grandes complexités du vivant. Au fur et à mesure de mon travail, et grâce aux connaissances de Katia Gindro, la responsable du département de mycologie à l’Agroscope de Changins, dont je me suis nourri, j’ai découvert de nouvelles facettes du champignon.
Pouvez-vous nous en décrire quelques-unes?
J’ai notamment appris que les spores de champignons participent à la formation des nuages et qu’il y a énormément de champignons dans l’atmosphère. Comme je connais des pilotes d’aérostat, on a imaginé, avec Katia, de faire des prélèvements en altitude à près de 6000 mètres. À côté de cela, on est en train de développer un projet avec MétéoSuisse pour aller prélever des spores jusque dans la stratosphère (32 000 mètres d’altitude).
Rencontrez-vous des difficultés?
On peut vite tomber dans la réalisation d’un guide mycologique. Ce qui est d’ailleurs très bien. Mais ce n’est pas mon objectif. J’ai donc aussi photographié quelques champignons en studio, comme des sculptures, en admirant le champignon dans sa forme. Car toutes les formes ont un sens. La manière dont le champignon est texturé est le résultat d’une longue évolution, pour trouver une solution à son existence.
Pour ce projet, vous êtes allé dans plusieurs endroits du monde, et notamment en Chine. Pourquoi?
Dans un chapitre, je m’intéresse à l’utilisation du champignon sur le plan alimentaire et médicinal. Les Chinois sont sans doute les premiers à avoir utilisé les champignons pour leurs vertus médicinales et à en avoir maîtrisé la culture à grande échelle. Je suis parti rencontrer le professeur Zhu qui a mis au point une culture de morilles à grande proportion. Il a également mis au point la culture de la truffe avec une production plus de dix fois supérieure à ce que l’on fait en Europe!
Je me suis aussi rendu dans la ville historique de la culture du champignon en Chine, où on le cultive depuis le XIe siècle et où de nombreux petits producteurs continuent de faire vivre ce savoir-faire.
Et plus proche de chez nous?
J’ai travaillé avec Floyd Fungi, producteur de champignons à Pompaples. Parce que je trouve intéressant ce que les petites structures et les amateurs peuvent apporter à la science, en dehors des gros laboratoires. Il y a encore tellement de choses à apprendre des champignons et sur eux. On essaie d’aller sur Mars, mais on ne sait même pas à quoi servent certains champignons.
Quand sait-on qu’on est au bout du travail?
On le sent, on le sait. On ressent une certaine lassitude. Quoique, quand je vais me promener, je ne peux m’empêcher de prendre en photo des champignons de tronc.
Le livre est prévu pour l’année prochaine. Le but, c’est de faire un livre qui fascine par la beauté, par la complexité du champignon et de montrer que tout le vivant est positif.
Infos pratiques
Pour voir le travail de Mario Del Curto: Fungi, un monde sans fin, exposition dans le hall du Rolex Learning Center, à l’EPFL, jusqu’au 23 février 2025.