Un avion de légende renaît à Fiez
15 juillet 2014Un habitant du village a œuvré près de vingt ans à la reconstruction du «Grandjean 3», le premier avion réalisé grâce au savoir-faire suisse.
Membre de l’Air-Club d’Yverdon-les-Bains et titulaire d’une licence de pilote privé depuis une quarantaine d’années maintenant, Michel Porchet est aussi un maître menuisier installé à Fiez. C’est là qu’en 1995 est né chez ce passionné le projet de reconstruire à l’identique le premier avion de conception et de fabrication entièrement suisses, le «Grandjean 3» du nom de son concepteur.
L’appareil original datait de 1913 et présentait la particularité de comporter un train d’atterrissage pouvant être équipé alternativement de roues, de patins ou encore de flotteurs. Ce qui en a fait, d’ailleurs, le premier avion au monde à s’être posé sur la neige ; c’était à Davos. Les flotteurs, pour leur part, permirent à René Grandjean de gagner le Prix Eynard. Une épreuve qui consistait à voler en trois étapes de Chillon à Versoix (69 km) en se posant sur l’eau à Ouchy, Rolle et Coppet. A chacune de ces étapes, le moteur devait être arrêté, puis remis en marche sans l’assistance de quiconque. Ce qui fut rendu possible grâce à un système de dynamo original.
Si René Grandjean, formé au départ dans la scierie de son père, avait les compétences pour construire un avion, c’est grâce à sa rencontre fortuite avec l’ingénieur Rudolf Egg qu’il put le doter d’un moteur : Egg était en effet l’inventeur du moteur Oerlikon. Par analogie, si Michel Porchet s’entendait bien à construire la cellule, il en allait différemment de la motorisation de l’appareil.
Il reste au monde quatorze de ces moteurs Oerlikon, et le Musée des Transports de Lucerne a accepté de mettre le sien à disposition afin qu’une copie puisse en être faite puisqu’aucun plan n’existait. Grâce à l’Ecole d’ingénieurs du Nord Vaudois qui reconstitua les plans et à une collaboration étroite, pour fabriquer les pièces, avec l’École des métiers de Lausanne, les écoles professionnelles d’Yverdon et de Sainte- Croix, les écoles de mécaniciens d’aviation de Meiringen, Payerne et Sion, ainsi que quelques entreprises privées, la copie conforme du moteur d’origine développant 60 CV put être réalisée.
Comme son modèle original, l’appareil est démuni de freins. Sa vitesse au sol ne peut être influencée qu’au moteur. Les commandes de vol se limitent d’ailleurs au strict minimum : le manche à balai, la manette des gaz et la commande d’ouverture de l’arrivée d’essence. Idem pour les instruments de navigation qui comportent un indicateur de température du moteur, un compte- tours et, monté séparément sur l’aile, un indicateur de vitesse. Avec un réservoir de 35 litres d’essence indice 98, l’autonomie de vol de l’avion est d’environ 2 heures.
A la reconquête du ciel
L’ Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) a conservé un oeil vigilant sur la construction de l’appareil de Michel Porchet. Il a achevé les vérifications techniques de l’avion en juillet 2013 et convenu pour la suite d’un programme précis pour les essais en vol. Un permis de vol limité a été octroyé pour la première phase des essais. Ceux-ci se limitent à décoller, stabiliser l’appareil et atterrir sans changement de direction. Ils ont lieu sur l’aérodrome d’Yverdon- les-Bains dont la longueur de piste (800 mètres) suffit tout juste à la réalisation de ce programme. Lorsque cette phase d’essais sera terminée, un rapport sera adressé à l’OFAC. Sur quoi l’avion sera autorisé à accomplir des tours de piste pour une seconde phase d’essais. Un nouveau rapport sera alors établi, sur la base duquel, enfin, l’avion recevra l’autorisation de voler sur l’ensemble du territoire suisse.
Cela fera bientôt vingt ans que Michel Porchet a commencé à travailler sur ce projet. Avec la complicité du Musée des Transports, des écoles que nous avons citées et de quelques aides, notamment pour le montage et le démontage périodique de l’appareil, on peut dire qu’il est maintenant à bout touchant. Son objectif était non seulement de reconstruire à l’identique l’avion de 1913, mais de démontrer qu’il peut voler.
Toutefois, Michel Porchet admet volontiers qu’il n’ambitionne pas de traverser le pays aux commandes de sa «drôle de machine». Laquelle, soit dit en passant, fut utilisée par l’Armée durant la Première guerre mondiale comme avion de reconnaissance !
Pour l’heure, faute de place dans les hangars de l’aérodrome d’Yverdon, en particulier durant la belle saison, l’avion a été démonté. Confiné dans une remorque, il ne sera redéployé qu’à l’automne afin de poursuivre ses essais en vol.