Logo
Un curieux héritage
Bettina Stefanini, directrice de la SKKG, et Dominique Alain Freymond, président de la FCG, étaient présents. DR

Un curieux héritage

1 avril 2025 | Texte: Véronique Meusy
Edition N°3920

Bruno Stefanini, collectionneur compulsif, ancien propriétaire du château de Grandson, était à l’honneur à la salle des Quais à Grandson jeudi dernier. Quelque 150 personnes étaient présentes pour découvrir son histoire et rencontrer Thomas Haemmerli, le réalisateur du documentaire Un curieux héritage – Die Hinterlassenschaft des Bruno Stefanini.

«Mon père pouvait être parfois génial, chaotique ou contradictoire», résume Bettina Stefanini, directrice de la SKKG (Fondation pour la protection de l’art, de l’histoire et de la culture), juste avant la projection du film sur l’histoire fascinante de son père, jeudi dernier à la salle des Quais de Grandson.

La SKKG est le plus grand investisseur privé du canton de Vaud pour les rénovations et c’est une grande chance pour Grandson que Bruno Stefanini soit tombé amoureux de son château. Une chance que n’ont pas toutes les forteresses, dont les restaurations sont toujours coûteuses. À ce jour, 52 millions de francs ont été investis par la SKKG dans le canton.

Amoureux, peut-être un bien grand mot, mais à l’idée qu’un cheikh arabe puisse acheter le monument grandsonnois, il a tout fait pour qu’il fasse partie de sa collection. «Le château sera ouvert à 100% au public, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de châteaux, car en général les propriétaires gardent une partie de ces monuments pour leur usage privé», rappelle Dominique Alain Freymond, président de la Fondation du Château de Grandson (FCG). «Et grâce à ses rénovations de grande envergure, le château est vivant.»

Collectionneur compulsif

Bruno Stefanini avait un empire immobilier et était un collectionneur compulsif. Il est né en août 1924 à Winterthour, où il est décédé en décembre 2018, ses parents avaient un restaurant italien et il avait un grand frère, Aldo. Bruno découvre l’art avec sa mère qui collectionne les antiquités et très vite, pour tromper sa solitude, il commence à collectionner des timbres, puis toutes sortes de choses, des coquillages, des savons, des plumes…

Il commence des études, défiant son maître qui lui dit que ce n’est pas pour lui, et se fait renvoyer de l’école. Il est trop rebelle pour ses enseignants. Il accomplit son service militaire et devient officier. Il épouse Veronika Winniger, avec laquelle il a trois enfants: Christoph, Bettina et Vital. C’est sa femme qui s’occupe de l’éducation des enfants, car il est trop occupé par sa carrière.

Bruno Stefanini avait beaucoup de flair pour anticiper les besoins, ainsi il a été le premier à construire des immeubles de plusieurs étages en préfabriqué pour des appartements bon marché. Il devient pilote afin de pouvoir repérer depuis le ciel les terrains non bâtis. Il est propriétaire notamment du gratte-ciel Sulzer, en pleine ville de Winterthour. En 1940, il fonde la société d’administration et de gestion de biens immobiliers Terresta. Il achète, il construit à tour de bras, mais il ne fait pas les entretiens de tous ces immeubles, ce qui a entraîné de nombreuses plaintes. «C’était un véritable Picsou, il ne voyait que la couleur de l’argent, s’exclame Bettina. Cependant, il pouvait aussi être généreux.»  Il possédait environ 280 propriétés en Suisse, dont quatre châteaux (Grandson, Luxburg, Salenstein et Brestenberg).

En fait, il est ambivalent: il pouvait dire que laisser la radio sur le chantier coûtait trop cher et juste après donner 1000 francs à un ouvrier. C’était un travailleur acharné, un homme à femmes, un autodidacte qui n’avait pas peur de prendre des risques et c’était un fin négociateur.

En 1980, il crée la fondation pour l’art, la culture et l’histoire (la SKKG donc) qui compte environ 34 000 pièces, sa propre collection bien sûr.  C’est l’une des collections d’art privées les plus importantes en Suisse. Bruno Stefanini avait le syndrome de Diogène, collectionnant tout et n’importe quoi. Il peut acheter plusieurs objets en un jour, certains très précieux, et d’autres beaucoup moins, comme une quantité de mannequins retrouvés au fond d’un bunker, qui ont dû être jetés en raison de leur mauvais état.

Il aimait la sculpture, l’art érotique, les figures historiques, les uniformes, des œuvres d’art de Hodler, Anker, Giacommeti ou encore Vallotton, le lit de Napoléon Bonaparte, des objets du général Guisan ou encore les sous-vêtements de l’impératrice Sissi. Une base de données publique et gratuite permet de découvrir son immense collection hétéroclite et d’y prendre des images sur le site de la SKKG.

Il a eu envie de créer un musée vulgarisé pour les personnes non cultivées, en pensant l’installer dans le château de Brestenberg. Dans une sorte de bunker, il y met ses collections, mais ne s’en occupe pas. Il ne terminera jamais la restauration du château, ni la création de son musée. Il disait même qu’il ne saurait pas où retrouver les objets achetés.

«Nous aimerions prêter des objets de cette immense collection pour des expositions temporaires dans les musées, créer une artothèque, soit un endroit pour emprunter des tableaux à mettre chez soi, mais on pense aussi amener certains objets dans les écoles afin de permettre aux enfants de les étudier, car tout n’est pas précieux dans cette collection», précise Bettina Stefanini à la fin de la projection.

Ce film sera dans les salles de Suisse romande cet automne.