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Un fin stratège aux commandes du navire Leclanché
Yverdon, 05.10.18, Leclanché, visite, Anil Srivastava (CEO). © Carole Alkabes

Un fin stratège aux commandes du navire Leclanché

18 octobre 2018 | Edition N°2355

Yverdon-les-Bains  –  Après trois ans à la tête de la société productrice de batteries lithium-ion, Anil Srivastava a accepté de parler de sa stratégie entrepreneuriale. Il dévoile ses forces, ses faiblesses et ses regrets.

Rouge: c’est la couleur du logo de Leclanché, mais aussi des comptes de l’entreprise yverdonnoise spécialisée dans le stockage d’énergie depuis 1909. En deux décennies, elle a en effet accumulé les dettes, passant de 28 millions de francs en 2015 à 31,8 millions en 2017. Ces dernières pertes opérationnelles sont, selon la société, en partie dues à des évènements exceptionnels, comme des frais d’avocats et d’intermédiaires liés au nouveau plan de financement. Car il y a bien une stratégie mise en place pour renouer avec les chiffres noirs.

Discret jusqu’à présent, Anil Srivastava, directeur général de Leclanché, a accepté de présenter sa vision des affaires. «La plupart des Nord-Vaudois ont vu la compagnie devenir de plus en plus petite depuis qu’elle a arrêté de produire des batteries traditionnelles, en 2006, pour développer des cellules lithium-ion. Certains ont même cru qu’elle était morte. Mais non, la société est bien vivante et elle est même l’une des entreprises de stockage d’énergie qui grandit le plus vite dans le monde», assure celui qui a embauché 47 personnes, dont 23 sur le site d’Yverdon-les-Bains, ces six derniers mois. Et de promettre: «On a déjà doublé nos revenus ce premier semestre et on va atteindre 100 millions de francs de chiffre d’affaires et l’équilibre opérationnel d’ici à 2020, tout en diminuant de moitié nos pertes chaque année.» Si l’Urbigène d’adoption est si sûr de réussir, c’est parce qu’il a habilement placé ses pions sur l’échiquier.

Trois ans pour redresser la barque

«Je ne blâme personne mais, quand je suis arrivé (ndlr: en 2015), il n’y avait pas de produit fini, pas de marché en vue et pas de stratégie, contrairement à ce qu’on m’avait annoncé», raconte Anil Srivastava. En effet, cela faisait sept ans que Leclanché était en train de développer une cellule pour stocker un mégawatt-heure (MWh), soit une cellule lithium-ion. «C’est beaucoup trop long», admet-il. Et surtout, ce n’était que le début de l’aventure puisque la phase de production devait encore être lancée. «Pour être clair, nos concurrents nous avaient déjà devancés quand j’ai repris les rênes

Le site de production yverdonnois des batteries lithium-ion. © Carole Alkabes

Le site de production yverdonnois des batteries lithium-ion. © Carole Alkabes

Pour rattraper ce retard, le directeur d’origine indienne n’avait plus qu’une solution: «Personne n’achète une cellule lithium-ion, on achète une batterie complète. Pour commercialiser un produit, il fallait encore tout le reste (ndlr: c’est-à-dire des composants informatiques, électroniques et électriques).» C’est pourquoi l’entreprise yverdonnoise a acheté deux sociétés, Trineuron (BEL) et Integrated Dynamics Inc (USA), et acquis une licence de programme informatique auprès d’Ads-Tech (ALL). Ce combo lui a permis de dénicher les compétences qui lui manquaient pour maîtriser du début à la fin la chaîne de production d’une batterie. «C’est la stratégie de base du nouveau Leclanché, dont les batteries sont conçues pour trois domaines: les bus et ferries, le stationnaire – comme un appoint au réseau électrique – et la robotique», précise l’ingénieur de formation.

Grâce à ces importants investissements, la compagnie est persuadée de pouvoir remonter la pente. «Les pertes ont augmenté car j’ai dû investir beaucoup, ce qui n’avait pas été fait depuis des années. Et comme il n’y avait aucun produit à vendre, il n’y avait pas de revenu pour compenser ces dépenses», explique Anil Srivastava. Mais la donne est en train de changer, selon lui: «On entre dans la phase de commercialisation avec des unités lithium-ion qui peuvent fournir désormais plus de 100 MWh. Aujourd’hui, on peut parler de Leclanché, car on a des résultats. Mais la stratégie, je l’ai lancée en 2015.»

D’importants contrats en ligne de mire

Ce n’est donc pas sans raison que le patron a renoué des liens avec les médias depuis quelques temps, ouvrant même ses portes aux journalistes. «On a de très gros contrats en cours, notamment avec l’une des plus grandes sociétés de ferries au monde et un partenariat exclusif avec le leader du transport public en Inde», dévoile Anil Srivastava.

Avec une vingtaine d’employés sur la chaîne de production yverdonnoise, est-ce que l’entreprise Leclanché possède les ressources suffisantes pour préparer autant de batteries? «C’est notre problème actuel, on ne grandit pas assez vite. Je me bats avec un triple challenge en même temps: augmenter le nombre de clients, accroître les capacités industrielles et organisationnelles, et lever des fonds en parallèle, précise le chef d’entreprise. On a la chance que nos actionnaires nous soutiennent et qu’ils aient débloqué, pour la première fois, 75 millions de francs cette année, alors qu’ils investissaient à coup de dix millions de francs auparavant.» En même temps, l’ancien collaborateur de HP et d’Alcatel ne leur a pas laissé le choix: «Je leur ai dit que c’était soit ils nous donnaient de l’argent, soit je partais, a-t-il déclaré. S’ils ont accepté d’investir, c’est parce qu’ils savent qu’on a des contrats quatre fois supérieurs à notre chiffre d’affaires.» Et l’ex-président de plusieurs entreprises internationales de conclure: «Avec le marché du stockage d’énergie, c’est soit on pense grand, soit on vend le business. Même si on est petits, il faut être grand dans ses ambitions

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Confidences du directeur

Trois grands regrets

Anil Srivastava a réussi à donner un cap à un navire qui voguait dans le brouillard. Mais il s’est heurté à quelques icebergs. «On a commis des erreurs, bien sûr, mais je pense que mon plus grand regret, c’est de ne pas avoir eu le courage de dire que Leclanché était redevenue une start-up à mon arrivée. J’ai dû définir un produit, un marché cible et une stratégie claire. Et ça, c’est le propre d’une start-up», indique le directeur, qui compare sa compagnie à la multinationale américaine HP. «Prenons l’exemple de l’informatique. Lors de la révolution numérique (ndlr: dès la commercialisation des ordinateurs pour le grand public), seules deux sociétés ont survécu: IBM et HP. Mais elles ont complètement changé. Elles ont juste gardé le nom. C’est la même histoire pour nous

Autre regret: ne pas avoir demandé plus vite davantage d’argent aux investisseurs.

Finalement, si la reprise de Leclanché a représenté «un petit challenge» pour Anil Srivastava, il a dû faire quelques sacrifices. «J’ai sous-estimé le changement d’état d’esprit entre une entreprise comme Areva (ndlr: il a créé le département des énergies renouvelables, qui a été revendu plusieurs milliards d’euros) et Leclanché. De 2004 à 2013, j’avais un chauffeur, maintenant, je viens en train!»

Christelle Maillard