Un professeur Tournesol à Mauborget
30 mai 2025 | Textes: Jérôme Christen | Photos: Michel DuperrexEdition N°3951
Roland Sauter a quelque chose du professeur Tournesol. Non pas physiquement, mais par son inventivité et son côté rêveur. Et son atelier de Mauborget a quelque chose de celui du héros de Hergé. Il regorge d’outillage, c’est la vraie tanière du bricoleur. Après avoir consacré sa vie à l’informatique et la formation, il se voue depuis quelques années à l’art cinétique en construisant des «machines» hors du commun.
Il aura fallu quelque cinquante ans pour que Roland Sauter finisse par mettre à profit sa formation d’ingénieur en électronique au «poly» comme on appelle familièrement l’EPFZ. Un domaine qui, à l’époque, l’intéressait peu, tant et si bien qu’il s’est très vite tourné vers l’informatique, puis la formation dans le domaine de la direction de projet. «Après une vie bien remplie, à parcourir le monde pour mon travail, l’âge venant, je me suis dit que c’était le moment de passer la main. J’ai vendu mon entreprise à un groupe de formation et j’ai décidé de me consacrer à mes passions, la photo et le bricolage. »
Panneaux solaires orientés
C’est en 2009 qu’il s’est installé à Mauborget: «Un très bel endroit, très ensoleillé. Je me suis dit qu’il fallait profiter de l’énergie solaire. J’ai donc construit une installation de panneaux qui, motorisés, s’orientent en direction du soleil, pilotés par des microprocesseurs qui calculent l’angle optimal en fonction de l’heure du jour et du jour de l’année.» Une installation pionnière pour l’époque. «J’ai adoré faire ça, cela m’a redonné le goût à l’électronique et la construction mécanique que j’avais perdu au poly» raconte Roland Sauter, rayonnant.
Le mécanisme doit être invisible
En 2022, il a été sollicité pour trois expositions de photos quasi simultanées, à Prahins, à Genève et au château de La Sarraz. «Au moment du finissage, je me suis dit que j’allais faire une dépression post-partum. Il fallait donc que je relance quelque chose, j’ai ouvert mes tiroirs et je suis tombé sur ce vieux projet que j’avais commencé il y a 25 ans : une sphère ou un ellipsoïde capable de remonter une pente. Je l’avais abandonné car c’était mécaniquement pratiquement infaisable. Mais entre-temps, il y a eu une invention merveilleuse – l’imprimante – qui m’a permis de faire des pièces d’une complexité incroyable avec une très grande précision. Et j’ai pu réaliser mon rêve.» Roland Sauter s’est fixé une énorme contrainte de base: «Tout ce qui est mécanique et électronique devait être invisible pour ne laisser qu’un mouvement méditatif, très tranquille. Par la suite, j’ai complété l’expérience en l’accompagnant de morceaux de musique méditative. Mon objectif est de transformer un objet qui contient énormément de technique, de mécanique, d’électronique, de microprocesseurs, de programmation, en un objet qui a l’air d’une simplicité et d’une pureté évidentes.»
Electronicien ou artiste ?
Lorsqu’on lui demande s’il est plus électronicien-informaticien ou artiste, Roland Sauter répond «qu’il a toujours été persuadé que la culture n’apparaît jamais dans un seul monde, toujours aux interstices entre deux cultures. Si on prend Grenade et Séville, c’est une architecture extraordinaire, parce que c’est la rencontre entre l’art islamique et celui des Habsbourg et des Carolingiens. C’est la rencontre de deux cultures qui aboutit à quelque chose d’extraordinaire. A Appenzell, où aucun étranger n’a pénétré pendant plusieurs siècles, ils ont toujours peint des vaches qui montent à l’alpage de la même manière. C’est à cet interstice entre les cultures que les choses apparaissent. Pour moi, c’est à l’interface entre l’homme et la machine, entre la psychologie et l’informatique. Je me sens comme un bâtard qui mélange beaucoup de savoirs. C’est une position privilégiée, parce que pour fabriquer de telles machines, il faut des connaissances en programmation, électronique, mécanique et construction. Peu de gens peuvent faire ça, c’est une niche dans laquelle je ne me sens parfaitement à l’aise. Je me sens ni l’un ni l’autre, un peu comme une particule quantique qui a plusieurs états en même temps.»
Roland Sauter, âgé de 78 ans, expose ses machines chaque année à Mauborget lors du marché artisanal en novembre. «Chaque fois que je sors d’un musée d’art contemporain, je me dis qu’elles y trouveraient bien leur place, plus intéressantes que pas mal de productions. Cela restera des pièces uniques. J’ai passé énormément de temps à les refaire pour arriver à ce degré de finition où il n’y a aucune aspérité à laquelle on pourrait s’accrocher. Les vendre serait difficile, car la personne qui voudrait en acheter une devrait se demander ce qu’il se passe lorsque la machine tombe en panne et que son concepteur est mort. Certes, il existe des ateliers d’art cinétique qui peuvent réparer ce genre d’objets. Mais c’est quand même compliqué. Il faudrait pouvoir s’assurer de la disponibilité des pièces de rechange et mettre en place une énorme infrastructure logistique. Je préfère avoir des machines uniques et les montrer.»
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Pour tenter de comprendre
La machine ci-dessus est la dernière en cours de construction. Elle se compose de trois soucoupes volantes qui se déplacent verticalement et de manière aléatoire. A l’intérieur de chacun de ces ellipsoïdes, il y a un moteur et un système électronique et mécanique qui entraîne le mouvement. Le cœur est composé de plus d’une vingtaine de roulements à billes, une cinquantaine d’aimants, pas mal d’engrenages et des axes. Une sorte de sandwich composé de sept pièces différentes imprimées en 3D et qui sont imbriquées les unes dans les autres. Celle qui est au centre contient le moteur avec les engrenages, la suivante, les paliers qui permettent de garantir la verticalité du mouvement de la pièce. Un système entraîne le courant électrique dans des tiges de laiton dans lesquelles il circule. Un système de positionnement permet à la soucoupe de se plaquer au bon endroit. Il n’y a pas de vis, car elles transmettraient les vibrations du moteur à la coque et créeraient un bruit désagréable. Pour éviter la transmission du bruit, il y a des blocs absorbants.
Un simulateur de formation pour apprendre en jouant
Le parcours de vie de Roland Sauter est peu commun. Il a passé une grande partie de sa vie dans l’informatique en Suisse et à Paris. Il était responsable du développement de logiciels dans une entreprise tessinoise qui faisait de la conception assistée par ordinateur et de la fabrication assistée par ordinateur (CAD/CAM). Une activité qui permet d’améliorer et d’accélérer la conception et la réalisation d’outillage de précision. A 40 ans, il a décroché un diplôme d’études supérieures axé sur la direction et la gestion d’entreprise (MBA). Il s’est mis à dispenser des formations en direction de projet. Au bout de quelques années il a trouvé «ennuyeux d’expliquer des choses à des gens qui m’écoutaient tranquillement. Je me suis dit qu’il fallait trouver une autre méthode et j’ai développé un simulateur de formation pour la direction de projet. Comme un simulateur de vol, mais pour piloter un projet. Mon programme a eu un succès assez inespéré. Il a été traduit en 23 langues, dont le mandarin, le coréen, le japonais, le serbo-croate, le russe. Et vendu dans une cinquantaine de pays. J’ai dû créer une entreprise, engager du personnel, prendre mon bâton de pèlerin et parcourir la planète pour le vendre aux quatre coins du monde.
Ce projet est né dans des circonstances très particulières : «Je m’étais beaucoup intéressé à ce qu’on appelle l’ergonomie du logiciel, partant tout bêtement d’une contradiction qui m’interpelle toujours. Au Japon, je voyais des gens sortir de leur bureau, payés pour avoir passé toute une journée derrière leur ordinateur, puis se mettre à payer pour jouer sur des consoles de jeux. Il y avait deux sortes d’ordinateurs. Ceux qui sont emmerdants et ceux avec lesquels on peut avoir un plaisir fou. Je me suis donc dit qu’il fallait arriver à trouver une interface qui soit ludique. C’est ainsi que j’ai développé un simulateur de formation pour apprendre avec plaisir.»
Après la mise au point de son simulateur de formation, Roland Sauter a lancé en 1999 un projet de formation (pour la direction de projet) en ligne (e-learning). « Au début, économiquement, c’était un flop complet. C’était précurseur. Heureusement que j’avais le simulateur qui me permettait de faire rentrer de l’argent. Et ce n’est qu’avec le temps qu’il a fini par susciter de l’intérêt.»