Daniel de Raemy quitte volontairement le conseil de fondation de la Fondation du Château de Grandson pour se consacrer à ses projets historiques, dont nombreux sont tout de même en lien avec Grandson.
Entré au conseil de la Fondation du Château de Grandson en 2020, l’historien yverdonnois Daniel de Raemy a récemment décidé de quitter cet organe. Pour le remplacer, Nicolas Delachaux, architecte du patrimoine reconnu, et Karin Hilzinger, experte en communication, tourisme et innovation, sont venus renforcer les rangs du conseil. Dès lors, Daniel de Raemy pourra se consacrer à l’écriture, entre autres, de l’histoire des édifices implantés sur les pourtours du lac de Neuchâtel. «C’est un lac que j’aime bien, même si je ne pratique pas la voile et que je ne suis pas très aquatique», confie-t-il en souriant.
Historien couteau suisse, son expertise est «à la croisée entre l’histoire de l’art, l’histoire et l’archéologie», comme il l’explique lui-même. «Pour chacun des spécialistes de ces disciplines, je suis toujours celui qu’il n’est pas. Pour les historiens de l’art, je suis un historien. Pour les historiens, je suis archéologue (rires). En définitive, je travaille surtout sur les textes, même si j’ai bien sûr participé à des chantiers de fouilles. Disons que j’ai passé par tous les domaines utiles pour documenter un objet en trois dimensions.»
Cette interdisciplinarité lui permet également d’avoir une appréciation de ces édifices sur le long terme. «Quand je m’intéresse à du patrimoine ou à des morceaux d’édifice, j’aime étudier toutes les époques qui l’ont traversé, de sa construction aux périodes plus tardives», explique-t-il.
Dans le Bourg d’Othon
D’Estavayer-le-Lac aux châteaux gallois, en passant par l’Auvergne et Grandson, revenons un peu sur ses sujets de prédilection et sur ses projets futurs. «Le château de Grandson, c’est le tout début de ma carrière», raconte Daniel de Raemy. Tout juste diplômé d’une licence (aujourd’hui master) en 1983, son premier mandat consistait en l’étude historique et architecturale du château emblématique de Grandson. Depuis, il ne l’a jamais vraiment quitté. «Je devais faire le point de la situation sur les connaissances du château, au moment où il venait tout juste d’être racheté par Bruno Stefanini. Depuis, j’ai toujours suivi les différents chantiers de fouilles effectués dans le château, au fur et à mesure que monsieur Stefanini effectuait des travaux d’entretien», explique l’historien.
En 2010, le propriétaire du château, Bruno Stefanini, «change son fusil d’épaule» et décide de réaménager l’édifice pour dynamiser sa dimension muséale. Quand il meurt en 2018, c’est la fondation qu’il possède, la Stiftung für Kunst, Kultur und Geschichte (SKKG), qui le reprend. Puis, en 2021, année officielle de la retraite de Daniel de Raemy, Bettina Stefanini, la fille de l’ancien propriétaire et directrice de la SKKG, a officiellement chargé l’historien d’aller fouiller «les archives savoyardes de Turin (XIIIe-XIVe siècles), celles des seigneurs de Chalon à Besançon (XVe siècle) et la comptabilité des baillis bernois et fribourgeois à Lausanne et Fribourg (XVIe-XVIIIe siècles)». Une tâche qui a donc retenu son attention et ce, déjà dans son premier rapport au tout début de sa carrière. En effet, comme nous ne disposons pas des sources de la famille de Grandson, il est impératif d’étudier le château au moyen de documents périphériques et de comparaisons avec d’autres édifices présentant des caractéristiques communes, comme ceux du Pays de Galles ou de l’Auvergne.
Aujourd’hui, ce travail arrive à bout touchant et il est désormais temps de croiser les textes avec les rapports de fouilles pour écrire enfin un texte de synthèse sur le château de Grandson. Daniel de Raemy quitte dès lors le conseil de fondation pour se consacrer, entre autres, à cette tâche. À noter que l’historien ne part pas très loin, puisqu’il fait partie du comité scientifique qui travaille au projet de la nouvelle muséographie du château.
Des projets pour le futur
En plus de ce travail de synthèse grandsonnois, la liste des projets entrepris par Daniel de Raemy est longue comme l’histoire d’Estavayer-le-Lac, ville dont il est le spécialiste mondial. «Bon, il faut dire que peu de personnes se sont pressées au portillon pour ce titre», rit-il. Si l’historien s’est intéressé à cette agglomération historique, ce n’est pas pour rien. «Je suis plutôt un visuel. J’aime comprendre le cadre dans lequel je vis, comprendre pourquoi un édifice est implanté à tel endroit ou pourquoi cette route passe par là. J’aime faire le lien entre les archives et le terrain, faire une enquête matérielle et textuelle», confie-t-il.
Ainsi, s’il lui est permis de mener à bien son idée, Daniel de Raemy souhaiterait qu’un inventaire de l’architecture civile yverdonnoise soit réalisé, sur le modèle du travail qu’il avait effectué pour Estavayer. Car au fur et à mesure de toutes ses recherches, Daniel de Raemy a déjà amassé un certain nombre de documents sur la question. «Il faut dire qu’avec le numérique, on peut avoir les archives sur son ordinateur à présent!»
Expert des grands édifices, il s’intéresse également aux potiers de terre yverdonnois et à leur travail méticuleux de la faïence, que ce soit pour les poêles en catelles ou la vaisselle domestique. En faisant des fouilles archéologiques dans la rue des Moulins, de nombreux vestiges ont été retrouvés. «Ma collègue jurassienne travaille sur les objets archéologiques et moi, je vais chercher dans les archives de la Ville ce que je peux trouver sur le cadre social dans lequel vivaient ces potiers de terre», explique Daniel de Raemy.
Enfin, Daniel de Raemy travaille également sur les archives du district d’Echallens pour appuyer le travail de ses collègues des monuments d’art et d’histoire du canton de Vaud où, au travers des sources qu’il rencontre, passent sous ses yeux des mentions de Grandson. On y revient toujours.
Mais malgré tous ces projets en route, Daniel de Raemy admet également vouloir consacrer plus de temps à ses proches. «La compagnie des archives est une bonne compagnie, mais si vous écrivez un livre de plus ou de moins, ça ne changera pas grand-chose, même si c’est une passion. Ce sont finalement les relations humaines qui sont importantes.»
Des anecdotes au château des Chalons
«Ce que j’aime dans la lecture d’archives, c’est que je lis des textes inédits que personne n’a lus. Ensuite, il faut construire des ponts entre ces discours qui ne sont jamais univoques.» Ainsi, Daniel de Raemy a fait plusieurs découvertes qui permettent d’enrichir notre connaissance de l’histoire du château. Dans ce cadre, les archives de la famille de Chalon, qui occupe le château de Grandson de 1425 à 1475, permettent d’avoir un point de vue étayé sur le parcours de l’édifice.
Des chiffres enflés
Ces archives permettent notamment d’avoir un autre regard sur la prise du château par les armées bernoises, litige qui sera une des origines de la fameuse bataille de Grandson de 1476, événement marquant des guerres de Bourgogne.
Les archives franc-comtoises révèlent une garde soldatesque d’une cinquantaine d’individus en fonction au château de Grandson, dont certains étaient maçons ou charpentiers, là où les sources confédérées parlent de plus de 500 gardes armés jusqu’aux dents. On comprend alors que les sources helvétiques grossissent les chiffres pour gonfler le prestige de leur victoire, comme c’est souvent le cas dans l’histoire.
Un château désert
On découvre aussi que les châteaux sont souvent vides, contrairement aux idées reçues. Les seigneurs se déplacent très souvent, et avec eux, toute la cour. Ils emportent alors tout le mobilier, tapisseries et vaisselle, laissant les murs du château nus. Ainsi, pendant de longues périodes, seuls un châtelain et un chien de garde sont présents dans le château. Ces informations sont notamment fournies grâce aux ouvrages de comptabilité de la famille de Chalon, dans lesquels on peut lire, par exemple, les paiements pour la pitance du chien – qui devait tout de même être un gros molosse.
Luttes intestines
Dans les archives judiciaires, on peut lire les luttes entre les deux fils de Louis de Chalon, en 1464-65. Ce conflit entre les deux frères a d’ailleurs conduit à l’incendie partiel du bourg et du château de Grandson. Au cours de ce litige fraternel, les deux hommes concernés font appel aux tribunaux dans les instances supérieures. Ainsi, dans les transcriptions des procès, il est également possible de lire, en sous-texte, des témoignages sur la vie quotidienne des habitants de Grandson, avec leurs habitudes alimentaires par exemple.