Cofondatrice en 2008 des Vert’libéraux du Jura-Nord vaudois, Anne Gillardin Graf a décidé de les quitter pour rejoindre les Verts. Une alliance avec l’UDC l’a convaincue qu’elle n’y avait plus sa place. Elle s’en explique dans cet entretien.
Anne Gillardin Graf, n’étiez-vous pas un pilier des Vert’libéraux ?
Lorsque nous avons fondé cette section, nous étions convaincus que l’écologie, la justice sociale et la responsabilité économique pouvaient coexister et ne devaient pas être l’apanage de la gauche pour le social et l’environnement et de la droite pour l’économie. Un parti libre, ouvert, pas dogmatique et donc au centre. Lors de la première législature, nous avons collaboré avec des partis centristes tels que le PDC et l’UDF. Lorsqu’ils ont disparu, à partir de 2016, nous avons fait une alliance avec le PLR. Nous étions trois élus vert’libéraux au milieu d’un PLR très fort. Nous partagions avec eux un certain nombre de valeurs communes, mais une vision environnementale et sociale très différente.
Cette alliance vous posait-elle problème ?
Au début, j’étais considérée comme une alliée utile par le PLR parce que j’avais soutenu de manière très engagée le projet de route de contournement. Je précise que c’était dans le but de rendre le centre à la mobilité douce et non pas dans l’esprit à tendance « pro-automobile » du PLR. Cette alliance n’était pas toujours évidente. Je me suis engagée sur tous les dossiers liés aux questions climatiques et environnementales. J’ai d’ailleurs été à l’origine d’une motion sur le plan climat et l’urgence climatique déposée avec un socialiste et un Vert qui a passé la rampe de justesse grâce au soutien de quelques élus de droite. Depuis, j’ai été régulièrement rappelée à l’ordre. J’expliquais que j’étais vert’libérale, appellation qui comprend des mots en lien avec l’environnement et la liberté. J’ai toujours regretté que cette thématique soit portée par la gauche alors qu’elle devrait aussi l’être par le PLR hors clivage gauche-droite. Au début de cette législature, les choses se sont clarifiées car nous avons pu créer un groupe vert’libéral avec douze élus.
Quelle est la cause de votre démission ?
Au-delà de mes convictions personnelles, je n’ai pas oublié qu’une alliance avec l’UDC voulue par Isabelle Chevalley lors des élections de 2017 nous a fait perdre une très grande partie de notre électorat. Il n’est pas possible de se reconnaître dans un parti qui se dit libre et indépendant s’il fait de telles alliances. J’ai expliqué en assemblée générale qu’il ne fallait pas faire la même erreur. Avec le PLR avec qui nous avons des liens historiques, c’est possible, mais pas avec l’UDC. Il n’y a pas eu de véritable analyse stratégique dans la perspective des élections de 2026. Pourquoi n’avons-nous pas envisagé d’envoyer un candidat avec notre seul soutien pour faire valoir nos valeurs vertes et libérales ? C’était l’occasion de montrer qui nous sommes. Il est important que l’on puisse nous différencier.
Malheureusement, cette section locale dérive à droite. L’UDC défend des idées souverainistes et conservatrices qui n’ont rien à voir avec nos valeurs. Nous sommes opposés à eux sur les questions environnementales, d’égalité, de diversité, sur les droits et libertés individuels et la politique économique. Sans compter leurs affinités avec Donald Trump.
Lors de l’assemblée générale, la première question a été de savoir si on lançait un candidat ou non avant même de savoir lequel. La deuxième a porté sur une alliance avec le PLR et l’UDC sans que l’on en connaisse vraiment les conditions. Le principe avancé, c’est que la gauche s’alliant, la droite n’avait pas d’autre choix que de s’unir. L’expérience nous avait déjà démontré que lorsque nous ne sommes pas en cohérence avec nos valeurs, nous perdons. A l’issue du vote, j’ai annoncé ma démission. Le résultat du 1er tour démontre que c’était un mauvais choix. Des voisins m’ont demandé qui était ce Vert’libéral qui faisait partie de l’UDC… Et dans le programme de Gildo Dall’Aglio, il n’y avait rien de vert !
Ne craignez-vous pas de vous retrouver dans le même groupe que des « Verts ultra »?
J’ai rejoint les Verts car je partage leurs valeurs sociales et écologiques. Il est vrai moins les économiques. Mais à Yverdon, c’est d’eux que je me sens la plus proche. C’est vrai qu’il y a dans ce groupe des personnes très à gauche. Mais entre la droite ultra et la gauche ultra, mon choix est clair. Quand j’ai commencé la politique, ce n’était pourtant pas pour me mettre à droite ou à gauche. Je regrette qu’au Conseil communal, le PLR vote parfois même sans réfléchir contre les propositions portées par la gauche. C’est aussi le cas de la gauche, mais je constate qu’elle fait tout de même des analyses de fond plus poussées. A l’UDC il n’y a aucune réflexion, c’est du populisme.
Allez-vous vous représenter en 2026 ?
Je n’ai pas encore pris ma décision. Je suis fatiguée de voir la tournure que prend le débat politique. Le climat est devenu délétère. La politique m’intéresse toujours, mais j’aimerais que ça soit plus constructif. Peut-être ferai-je le choix de m’investir pour certains sujets dans des groupes de travail au niveau local, cantonal ou fédéral sur des thèmes qui me tiennent à cœur plutôt que dans cette arène où on joue au ping-pong.
Riche parcours
Anne Gillardin Graf a un riche parcours professionnel. Ingénieure, elle a travaillé dans différents bureaux et ONG dans la gestion des eaux et à l’EPFL dans les sciences et l’ingénierie de l’environnement. Puis dans les routes, comme cheffe du Centre d’entretien des routes de l’Etat de Vaud et comme responsable de l’exploitation et de la sécurité à l’Office fédéral des routes. Elle a aussi œuvré comme directrice du service des bâtiments et travaux de l’UNIL et directrice opérationnelle de la HEIG-VD. Récemment, elle a dirigé la division prévention incendie et éléments naturels de l’ECA jusqu’en août 2024. Depuis, elle travaille sur mandat pour accompagner les entreprises dans leur organisation après avoir complété sa formation à l’Institut de formation en neurosciences appliquées de Bruxelles et obtenu une certification en gestion des changements.
Des valeurs communes
Lorsqu’on lui rappelle la position cantonale de non-alliance des Vert’libéraux avec l’UDC, Pierre-Henri Meystre, président des Vert’libéraux du Nord vaudois, explique que la situation yverdonnoise est particulière: «Rien n’a changé sur le plan cantonal, mais à Yverdon, si on veut regagner du terrain et du crédit auprès de la population, il est nécessaire que toutes les formations de droite et centre-droite travaillent ensemble. Nous ne pouvons pas rester chacun dans notre coin. Anne Gillardin Graf ne n’est pas retrouvée dans cette alliance. Son départ est regrettable, mais je tiens à dire que nous pouvons y conserver nos valeurs. Nous avons plusieurs points de convergence: la maîtrise budgétaire, l’attractivité du centre-ville, le soutien aux commerces locaux, la mobilité et le parking de la place d’Armes.»
Alliance de circonstances
Olivier Bolomey, président des Vert’libéraux vaudois, reconnaît que l’alliance avec l’UDC de 2017 a laissé des traces et que la direction du parti défend avant tout des alliances avec les forces centristes, soit Le Centre, Les Libres et le Parti évangélique vaudois: «Nous ne sommes pas favorables à des alliances avec l’UDC, mais dans le cas d’Yverdon, il s’agissait de faire preuve de réalisme politique pour tenter de déstabiliser une gauche unie. C’est donc une alliance de circonstances. Il y avait un coup à jouer pour modifier l’équilibre des forces. Il faut admettre que ça n’a pas marché. L’électorat PLR et UDC n’a pas soutenu notre candidat.»