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Une dédicace poétique à toutes les Marguerite
Flynn Maria Bergmann. © Michel Duperrex

Une dédicace poétique à toutes les Marguerite

4 mars 2021

Le Centre d’art contemporain rouvre ses portes aujourd’hui. Pour l’occasion il réserve une surprise aux visiteurs avec un invité détonant: Flynn Maria Bergmann.

Bienvenue Marguerite! Participante de dernière minute, elle a rejoint lundi le Centre d’art contemporain d’Yverdon-les-Bains (CACY). Et elle s’inscrit parfaitement dans l’immense exposition Rock me Baby de Sébastien Mettraux sur les machines à écrire, car elle aussi était au service d’une de ces technologies. D’ailleurs, elle a gardé les traces d’une vie trépidante tout en évoluant au fil du XXe siècle jusqu’à nos jours.

Cette invitée a tout de réel à un détail près: il ne s’agit pas d’une personne, mais d’un cliché d’une marguerite figurant au premier plan. Car en plus d’être un prénom d’époque et le nom d’une fleur, il s’agit d’une pièce essentielle des machines à écrire. C’est elle qui reliait toutes les touches.

Aujourd’hui, cette marguerite a retrouvé une place centrale dans l’univers de ces «laptops» des années 1935. Et cela grâce à deux Lausannois: la photographe Noura Gauper et l’artiste Flynn Maria Bergmann (en photo). Ce dernier a été invité pour une résidence du 21 au 28 février au CACY, avec la lourde tâche de trouver une façon de s’immiscer dans la vaste exposition Rock me Baby, lancée sur plusieurs sites yverdonnois depuis octobre dernier (lire encadré bleu).

Pourquoi s’acharner à monter dans un train qui est déjà en marche? Parce qu’il y avait une belle opportunité à saisir. En effet, le CACY aurait dû enlever ses accrochages le 23 décembre dernier. Mais au vu de la situation sanitaire, l’institution a décidé de prolonger l’événement jusqu’au 23 mai. Une belle initiative, sauf que… certaines pièces, prêtées pour l’occasion, ont dû rentrer à la maison, à l’instar des œuvres d’Allyson Strafella qui sont arrivées samedi à la Galleria Raffaella Cortese, à Milan. Il restait donc un mur de huit mètres de long vide… Et même s’il est blanc, cela faisait tache au milieu des voûtes de l’Hôtel de Ville.

«En prenant l’apéro dans le salon de Flynn Maria Bergmann au printemps dernier, j’ai vu qu’il avait une Hermès Baby. C’est là que j’ai pensé à l’intégrer à l’exposition. Mais cela n’a pas pu se faire vu qu’elle était montée. Donc là, c’était l’occasion. Je lui ai donné carte blanche», explique le directeur du CACY, Rolando Bassetti.

Mais décrocher une carte blanche au milieu d’un projet déjà bien ficelé et déjà en place, est-ce vraiment un cadeau? «C’est vrai que j’ai un amour immodéré pour les machines à écrire. Mais là, c’était un nouveau challenge. C’était comme si j’avais 14 ans et que j’arrivais au milieu d’une boum où tout le monde s’amuse sur la piste de danse», sourit Flynn Maria Bergmann, qui se distingue depuis quelques années en tant que poète, sculpteur et plasticien vaudois. Pour lui, le défi était de s’inscrire avec harmonie et délicatesse dans l’existant, tout en apportant sa touche.
«C’est vrai qu’au début, je pensais que cela allait être chaud. Mais après, je me suis dit que si Dieu avait réussi à faire le monde en sept jours, je pouvais bien remplir un mur de huit mètres dans ce même laps de temps!», lance-t-il sérieusement, tout en conservant un léger sourire au coin des lèvres. «C’est une boutade hein! Faudrait pas croire que j’ai un ego surdimensionné!»

Et comme le Grand Patron, il y est arrivé. Mais la tâche n’a pas été aisée. Il a d’abord fallu visiter l’ensemble de l’exposition avec le curateur et s’imprégner de l’ambiance. «J’aimais beaucoup la vidéo où on entend le bruit des touches d’une machine à écrire. ça me parle parce que j’écris souvent sur mon Hermès Baby. Je trouve qu’il y a un ressenti différent. Je ne dis pas que c’est un concert de rock, mais il se passe quelque chose», décrypte l’artiste. De là, mille idées lui sont venues. Et chaque jour des différentes…

Bien qu’il soit toujours dans le mouvement, Flynn Maria Bergmann a fini par figer ses pensées, mais pour cela il a dû se faire violence. «C’est un mélange de nuits blanches, d’essais sur les murs et de discussions. Pour reprendre une phrase que j’apprécie: l’artiste crée jusqu’à la résignation, jusqu’à l’épuisement, assure-t-il. En plus, d’habitude, je charge les murs, mais là j’ai dû me réinventer.»

Le Lausannois a réalisé trois projets et un coffret de 26 cartes postales (comme l’alphabet). «L’ensemble de mon travail ici tourne autour du rapport au temps et aux gens», analyse l’auteur. Il y a toujours deux niveaux de lecture: un plus intime sur mon côté écrivain, et un plus économique, en lien avec l’entreprise Paillard.»

Que dire de Marguerite dans tout ceci? «Je suis persuadé qu’au moins une des employées de Paillard s’appelait Marguerite, avance-t-il. Cette photo, c’est une façon de jouer au samouraï avec un objet fétiche tout en restant anonyme. C’est voir le monde sans être vu, comme ces employés de Paillard dont on ne parlait jamais alors que tout le monde connaissait les machines.» Et le poète de conclure: «Pour moi, les livres sont à la fois une passerelle et un bouclier. »

 

L’avis des pros

 

Le défi relevé par Flynn Maria Bergmann est-il atteint selon les experts? «Totalement, répond Rolando Bassetti, directeur du CACY et ami de l’artiste. Il a réussi à relier son histoire personnelle à quelque chose d’universel. C’est à la fois un hommage et un cri d’amour.»

Quant à Sébastien Mettraux, commissaire du projet Rock me Baby, il n’a pas encore pu admirer le résultat de cette carte blanche. Il attend ce soir pour renouer avec le CACY et découvrir ce nouveau chef-d’œuvre.

 

Grande réouverture!

 

A la suite d’une fermeture forcée, Covid oblige, le CACY rouvre ses portes aujourd’hui. Rock me Baby est à découvrir jusqu’au 23 mai. La Maison d’Ailleurs (ouverte), elle, abrite un volet «culture populaire» du vaste projet de Sébastien Mettraux jusqu’au 24 octobre. Le Musée Yverdon et région (ouvert depuis hier) se concentre sur les aspects historiques et industriels jusqu’au 22 mai. La Bibliothèque publique et scolaire d’Yverdon revient sur «la mémoire collective» des machines à écrire du cru jusqu’au 22 mai.

Christelle Maillard