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Une entreprise sociale qui vit avec son temps
© Michel Duperrex

Une entreprise sociale qui vit avec son temps

30 mars 2023

Née dans les traces de Textura, la coopérative Démarche aide les personnes en difficulté à se réinsérer sur le marché du travail.

A l’origine, en 1992, il y avait Textura, une coopérative créée à Sainte-Croix et spécialisée dans la récupération des textiles. A l’époque, en pleine crise économique et immobilière, cette structure, qui traite aujourd’hui quelque 1800 tonnes de textiles par an, avait pour but d’occuper des chômeurs, de manière à relancer leur droit aux indemnités. De mutation en mutation, s’adaptant sans cesse au marché, la petite coopérative est devenue une véritable entreprise sociale. Elle a fêté ses trente ans l’an dernier, avec à sa tête l’Yverdonnois Stéphane Manco.

Le terme «entreprise sociale» est bien adapté à la coopérative Démarche. Car elle est organisée comme une véritable entreprise, avec des exigences économiques, qui lui permettent, en sus des aides officielles et des dons, d’équilibrer son budget. Tout cela en fournissant travail et formation à des personnes confrontées à des difficultés, avec, pour objectif, la réinsertion sur le marché du travail. Et ça marche!

Peu prompt à se mettre en avant, Stéphane Manco attribue le succès de Démarche à l’action collective. Il est entré au service de cette entreprise multiactivité et multisite un peu par hasard, en 1996. Il sortait d’une expérience professionnelle quelque peu douloureuse et Textura cherchait un prof de français. Il a simplement offert ses services. «Il était devenu évident qu’il fallait apporter une plus-value aux gens qui bénéficiaient de la mesure», explique-t-il.

Très vite, il s’est pris au jeu: «Je me disais qu’il fallait créer de l’emploi et que les gens se sentent bien dans la boîte, qu’ils puissent s’épanouir dans un monde qui n’est pas toujours facile. En 1998, le programme des mesures d’insertion a institué des objectifs de plus-value. Il ne s’agissait plus de se contenter de chantiers d’occupation. C’est à ce moment-là que la coopérative Démarche a vu le jour à Yverdon-les-Bains, pour s’étendre au fil des années dans tout le canton et à Genève.

En 2000, l’Yverdonnois a fait son entrée à la direction. Textura connaissait des difficultés et il fallait assainir. Une opération qu’il a pilotée avec succès. Dès 2006, Stéphane Manco a pris la direction des deux coopératives, fusionnées en 2010. «J’ai réalisé qu’on était trop petits, qu’il fallait développer les structures. J’ai pu relancer le programme de développement. A l’époque, on en était au tout début de l’insertion», se souvient-il. C’est dans cette mouvance que sont nées Styyle (2009) et plus tard Ateapic (2017), des boutiques spécialisées dans le seconde main de qualité, que les badauds du centre-ville yverdonnois connaissent bien. On en trouve aussi dans d’autres villes.

Il en a été de même avec les vélos. Les accords passés avec différents corps de police permettent de récupérer, au terme du délai légal, les bécanes non réclamées par leur propriétaire. Celles qui sont en bon état sont révisées et vendues à des prix avantageux. Les autres contribuent à alimenter le stock des pièces. Le client de l’atelier-magasin situé à la rue des Champs-Lovats (Yverdon Sud) peut ainsi opter pour une pièce d’occasion révisée ou une pièce neuve. Le travail est effectué par une demi-douzaine d’apprentis, encadrés par des professionnels. «Nous donnons la priorité à des jeunes gens qui connaissent des difficultés. Le but est de leur permettre d’accéder au marché du travail avec la formation nécessaire», ajoute Stéphane Manco.

Pour les jeunes gens, la coopérative a également développé ScenicProd et Artraction. Les premiers montent un spectacle au travers d’un projet de groupe. Pour les autres, qui ne sont pas prêts à se produire sur scène, la structure privilégie le cinéma. «Ils montent des courts-métrages. Un premier prix dans la catégorie 18-25 ans lors du festival Visions du Réel à Nyon est venu récompenser ce travail», relate le directeur. Dans le cadre de mesures AI (assurance invalidité), Cineprod est née en 2018.

Et juste avant la pandémie, la coopérative a lancé SoluClean, une petite structure de nettoyage des moyens auxiliaires au service principalement des établissements médico-sociaux. «Notre but est clairement d’éviter que les jeunes ne se retrouvent sans solution», relève Stéphane Manco en justifiant la reprise de l’Hôtel Restaurant l’Union, à Epalinges.

Des personnes en formation sont pleinement impliquées dans le service à la clientèle, car l’établissement fonctionne comme n’importe quel autre restaurant. La partie hôtel (41 chambres), par contre, a, en accord avec les autorités, été réservée à des personnes qui n’ont pas encore trouvé de logement.

A l’image de sa personne, tout en rondeur, Stéphane Manco, 51 ans, transpire l’empathie: «On doit réinsérer les gens dans un monde qui va vite. Les personnes subissent les mutations, on doit essayer de les anticiper. Cela s’est encore accéléré avec le numérique. On doit être encore plus agiles et former les gens à l’e-commerce. Aujourd’hui, des mesures qui durent dix ans, c’est impensable!»

FACE, un spectacle de Scenicprod. Centre culturel des Terreaux, Lausanne, les 20 et 21 avril 2023. Réservation au 021 320 00 46. www.terreaux.org

 

Des activités réparties sur 25 sites

 

Au travers de ses onze entités (45 métiers au total) établies dans les cantons de Vaud et de Genève, la coopérative Démarche et ses 183 collaborateurs soutiennent plus de 2000 personnes par année. Elle offre 550 places d’accompagnement en coaching, 350 places d’emploi-formation et 50 places d’apprentissage (centre de formation et Forjad).

La coopérative collabore étroitement avec les autorités, en particulier la Direction générale de la cohésion sociale, la Direction générale de l’emploi, les organismes AI (OAI) des Cantons de Vaud et de Genève, ainsi qu’avec l’Hospice général de Genève.

Le budget (27 millions de francs) est financé par les aides publiques, les activités économiques propres, des dons et soutiens philanthropiques, voire des financements affectés assurés, notamment, par des industries.

Partisan d’une direction comportant le moins de niveaux possible, Stéphane Manco inscrit l’activité de la coopérative dans une dimension économique ouverte: «Nous sommes plus complémentaires que concurrents, et plutôt créatifs que compétitifs.» Et de mettre en évidence l’exemple de Textura, avec laquelle tout a démarré à Sainte-Croix, qui offre des emplois-formations dans plusieurs métiers: chauffeur, logisticien, vendeur, comptable, etc.

Isidore Raposo