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Une habile caricature de notre société

18 janvier 2019 | Edition N°2417

Giez –  Après L’Âge de l’héroïne, paru en 2016, l’écrivain canado-suisse Quentin Mouron présente son sixième roman, Vesoul, le 7 janvier 2015, sorte de roman picaresque, entre absurdité et dérision.

L’aventure commence comme un road trip: une voiture s’enfonce dans la nuit neigeuse et brumeuse d’un mois de janvier avec, à son bord, deux hommes venant de faire connaissance. Le conducteur, jeune cadre financier, se rend à un congrès professionnel à Vesoul, en Franche-Comté. Il y emmène avec lui un jeune Suisse, identifié au narrateur, qui quitte sa patrie et ses lourdeurs administratives pour un ailleurs inexploré.

Plongés dans la France rurale, les deux personnages n’imaginent pas ce qui va les attendre dans ce «bled qui dit quelque chose à tout le monde (ndlr: grâce à Jacques Brel) mais que personne ne connaît vraiment», selon Quentin Mouron, ni même les évènements internationaux qui vont les ébranler.

Si le point de départ s’est imposé à l’auteur de 29 ans dès le début de l’écriture du roman, il aura fallu que survienne l’attaque terroriste contre le journal satirique Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, pour ancrer le récit dans une tranche temporelle spécifique. «C’est lors de ces attentats que quelque chose m’est venu au niveau de la cohérence», commente Quentin Mouron. Habitant de Giez et chroniqueur régulier pour La Région Nord vaudois, l’auteur fait en particulier référence à l’affrontement entre les «sédentaires» (comprenant notamment les appauvris de la France rurale qui refusent d’adhérer à la mondialisation) et les «picaros» (ceux qui adhèrent pleinement à la mondialisation et qui se retrouvent un peu partout en Europe). Saint-Preux, le conducteur de la voiture dans le roman, est d’ailleurs le parfait prototype du picaro, ce qui stimule l’admiration (parfois cynique) du narrateur.

La thématique abordée est d’autant plus actuelle aujourd’hu avec la montée du populisme en Europe et, plus spécifiquement, le mouvement des Gilets jaunes en France, reproduisant cet affrontement idéologique entre une classe défavorisée, en marge de la mondialisation, et une classe privilégiée et totalement acquise à celle-ci. L’accent picaresque adopté par l’auteur à l’aide de la caricature permet cependant d’apporter une certaine légèreté et une dose d’humour. «J’invite les gens à se regarder en tant que caricatures, dit-il amusé, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que de dire aux gens je suis en train de vous peindre tels que vous êtes.» L’exercice est à si bien réussi qu’il est difficile, par moments, de distinguer les descriptions fidèles à la réalité de la caricature.

L’humour en fil conducteur

Quentin Mouron explique que ce roman a été sa plus grosse œuvre en termes de temps, puisqu’il lui aura fallu quatre ans pour en venir à bout. «Je n’avais jamais passé autant de temps sur un livre, confie-t-il, c’était vraiment mon plus gros chantier pour toutes sortes de raisons», notamment en faisant appel à l’humour. «Un roman drôle, c’est presque un oxymore, lance-t-il. Généralement, l’écriture est considérée comme quelque chose de très sérieux, il ne faut pas que ça fasse rire, il faut plutôt que ça fasse pleurer. Ecrire un roman qui tenait le pari de tenir un propos sérieux et de faire rire, ce n’était pas du tout facile; il faut pouvoir trouver le juste milieu.»

Une trilogie?

En fin d’études de Lettres à l’Université de Lausanne, Quentin Mouron explique qu’il planche déjà sur une suite à ce roman, qui pourrait prendre la forme d’une trilogie. Ainsi, l’auteur n’en a pas fini d’observer et de décrire notre société qui l’amuse amplement, se disant heureux de vivre dans cette époque d’empire décadent: «On a un peu ce côté fin de règne sans qu’un autre règne ne vienne, c’est ça qui est étonnant».

© Fabien Wulff-Georges

Kévin Ramirez