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Une vache d’Essertines s’élève au combat de reines
Photo: Frédéric Dubuis

Une vache d’Essertines s’élève au combat de reines

12 mai 2022

La finale nationale de la race d’Hérens a battu son plein le week-end dernier à Aproz (VS). Le Vaudois Thierry Jaquier est arrivé jusqu’à cet ultime combat avec sa reine Typhon. Reportage.

Un nuage de poussière s’élève déjà au loin, en regardant le Rhône s’écouler paisiblement vers Sion. Il est 9 heures. Le calme plat de ce dimanche de mai aux airs d’été s’apprête à se transformer en véritable frénésie, lorsque les portes de Pra Bardy s’ouvriront.

Le moment est arrivé: les navettes commencent leurs rondes rythmées, les véhicules affluent sur le parking naturel où s’affairent de nombreux bénévoles, la foule se forme autour des petits cabanons d’entrée pour scanner billets et bracelets de paiement rechargeables. L’ambiance est électrique. Les portes s’ouvrent, la poussière monte et envahit déjà l’air ambiant par les centaines de pas qui foulent le sol terreux et asséché. A l’ombre des arbres, une lignée de bovins attendent patiemment. Sous les caresses et les brosses, les flancs des bêtes révèlent deux numéros que les éleveurs dessinent avec soin à la peinture blanche. Plus aucun doute, nous voici arrivés à l’Arène de Pra Bardy, pour la finale nationale de la race d’Hérens.

Ce microcosme, devenu un véritable univers en Valais, emporte avec lui le spectateur dans l’art des traditions qui accompagnent cette pratique centenaire. Alors que les vaches de la race d’Hérens s’affrontent sur tout le week-end pour s’arracher la couronne, l’ambiance n’est pas uniquement compétitive. «Il est presque 10 heures, c’est l’heure de la tradition!» annonce déjà l’un des éleveurs valaisans en tendant des verres de blanc, comme un calmant nécessaire. «Dès qu’il y a quatre chiffres à l’horloge on est bons!» rient en chœur les propriétaires de ces vaches courtes sur pattes mais tout en muscles, attendant les unes à côté des autres sans broncher. Et tout est bon pour se relaxer, car si ce moment est le plus calme, il est aussi le plus long et le plus stressant pour les éleveurs. Derrière les sourires, des visages anxieux, des mains qui tremblent, des jambes qui font les cent pas. «C’est l’attente la plus longue, on devrait passer aux alentours des 11h avec notre catégorie», introduit Thierry Jaquier, venu tout droit d’Essertines-sur-Yverdon avec sa fille Naomi (photo en haut à droite) pour faire lutter sa finaliste Typhon. L’un des seuls Vaudois sur la journée du dimanche pour la catégorie «vache», Thierry Jaquier est déjà pris par l’euphorie du jour. «Tenez la bouteille, je ne peux plus servir, j’ai les mains qui tremblent!» Chez la famille Jaquier depuis novembre, Typhon s’est qualifiée lors d’un combat en mars, pour participer pour la première fois à la finale nationale. Et la combattante, au numéro 60, se porte bien puisqu’elle a pris quelque 50 kilos depuis, ce qui lui a valu un changement de catégorie!

Amateur des combats de vaches depuis des années, Thierry Jaquier achète sa première lutteuse en 2008. Mais l’accent vaudois sonne drôlement exotique en terres valaisannes, d’où sont originaires les ruminants, spécifiquement du Val d’Hérens. Un peu loin d’Essertines, non? «C’est une passion! La vache d’Hérens est une bête qui me plaît beaucoup, elles sont super gentilles! J’ai commencé avec une, puis j’ai eu un élevage en pension à Essertines. Mais je ne suis pas agriculteur», explique l’assistant de police. Une admiration qu’il partage avec sa fille, Naomi Jaquier. «C’est une passion que j’ai depuis l’enfance. Mais ce que j’aime surtout, moi, ce sont les veaux, aller les promener et m’en occuper. J’accompagne mon père dans l’arène, mais je suis la plus stressée des deux!»

Pourtant, il n’y a plus rien à faire puisque seul le ruminant décidera de son envie de combattre, ou non, une fois dans l’arène. «Il n’y a pas d’entraînement, c’est que de la génétique, explique Thierry Jaquier. Certains vont courir avec leurs vaches pour l’endurance, mais je n’y crois pas trop. Je suis confiant, je connais bien ma bête, elle est calme. Maintenant, c’est à elle de décider!»

Une fois dans l’arène avec sa catégorie numéro deux (les poids moyens), Typhon (n°60) se défend cornes et âme face à la dizaine d’adversaires qui l’attendent. Chaque animal choisit sa partenaire de combat, puis les rabatteurs suivent les instructions du jury pour rapprocher une lutteuse d’une autre. Typhon se bat, tient tête, pendant près de trente minutes, sous les yeux attentifs et inquiets de Naomi et Thierry Jaquier. Malgré tous ses efforts, le jury sonne la fin du combat, et Typhon manque de peu la qualification en finale. Une fois saluées, la famille Jaquier et sa protégée, fatiguée de sa lutte acharnée, rejoignent les enclos. Typhon ne combattra pas les reines pour la finale des finales, mais a fait la fierté de ses éleveurs.

«Je ne suis pas du tout déçu, assure Thierry Jaquier avec le sourire. Je suis content comme ça, elle a bien lutté. Elle a déjà réussi à se qualifier et on est là aujourd’hui. Etre ici, c’est notre récompense, ce n’est pas chaque année que l’on peut venir à la finale nationale.» Naomi Jaquier, quant à elle, a repris des couleurs. La pression est enfin tombée, et l’heure est davantage au soulagement qu’à la déception. «On n’est pas sortis les premiers de l’arène, c’est l’important! Elle a fait de jolis combats. C’est une journée réussie.»

Si Typhon prendra un repos bien mérité cet été à l’alpage, elle repartira pour un tour de force lors du combat organisé à Essertines le 16 octobre prochain.

 

Les combats de reines, une pratique éthique?

 

A quelques jours seulement de la grande finale qui allait sacrer la reine des reines dimanche dernier, l’association PETA Suisse (People for the Ethical Treatment of Animals. Ndlr:en français, les personnes pour un traitement éthique des animaux) fait une annonce choc: l’organisation de défense des droits des animaux exige la fin des combats de reines. Pour l’organisation – l’une des plus grandes au monde œuvrant pour le droit des animaux – cette manifestation «absurde» vise à divertir les êtres humains au détriment des bêtes. «La tradition ne justifie pas la cruauté envers les animaux», a estimé Ilana Bollag au nom de PETA Suisse dans un communiqué. Si les vaches de la race d’Hérens sont des animaux grégaires qui établissent une hiérarchie stricte entre elles lors de la montée à l’alpage, «elles ne se battent pas sans raison, ne le font que lorsque c’est nécessaire», poursuit l’association dénonçant «une exploitation d’un comportement naturel». Si les organisateurs et les propriétaires assurent que les vaches ne sont pas forcées à se battre, celles ayant décidé de ne pas le faire étant simplement éliminées, PETA n’est pas de cet avis: «Lors de ces combats, les vaches de différents troupeaux sont forcées à se battre, ce qui peut provoquer un stress important chez les animaux, tout comme le fait qu’elles doivent s’affronter dans une arène», et ce, devant des milliers de spectateurs.

Mais que pensent les propriétaires de ces accusations? Thierry Jaquier réagit de manière tempérée: «Ces gens font leur boulot et c’est normal! Mais pour annuler les combats de reines en Valais, il faudra se lever de bonne heure!» Pour les Valaisans, le verdict est plus direct: «Les combats de reines sont intouchables!» peut-on entendre vers la zone des éleveurs. Alors que PETA a également dénoncé une maltraitance animale avant les combats, cette accusation a suscité l’incompréhension des éleveurs, qui assurent être «amoureux de cette race» et parlent des heures passées à les soigner. «C’est une vache qui combat, elle a ça dans ses gènes», explique Fabien Sauthier, président de la Fédération d’élevage de la race d’Hérens. «C’est une relation très forte entre l’éleveur et sa vache. Quand on entend des inepties comme ça, cela fait vraiment mal au cœur», relève Blaise Maître, gérant de la Fédération d’élevage de la race d’Hérens.

Léa Perrin