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Woodspirit, le bois dans les veines
Lucas Bessard réalise le noyau de ses skis grâce à du frêne qui provient, en partie, des vastes forêts du Risoux, à la Vallée.

Woodspirit, le bois dans les veines

21 septembre 2017 | Edition N°2085

Vallée de Joux – Féru de sports de glisse, Lucas Bessard, 27 ans, s’est improvisé menuisier-artisan. A L’Isle, dans son atelier de poche, il s’est lancé dans la fabrication de skis haut de gamme made in Vaud, avec du bois venu tout droit du Risoux. Un vrai travail d’orfèvre.

Lucas Bessard réalise le noyau de ses skis grâce à du frêne qui provient, en partie, des vastes forêts du Risoux, à la Vallée. ©Simon Gabioud

Lucas Bessard réalise le noyau de ses skis grâce à du frêne qui provient, en partie, des vastes forêts du Risoux, à la Vallée.

Trente mètres carrés. Un garage recyclé en atelier de poche. Un havre de paix niché sur les rives de la Venoge, à L’Isle, à quelques encablures d’où elle prend sa source. Un lieu singulier, où l’effluve du bois fraîchement raboté caresse les narines, où les copeaux craquent sous les souliers. Contre le mur, alignés par paires, des skis attendent preneur. Des lattes au design élancé, faites de bois noble et local. Des pièces uniques réalisées des mains d’un seul homme, Lucas Bessard.

Pas de travail à la chaîne entre les murs de la toute jeune société Woodspirit. Même si, avec l’été qui tire sa révérence et les températures en berne, le carnet de commande pourrait bien se remplir et, avec lui, le rythme de travail s’accélérer. Dans son antre, le Vaudois de 27 ans dessine, découpe, scie, rabote, profile, colle, presse, ponce, vernit, farte et aiguise. Artisan autant que chef d’entreprise, le passionné est au four et au moulin. Et c’est peu dire. «J’ai toujours aimé m’occuper, toucher à tout. Je suis un manuel. Bricoler, c’est dans ma nature», note celui qui a grandi au milieu des machines et qui a hérité du virus du bois et du bricolage de son père, le laitier du village.

 

Noyau fait de frêne local

 

Au milieu de l’atelier, trône un vaste et vénérable établi. Dessus, des lattes de frêne attendent d’être transformées. A l’instar de ses prédécesseurs de la fin du XIXe siècle, l’artisan a porté son dévolu sur le bois. Mais pas n’importe lequel. Et c’est bien là que réside tout l’esprit de Woodspirit. Une partie du frêne provient de la forêt du Risoux, à la vallée de Joux, quelques kilomètres au-dessus du village. «Je n’utilise qu’un bois de premier choix, sans nœud, et de la région. C’est le côté authentique de l’entreprise.» Collées les unes aux autres, les lames de frêne constituent le noyau central du ski. Recouvertes de fibre de verre et couplées aux technologies actuelles -semelles et carres-, les lattes sont «tout aussi performantes et résistantes que les skis industriels», assure l’amoureux du travail bien fait.

Voilà près d’une année que le Vaudois a embrassé sa nouvelle activité, avec déjà une bonne centaine de réalisations derrière lui. En autodidacte, il assume seul la production, de A à Z. Si, à ses débuts, les doutes se sont parfois bousculés dans sa tête, l’artisan semble avoir trouvé son rythme de croisière et gagné une certaine reconnaissance de son entourage. «Au début, lorsque j’évoquais mon projet, personne ne me prenait au sérieux. Alors j’ai arrêté d’en parler et je me suis lancé dans mon coin», lâche celui qui a réalisé des études en agroalimentaire.

 

Un Crowdfunding et des espoirs

 

Preuve que les skis frappés du logo Woodspirit sont beaux, mais aussi performants, Lucas Bessard peut compter sur un ambassadeur de choix pour faire la promotion de ses réalisations, en la personne de Nicolas Falquet. Le freerider professionnel, établi aux Marécottes (VS), a en effet lâché son fournisseur et a fait le pari Woodspirit. «En plus de tester mes skis et de me conseiller, il me donne un coup de main pour la visibilité de la marque et la réalisation de films. Après quelques bières, on s’est aperçu qu’on avait pas mal de choses en commun», confie le Vaudois.

Si l’artisan se plaît dans son atelier, il avoue s’y sentir un peu à l’étroit. Raison pour laquelle il a lancé, jusqu’au 9 octobre prochain, une campagne de financement participatif. «Le garage, c’était bien pour débuter. Mais c’est un peu de la bricole. Maintenant, je cherche à professionnaliser et à développer l’entreprise», explique Lucas Bessard, qui espère rassembler de quoi lui permettre de changer de locaux et, pourquoi pas, d’investir dans de nouvelles machines, comme celles de découpe au laser. En contrepartie des dons, des bonnets et T-shirts frappés du logo Woodspirit, des pavés fleuris, une spécialité fromagère toute isloise, et, bien sûr, des skis sont proposés, suivant la somme.

A noter que l’entreprise Woodspirit organise une soirée portes ouvertes, ce soir, dès 17h, à L’Isle. Plus d’informations sur www.woodspirit.swiss.

 

Autodidacte chevronné

1990 naissance de Lucas Bessard à Lausanne. Il passera son enfance à L’Isle.

2005 Durant sa jeunesse, son papa, bricoleur chevronné, lui inocule le virus du travail du bois, et de la «bricole» en général. Il s’essaie à la fabrication de skateboards.

2013 Il fabrique sa première paire de skis. Une version hors norme au patin extra-large. En parallèle, il termine son bachelor d’ingénieur agroalimentaire à la HES de Sion. Une voie qu’il ne suivra pas, faute de «vibrer» pour la branche.

2014 Il rejoint la fromagerie de son père, afin de l’épauler dans la fabrication de Gruyère, notamment.

2016 Il fait le grand saut et fonde son entreprise, qu’il monte en raison individuelle. Il y investit toutes ses économies. Peu après, il signe un contrat de sponsoring avec le freerider professionnel Nicolas Falquet, qui lâche son fournisseur pour oser l’expérience Woodspirit.

2017 Il lance une campagne de financement participatif, afin de déménager dans un nouvel atelier, plus spacieux, et éventuellement faire l’acquisition de machines spécialisées.

Une créativité sans limite

Difficile de trouver plus homogène que la gamme de skis dits «industriels» et venus tout droit de Chine. Même pour les plus «locaux» d’entre eux, citons l’enseigne suisse Stöckli, la production de masse a pris le pas sur la singularité et l’originalité. «Mes clients recherchent quelque chose de différent, de plus authentique que ce que l’on trouve sur les pistes», note l’artisan, bien décidé à assouvir les envies les plus folles en matière de créativité. Qu’elles soient siennes ou qu’elles émanent de ses clients, d’ailleurs.

C’est au moment de procéder à «l’enveloppe» du ski, après l’assemblage et le profilage du noyau de frêne, que l’artisan fait place à l’artiste, là où toutes les folies deviennent possibles : un portrait de Donald Trump, un damier à la façon marqueterie (photos ci-contre), un logo ou un massif montagneux. Noyer, merisier, érable ou châtaignier sont autant d’essences -toutes issues des forêts suisses- avec lesquelles le jeune Vaudois compose. Un écrin de bois très fin qui vient épouser littéralement la forme du ski. La seule limite réside en la surface disponible sur les lattes.

«Je ne réalise que du sur-mesure, des skis artisanaux et personnalisables. C’est important d’entretenir un contact privilégié avec mes clients et qu’ils se sentent concernés par la réalisation du produit, quitte à faire le déplacement dans mon atelier», illustre Lucas Bessard.

Créés en une petite trentaine d’heures, du noyau aux finitions, en passant par la semelle, ses articles frappés de sa griffe dans le chevron attirent les amateurs comme les descendeurs de bon niveau. Les skis, à la fois performants et esthétiques, ont un certain coût -comptez un peu plus de mille francs la paire selon le degré de personnalisation-, mais ont trouvé leur clientèle.

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Simon Gabioud