L’écoaventurier a failli se brûler les ailes sur un test
31 juillet 2020Edition N°2763
YVERDON-LES-BAINS – L’avion SolarStratos enchaînait les tests pour voler jusqu’à la stratosphère lorsqu’une de ses ailes s’est brisée, en 2018. Pour être remboursé,Raphaël Domjan a dû se battre et fédérer ses sponsors.
Quatre ans de travail, de recherches et de tests en tout genre. Le rêve de Raphaël Domjan d’envoyer des pilotes flirter avec la stratosphère à bord d’un avion solaire avance à grand pas. Jusqu’au 6 juillet 2018… Alors que le prototype subit une épreuve de résistance (lire encadré), l’une des deux ailes en fibre de carbone se casse en deux. Un risque qui était envisagé, mais qui a été bien plus compliqué que prévu à réparer, notamment pour des questions d’assurance.
Raphaël Domjan, qu’avez-vous ressenti en voyant votre rêve littéralement se briser en deux ?
Cela a d’abord été un sentiment assez terrible.Puis, nous avons su profiter de cette casse pour améliorer notre avion et nos compétences.
Étiez-vous préparés à ce type de conséquence?
Oui, on avait contacté en amont notre assurance – que je ne peux nommer – pour expliquer le test qu’on allait faire. Elle nous a répondu qu’il n’y avait pas de problème, mais qu’il fallait une assurance spéciale. Normalement, il y avait un surplus à payer, mais elle a accepté de nous la proposer sans coûts supplémentaires.
Ce qui est plutôt un signe de soutien…
C’est vrai. D’ailleurs, au départ, elle nous a beaucoup soutenus, en prenant beaucoup de risques pour assurer un prototype. Dès qu’on a fini le test, en 2018, on a annoncé le sinistre. Un expert est venu sur place, mais on n’a pas eu de nouvelles durant trois mois.
Qu’avez-vous fait après l’incident ?
De notre côté, on a cherché à comprendre ce qu’il s’était passé. On avait six mois pour trouver une solution, car si on voulait recommencer les vols d’essai l’été suivant, il fallait relancer la production des nouvelles ailes fin décembre 2018.
Finalement, l’assurance a refusé de rembourser les quelque 400 000 francs de dégâts ?
Exactement. Mais avant de nous le dire clairement, elle a tourné en rond. Elle nous a répondu qu’elle avait mal compris ce qu’on allait faire, alors qu’on avait un accord écrit.
Comment avez-vous réagi ?
J’ai eu une idée de génie, je trouve, même si aux yeux de l’assurance cela devait être une idée machiavélique. Concrètement, je cherchais environ 200 000 francs. J’ai donc demandé à ma quarantaine de sponsors s’ils étaient d’accord soit de nous offrir, soit de nous prêter 5000 francs chacun. En échange d’un don, ils sont devenus propriétaires d’un bout de l’avion.
Et qu’est-ce que cela a changé?
Tout à coup, je n’étais plus seul contre l’assurance. On était une quarantaine !
Cette action a-t-elle eu un impact ?
Je pense. Surtout que certains sponsors ont écrit directement à l’assurance pour évoquer leur déception et en menaçant de résilier leur propre contrat chez elle. Ensuite, j’ai personnellement reçu un courrier pour m’exhorter à bien réfléchir avant d’agir.
Comment avez-vous pris cette lettre?
J’ai été très déçu, car ce n’est pas quelque chose qui doit se faire en démocratie ni dans un état de droit. On n’est pas là pour s’enrichir sur le dos des assurances, on a un projet altruiste.
Le risque était peut-être démesuré…
C’est sûr qu’il y a des risques, mais nos partenaires savent que ce projet est une aventure.
Comment l’histoire s’est-elle terminée?
On a trouvé un accord lors d’une médiation. L’assurance nous a versé un montant qui correspond à plus de 50% de la valeur des dégâts et on a résilié nos contrats avec elle.
Les sponsors confirment
Contactés, plusieurs partenaires de SolarStratos valident les propos de Raphaël Domjan. Yverdon-les-Bains, qui soutient le projet à hauteur de 100 000 francs, a déboursé 5000 francs de plus pour remettre l’avion sur la piste. «Raphaël a convoqué tous les sponsors pour leur exposer les alternatives, témoigne le chef des Énergies de la Ville, Pierre Dessemontet. On s’est promis de boycotter ou menacer l’assurance. » Et un autre d’ajouter : «C’est une honte! Cela fait 30 ans que je suis dans le milieu et que je vois ça… » Il y a quelques semaines, après avoir reçu de l’argent de l’assurance, Raphaël Domjan a proposé aux donateurs de récupérer leur mise.
Du hangar à Explorit
Pour comprendre la partie technique de l’épreuve de 2018, il faut se tourner vers le président directeur général de la société basée à Y-Parc : «On doit mener une batterie de tests avant de pouvoir voler et, surtout, d’envoyer SolarStratos dans la stratosphère avec des pilotes, explique l’Yverdonnois Roland Loos. L’un d’entre eux consiste à reproduire les forces exercées sur les ailes en vol. Pour cela, on les avait surélevées et on y avait posé des poids. » Et d’ajouter : «On a voulu pousser le prototype jusqu’à ses ultimes limites et on les a trouvées… » Un tel essai a-t-il été reproduit avec le nouveau prototype? «Non, on a préféré tester un échantillon d’aile jusqu’à la rupture; ensuite un expert approuvé par l’Office fédéral de l’aviation civile a suivi le processus de fabrication des ailes de vol. »
Quant à l’aile qui a survécu à l’épreuve de 2018, elle sera exposée à Explorit, le futur centre dédié aux sciences et aux technologiques, prévu fin 2020 à Y-Parc. «Dès qu’on aura fini, on pourra aussi mettre le simulateur de vol », dévoile Raphaël Domjan.