La pirogue découverte sur le site de Grandson-La Poissine en 2023 commence tout juste à révéler ses secrets. Entre soucis de conservation et études archéologiques, son statut d’exception se confirme.
Vous souvenez-vous? Le 8 septembre 2023, La Région relatait le prélèvement d’une pirogue néolithique de plus de douze mètres de long dans le lac de Neuchâtel, sur le site de Grandson-La Poissine. Une découverte majeure pour le monde de l’archéologie (voir encadré).
Les Chroniques 2023 de l’archéologie vaudoise parues il y a peu donnent des nouvelles de cette découverte exceptionnelle et de l’état de son étude actuelle. Et les experts sont formels: «C’est l’une des plus grandes (pirogues, ndlr) et la seule à être datée avec certitude du premier âge du fer en Suisse.»
Un témoignage vieux de 2500 ans
On l’a déjà dit, la pirogue de la Poissine fait office de découverte exceptionnelle. Mais en quoi est-elle si spéciale? Déjà, sa longueur de plus de douze mètres conservée pratiquement en entier est unique. «C’est l’une des plus grandes trouvées en Suisse», nous renseigne le rapport. Ensuite, le chêne employé ayant été abattu durant l’hiver 582/581 avant notre ère, la pirogue date du premier âge du fer et constitue l’unique témoignage de cette période dans la région des Trois-Lacs. Enfin, sa facture rare, avec notamment la présence d’une mortaise (entaille faite dans une pièce de bois pour recevoir une autre pièce) carrée et horizontale à chaque extrémité, son fond arrondi et l’absence de nervures transversales disposées à intervalles réguliers en font un objet à part entière.
Elle permet d’en apprendre un peu plus sur les populations du bord du lac, proche de Grandson au premier âge du fer, mais aussi d’étudier les réseaux de circulation des personnes dans la région, même si, à ce stade, on ne peut pas savoir exactement pourquoi elle a été utilisée. Plus largement, elle renseigne sur les pratiques de navigation encore peu connue pour cette période temporelle.
Le souci de conservation
Du fait de son immersion dans l’eau et dans un espace privé d’oxygène, cette embarcation en bois de chêne a pu être conservée pendant plus de 2500 ans. Si l’aspect général présente un état de conservation de bonne qualité, la pirogue possède tout de même des signes de détérioration, cause des mouvements naturels dans le lac. Des fragments se sont alors détachés et des petits coquillages ont également colonisé la pirogue.
En choisissant de sortir la pirogue de son contexte, les chercheurs l’ont exposée à un changement de milieu et donc à une détérioration. Il a alors fallu réfléchir au moyen de la conserver sur le long terme. C’est le traitement par lyophilisation qui a été retenu. Ce procédé permet d’évaporer l’eau contenue dans le bois de la pirogue et stabiliser son état. L’embarcation va donc effectuer un séjour d’environ quatre ans au centre ARC-Nucléart à Grenoble qui est le seul à posséder des lyophilisateurs suffisamment grands pour réaliser ce traitement. Une fois le processus terminé, la pirogue pourra prendre place dans le futur parcours muséal du Palais de Rumine.
L’histoire d’une découverte
C’est lors d’un vol en dirigeable que Fabien Droz et Fabien Lanenegger remarquent un grand bois couché, à 110 mètres de la rive, non loin du port de la Poissine situé sur la commune de Grandson. Après plusieurs phases de reconnaissances et de prises de vues, les deux hommes sont en mesure de confirmer qu’il s’agit bien d’une pirogue immergée à près de 3,5 mètres de profondeur. Après datation au carbone 14 sur d’un fragment, une première datation entre 771-521 avant notre ère est d’abord proposée pour la pirogue. Datant donc du premier âge du fer, elle fait office de rare témoignage sur cette époque.
Il est ensuite question de se demander comment procéder pour étudier au mieux le vestige tout en assurant une conservation optimale. Après réflexion, il est décidé que la pirogue serait prélevée, documentée, puis traitée en vue d’une mise en valeur muséale.
Le prélèvement a donc démarré entre août et septembre 2023. Déblayée, entourée d’un châssis, puis soulevée par une grue, la pirogue est ensuite déposée sur une barge. C’est à cette étape que La Région avait laissé le lecteur.
Comme l’embarcation était fragilisée en de nombreux endroits, elle a été découpée en trois parties, afin d’éviter des dégâts plus importants pendant le transport. Ces trois tronçons ont ensuite été transportés par camion jusqu’à l’entrepôt d’archéo développement S.à.r.l. à Cortaillod (Neuchâtel).
Là, elle a été étudiée sous toutes ses coutures en étant manipulée avec la plus grande des délicatesses. Depuis avril 2024, elle est en processus de lyophilisation au centre ARC-Nucléart de Grenoble.