Après avoir abrité diverses institutions en l’espace d’un siècle, les Mûriers pourraient accueillir un hôtel et de l’artisanat lié au vin.
Depuis le départ de l’Espace Sbarro, puis l’achat par un homme d’affaires helvétique qui l’a depuis mise en vente, la propriété des Mûriers, un vaste domaine de trois hectares situé entre Les Tuileries et le bourg de Grandson, occupé en son centre par un vaste bâtiment, est tombée dans l’oubli. Mais depuis la semaine dernière, une demande d’implantation préalable est à l’enquête publique, avec, à l’appui, les plans détaillés d’un hôtel et d’activités artisanales, axées sur la vigne et les produits du terroir.
Ce projet, développé par Dolci Architectes à Yverdon-les-Bains, a été présenté par le promettant-acquéreur, Sciencexplorer Real Estate AG, une société basée à Uetikon am See (ZH), et contrôlée par Jean-Christophe Gostanian, le fondateur d’Explorit à Y-Parc.
La réalisation de ce projet passe par la démolition du chalet, une petite construction située en bordure de la route d’accès au bâtiment principal, et d’une construction de moindre importance utilisée à une époque comme poulailler.
Protection renforcée
Le projet prévoit la rénovation et l’assainissement énergétique du bâtiment historique, qui bénéficie actuellement de la note 3 à l’inventaire. Mais une procédure de protection accrue est en cours pour le passer en note 2 (monument d’importance régionale).
Au total, le projet prévoit une quarantaine de chambres, pour moitié environ dans le bâtiment existant, les autres prenant place dans une nouvelle bâtisse à construire, en prolongement, à l’ouest. En effet, sur ce site, quelque 6800 m2 sont classés en zone artisanale. La nouvelle construction projetée occuperait quelque 1360 m2.
La partie supérieure de ce nouveau bâtiment abriterait également des chambres, alors que la partie inférieure serait dédiée à des activités artisanales, en lien avec la culture du vin. Ce qui ne jurerait pas dans un décor avec la proximité des vignes qui occupent le coteau entre les Mûriers et le bourg de Grandson. Un amphithéâtre paysager serait aménagé dans le coteau, à l’arrière. Dans le dossier d’enquête figure la mention de ce qui pourrait être le nom du futur hôtel: Artvina Resort Grandson.
On relèvera encore que l’accès de l’ensemble est prévu par le nouveau bâtiment et que les chambres – celles qui seraient aménagées dans la partie habitation du bâtiment existant sont plus grandes – bénéficient des équipements les plus récents.
Par ailleurs, une piscine est également projetée devant le bâtiment historique. Celui-ci abriterait aussi un espace wellness avec salles de massage. Il faut dire que depuis cette propriété, le panorama est tout simplement splendide, puisque par beau temps, la vue s’étend des Alpes bernoises au Mont-Blanc en passant par le Valais.
Un accueil favorable
«Nous avons abordé ce projet de manière extrêmement favorable. Le plan directeur communal de 2012 prévoyait que ce site puisse être occupé par des activités d’exception. Ce projet constitue une réelle opportunité. Il permettrait de créer des emplois et de contribuer au tourisme en lien avec le terroir. Cela répond exactement à ce que l’on souhaite», explique Olivier Reymond, municipal grandsonnois en charge de l’urbanisme.
Au niveau du Canton, l’accueil paraît également positif. Des échanges ont eu lieu avec la Direction générale du territoire et du logement (DGTL). Celle-ci a émis des recommandations. «Ils ne sont pas contre l’idée», précise Olivier Reymond. Cela dit, la procédure n’en est qu’au stade de la demande d’implantation et le projet définitif devra encore faire l’objet d’une mise à l’enquête en vue de l’obtention du permis de construire.
En ce qui concerne la Direction générale des immeubles et du patrimoine (DGIP), elle a également été associée à la démarche, confirme Alberto Verde, architecte du bureau Dolci en charge du projet. Le dossier mis à l’enquête tient d’ailleurs compte des demandes de ce service et la procédure de renforcement de la protection du bâtiment historique (note 2) a été lancée dans le cadre des négociations.
Des pierres fines à l’Espace Sbarro en passant par un internat pour jeunes filles en difficulté
La propriété des Mûriers a une histoire centenaire. Elle a été d’abord occupée par une manufacture de pierres fines destinées à l’horlogerie. Puis, dès 1926, La Maison vaudoise d’éducation s’y est installée, venant de La Mothe (Vugelles), où elle occupait le grand bâtiment situé en bordure de la route qui traverse le hameau, non loin des résurgences du Fontanet (1918-1926).
Durant plus de quarante ans, des jeunes filles souffrant de difficultés d’ordre psychiatrique ont été accueillies aux Mûriers. La Maison vaudoise d’éducation a quitté le site grandsonnois en 1969 pour s’installer à Lutry et prendre, dès 1979, le nom de Fondation de l’Ecole de Mémise.
Ce sont des épouses de pasteurs, mesdames Curchod et Bergier, préoccupées par la situation de beaucoup de jeunes filles à la campagne, ainsi que la doctoresse Chatelanat, qui sont à l’origine de la Fondation de Mémise. Le bâtiment de La Mothe a été acquis en 1918 pour un montant de 25 950 francs. L’inauguration du bâtiment a eu lieu en 1919, en présence d’un conseiller d’Etat. De 25 à 30 jeunes filles, âgées de 10 à 30 ans, étaient accueillies en internat «jusqu’à leur majorité ou que la direction juge qu’elles sont capables de se diriger seules dans la vie». Beaucoup de pensionnaires y ont découvert l’affection… Et le coût de la journée se chiffre alors à 1,95 franc! La maison vit essentiellement de dons en nature, puis des travaux de sous-traitance et la fabrication de toiles tissées aident au financement.
La découverte de la «fabrique de pierres fines désactivée» permet le déménagement aux Mûriers, où quelque 55 élèves sont accueillies. En 1929, le coût journalier s’élève à 2,55 francs par personne. L’héritage d’un domaine à Ursins, qui ne peut être vendu avant cinquante ans, permet d’améliorer le financement.
A la lecture du document consacré au centenaire de l’institution, on découvre que celle-ci a connu des périodes difficiles, avec de fréquents changements de personnel, et des problèmes financiers. Des collectes sont alors organisées.
La formation du personnel éducatif ne prend forme qu’en 1953, et se développe dès 1961 avec l’Ecole Pahud, à Lausanne, qui forme les éducateurs. Dès les années soixante, l’extension des Mûriers est à l’étude. Mais finalement, l’ancien conseiller d’Etat Schumacher trouve la propriété du Grand-Verger, à Lutry, acquise pour 3,5 millions de francs en 1969, année du cinquantenaire, durant laquelle l’institution quitte Grandson pour les bords du Léman, où elle est rebaptisée Mémise.
Par la suite, le domaine des Mûriers est passé en mains privées puis, en 1992, peu après son acquisition, Franco Sbarro y a ouvert l’Espace Sbarro, une école destinée aux jeunes passionnés par la construction d’automobiles.
Cette école de design a par la suite été transférée à Pontarlier (Espera Sbarro), et elle continue ses activités de formation à Montbéliard, près du pôle Peugeot. Elle ressort de l’Université technique du lieu.
L’école transférée en France voisine, la famille Sbarro a vendu les Mûriers à un privé. Le domaine pourrait donc retrouver de la splendeur dans un avenir proche.