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«Je ne crois pas au talent mais au travail»
© Michel Duperrex

«Je ne crois pas au talent mais au travail»

15 avril 2021

Le graffeur Philippe Baro ne passe pas inaperçu avec sa voiture de luxe peinturlurée. Si sa passion l’a parfois conduit en garde à vue, elle lui a aussi permis de s’exprimer sans violence. Devenu un incontournable du milieu, il a laissé sa marque, de la Vallée à Dubaï.

Dans les années 2000, Philippe Baro était peut-être l’homme le plus recherché de la région. «Ma tête a été mise à prix pour 3000 francs! Les gens cherchaient les graffeurs derrière trois signatures à la vallée de Joux. Mais toutes les trois étaient les miennes, raconte l’auteur de ces dessins qui a bien mûri depuis cette période de l’adolescence où il adorait taguer des trains. Ce qui était drôle, c’est que tout le monde parlait de ça. Il y a même un copain qui m’avait dit en rigolant: je suis sûr que c’est toi! Il ne pensait pas si bien dire, mais comme je faisais ça en secret, un peu comme si c’était une seconde vie, personne ne pouvait le savoir.» Finalement, la police a bien eu sa tête, mais personne n’a touché le butin. «Ils m’ont attrapé une seule fois, mais pour tout ce que j’avais fait, avoue l’habitant d’Agiez qui a dû passer à la caisse. Je n’ai jamais fait de prison mais des heures de garde à vue.»

De son passé pas toujours vertueux, il en a tiré des leçons. Et la première est certainement le fait de ne pas se vanter de ses activités. «Quand je vivais en France, je faisais aussi des graffitis. Je ne me suis jamais fait pincer, mais j’ai failli me faire dénoncer parce que j’en avais trop parlé, explique Philippe Baro. Le risque vient vraiment des autres. Il faut dire aussi que la police est vraiment très douée pour leur faire cracher le morceau.» Et d’ajouter: «Je n’ai jamais eu la naïveté de croire qu’elle était contre moi, elle faisait simplement partie de l’équation.» Pourquoi vouloir prendre des risques pour taguer des trains? «Pour m’exprimer. J’ai toujours considéré que c’était plus malin de le faire avec une bombe qu’avec de la violence, de la drogue ou tout autre moyen de destruction de soi ou des autres.»

La deuxième leçon qu’il retiendra de sa délinquance est qu’il faut l’assumer. «Les gens disent souvent qu’ils n’aiment pas ceux qui font des tags. Je les comprends, mais je leur réponds qu’il faut bien commencer quelque part. Ils ont tendance à me comparer aux dessins illégaux, mais ce n’est pas comparable, c’est même le contraire, cela va de pair! souligne Philippe Baro. Pour qu’il y ait de belles choses, il en faut des moins belles.»

En embrassant sa part d’ombre, le Nord-Vaudois a pu décrocher son premier mandat, à la Vallée. «Un entrepreneur, connu sous le nom Le Mac (rires), m’a laissé peindre sur sa façade. C’est la première fois que j’ai été mandaté et cela a tout changé. Car c’est à ce moment que j’ai vu l’intérêt financier», souligne le diplômé en micromécanique. Suivant son instinct, il a tiré un trait sur les délits et sur son travail dans l’horlogerie pour se lancer à son compte.

Aujourd’hui à la tête de sa solide société graffeur.ch, il a fait de sa passion son métier, ce qui lui a permis de voyager sur les cinq continents. «Je ne crois pas au talent, mais au travail et à la persévérance. Je me suis beaucoup investi pour le graffiti. Il m’a formé et je l’ai fait vivre. Je l’ai certainement beaucoup fait évoluer, mais ça, les gens ne le savent pas. Je n’ai pas d’intérêt à le dire et ça m’importe peu au final, ce qui compte et qui m’amuse est de voir la réaction des gens face à un graffiti dessiné à un endroit où on ne l’attend pas.»

Après s’être attaqué aux trains de la Vallée illégalement, il s’est tourné vers des supports qu’il avait le droit de personnaliser, comme sa voiture. «J’ai commencé avec une Subaru, mais cela faisait trop tuning. Après, j’ai eu ma Porsche Cayenne. C’était aberrant de la graffer parce que c’est le symbole du m’as-tu-vu? Et maintenant, je suis passé à la Bentley, qui est presque le summum de l’insolence. J’en ai conscience, mais l’insolence n’est pas illégale!» sourit Philippe Baro. Et quand on lui demande si ce n’est pas dommage de sprayer des sièges en cuir et une carrosserie à plusieurs dizaines de milliers de francs, il répond: «Je préfère le graffiti au confort. Le luxe est appréciable, mais je n’y suis pas attaché. Je suis antimatérialiste, même si je sais que c’est antinomique vu que j’ai deux voitures de luxe. Pour moi, c’est un pied de nez au snobisme.»

Justement, les pieds de nez, Philippe Baro adore! Et il a eu la chance de pouvoir en faire plusieurs à la vie grâce à son emploi. «Avant, les policiers me couraient après pour m’arrêter, maintenant, ils viennent pour me donner du travail!» se félicite celui qui a notamment décoré un stand de tir de la police et un de ses bus. Sa création dont il est peut-être le plus fier trône dans les bureaux du premier ministre de Dubaï. «Même les CFF me mandatent maintenant, confie-t-il. Je considère presque que les 10 000 francs que j’ai dû payer pour mes expériences d’adolescent étaient des frais d’écolage. Et maintenant, on me les rembourse en me donnant du travail! C’est une belle revanche!»

 

 

A-t-il vraiment tiré un trait sur les tags illégaux?

 

Sa voiture ne passe pas inaperçue, sa caravane parquée à Orbe non plus. Mais il y a aussi bon nombre de tags avec le nom de son entreprise aux bords de routes très fréquentées.

Vous offrez-vous des pubs non réglementaires?

Non, ce n’est clairement pas moi qui fais ça, mais ça me sert à fond!

Peut-on vous croire?

Vous ne l’avez peut-être pas vu mais ils sont souvent pas très beaux et le nom est écrit faux: mon site est graffeur.ch, alors que c’est noté graffeurs.ch, donc avec un s en plus. Mais ça ne m’étonne pas que vous me demandiez ça parce que j’ai fait aussi des heures de garde à vue pour ça. Mais j’ai pu prouver au juge que ce n’était pas moi.

Seraient-ce des concurrents jaloux?

Peut-être. J’estime avoir deux concurrents, un à Genève et l’autre à Neuchâtel, mais je les considère plus comme des collègues que des concurrents. Ce qui fait la différence, c’est qu’ils ont vu que je prenais de l’ampleur et ils ont étudié ma façon de faire, et l’ont recopiée au lieu de se victimiser.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de place pour deux graffeurs par canton?

Il y a de la place pour tout le monde, mais il faudra qu’il coure vite parce que j’ai pris une fusée!

Maintenant que vous vivez du graffiti, avez-vous toujours votre liberté d’expression qui vous animait à 16 ans?

Je ne considère pas cela comme du Graffiti Art, car je ne suis pas libre, je suis l’outil de la conception de mon client. Je n’ai pas besoin de cette liberté dans mon travail.

Et en dehors du travail, l’exprimez-vous?

J’ai bien envie de répondre non…

Pourtant votre maison porte aussi les traces de vos bombes de couleur?

Ah oui, ici, c’est vrai qu’on fait des dessins. J’ai aussi un mur au garage dédié à ça. On organise aussi des anniversaires graffiti pour les enfants et leurs copains adorent ça!

 

En deux mots: «Grave original»

 

Alors que la plupart des jeunes profitent de leurs jours de vacances pour aller prendre l’air ou s’amuser, d’autres comme Chiara Simonin (14 ans), préfèrent découvrir un métier. Cette jeune habitante de Ballaigues a choisi de s’essayer au journalisme. Et dès le premier jour, l’écolière de 10 VG a été embarquée pour réaliser ses premiers sujets. Lundi, elle a rencontré le graffeur Philippe Baro.

Comment a-t-elle vécu ce reportage? «Dès que j’ai vu Philippe Baro, j’ai de suite vu sa voiture graffée et je me suis dit: Mais c’est grave original! Les motifs qu’il y avait dessus m’ont rapidement rappelé un jeu vidéo et j’ai lâché un petit sourire quand j’ai vu qu’il avait même peint le nom de son site internet sur la portière. Philippe, lui, m’a paru très gentil et j’ai remarqué que c’était quelqu’un qui aimait s’exprimer. Cela a vraiment été une très bonne expérience, j’ai essayé de prendre de bonnes notes même si ce n’était pas facile, mais ça ne m’a pas empêché de profiter de cette interview.»

Christelle Maillard