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«Je vais me battre pour mes enfants»

14 février 2014

Une mère de famille kosovare d’Yverdon se démène depuis 2003 pour régulariser sa situation et celle de ses enfants. En Suisse depuis 19 ans, son mari se cache pour éviter son renvoi.

Les enfants de Naxhije Uksmajli, (de g. À d.) Nazmi, Nerit et Lea, ne comprennent pas ce qu’ont fait de mal leurs parents pour ne pas avoir le droit de vivre en Suisse.

Les enfants de Naxhije Uksmajli, (de g. À d.) Nazmi, Nerit et Lea, ne comprennent pas ce qu’ont fait de mal leurs parents pour ne pas avoir le droit de vivre en Suisse.

Lorsqu’elle est arrivée dans le petit village fribourgeois de Plasselb, pour rejoindre son mari, en 2003, Naxhije Uksmajli ne s’attendait certainement pas à vivre en tant que demandeuse d’asile pendant plus de 10 ans. Ayant connu le quotidien infernal de la guerre du Kosovo, c’est avec l’espoir de retrouver des jours tranquilles et une vie normale qu’elle se rendait dans les bucoliques montagnes fribourgeoises. «Au Kosovo, vous pouvez avoir terminé l’Université, vous ne trouverez pas de travail, sauf si vous connaissez quelqu’un de haut placé, s’insurge-t-elle. Il y a de la corruption et personne ne respecte les lois. Pour les femmes c’est encore plus compliqué. En Suisse, il y a beaucoup de sécurité et il y a des règles pour tout le monde… si vous êtes citoyen intégré.»

Plus Suisse que les Suisses

Partie sans papiers, dans le tumulte des restructurations politiques d’après-guerre, Naxhije retrouve son mari qui vit la même situation depuis 1995. Arrivé à l’âge de 20 ans, dans le canton de Fribourg, ce dernier trouve rapidement de l’emploi auprès d’un agriculteur local, malgré sa situation de sans-papiers, et apprend le suisse-allemand. Il y travaille pendant 5 ans avant de s’engager dans une fromagerie, jusqu’en 2004, puis à nouveau dans l’agriculture et dans le bâtiment. Devenu «plus Suisse que les Suisses » et désormais marié, le couple a bon espoir d’obtenir l’asile, d’autant que leur premier enfant vient de naître. Or, en 2006, ils sont priés de quitter le canton de Fribourg, sous peine d’expulsion. Pis, une interdiction de travailler leur est imposée. Une situation catastrophique pour le couple qui ne supporte pas l’oisiveté et qui ne demande qu’à être indépendant financièrement.

Mener une vie normale

Pourtant, le mari de Naxhije retrouve très vite du travail dans une fromagerie du Nord vaudois et sa femme se fait également engager dans une entreprise alimentaire, à Orbe. Dans le même temps, une demande d’asile a été déposée à Vallorbe et l’espoir renaît de pouvoir enfin obtenir une régularisation de leur statut. Désormais, leurs enfants suivent une scolarisation pleine de succès, sont intégrés auprès de leurs voisins et collègues de classe, Madame Uksmajli apprend le français, son mari maîtrise parfaitement le dialecte singinois et comprend l’allemand. De plus, le couple est travailleur et apprécié de tous. Toute leur vie est en Suisse. «Mon mari a perdu ses parents très jeune au Kosovo, il n’a plus de lien là-bas, insiste Naxhije. Mes trois enfants sont nés en Suisse et nous aimons notre vie ici. Nous ne souhaitons qu’une seule chose, c’est de pouvoir travailler et gagner assez d’argent pour mener une vie normale.» Malheureusement, l’appareil administratif de l’Office fédéral des migrations (ODM) en a décidé autrement et, en 2008, la famille est à nouveau frappée d’interdiction de travail et déboutée, condamnée à vivre avec l’aide d’urgence.

«Chaque semaine je dois me rendre, avec mes enfants, au Service de la population à Lausanne pour renouveler l’aide d’urgence. C’est très compliqué et stressant », avoue-t-elle. A cela s’ajoute désormais la peur de la police. En effet, le 4 février, alors que le mari est hors du domicile, la police est venue pour l’interpeller et le conduire à la prison de Frambois. Naxhije avertit, plus tard, ce dernier qui décide de partir pour éviter, après 19 ans passés en Suisse sans histoire, l’emprisonnement et le renvoi au Kosovo. «Je sais où il est mais je ne peux rien dire. Nous communiquons par téléphone. Je ne sais pas comment cela va terminer mais je vais me battre jusqu’au bout pour mes enfants, se persuade- t-elle. Même si je reste seule avec eux, je n’accepterai pas de signer mon renvoi !»

 

 

La coordination asile-migration vient en aide aux déboutés

Pierre-Olivier Heller, ancien pasteur à Yverdon-les-Bains, est l’un des cinq membres de la Coordination asilemigration du Nord vaudois.

Pierre-Olivier Heller, ancien pasteur à Yverdon-les-Bains, est l’un des cinq membres de la Coordination asilemigration du Nord vaudois.

La famille Uksmajli n’est pas la seule à connaître une situation de non retour concernant son droit de séjour, dans la région. Ainsi, la section nord-vaudoise de la Coordination asile- migration tient une permanence, chaque lundi soir, à la Maison de Paroisse protestante d’Yverdon- les-Bains, afin de venir en aide aux nombreuses personnes qui rencontrent des difficultés dans l’obtention de leur permis de séjour. Le but de cette association est ainsi de bloquer le renvoi des requérants et requérantes déboutés du Canton de Vaud et de permettre à ces personnes d’obtenir des permis de séjour.

«Dans le cas de Madame Uksmajli, nous avions présenté une pétition, en 2010, auprès du Grand Conseil, visant à revenir sur la décision de non entrée en matière du Canton, révèle Pierre- Olivier Heller, membre de la coordination. Le Grand Conseil avait ensuite accepté nos recommandations en renvoyant le texte au Conseil d’État, qui, lui, n’en a malheureusement pas fait cas. Nous suivons toutefois toujours Madame Uksmajli et l’aidons dans sa démarche.»