Après un siècle d’histoire, La Patriote, chœur mixte emblématique de Vallorbe, a été dissoute, non sans émotion et nostalgie. C’est l’occasion de revenir sur l’histoire de cette société, dont les chants et les rires résonneront encore longtemps dans les mémoires.
La Patriote, c’est fini! On ne verra plus les costumes traditionnels vaudois sur la scène du Casino de Vallorbe. On ne verra plus les membres s’essayer avec humour et talent à l’art théâtral. On ne recevra plus de cuillère en argent comme récompense pour n’avoir manqué aucune répétition.
Mais ce n’est pas une fin tragique. Ah ça non. Ce ne serait pas dans l’esprit des membres. Une belle fête a été organisée le 16 novembre 2024 pour dire au revoir à cette société qui avait presque atteint son centième anniversaire. Soixante anciens, dont les plus vieux étaient âgés de 90 ans, sont venus passer une soirée mémorable au Jura Parc et se remémorer les moments passés au sein de la société.
Une histoire de femmes
C’est en 1923 que naît La Patriote, grâce à l’impulsion d’un groupe de femmes qui se retrouvaient pour tricoter. De maille en maille, elles se sont mises à chanter, et de fil en aiguille, le groupe de chant est fondé. Ainsi, pendant la guerre, elles tricotaient des chaussettes pour les soldats et se réchauffaient le cœur en chantant.
En 1949, connaissant une baisse d’effectif, elles accueillent les hommes dans leur rang et La Patriote devient mixte. Pendant longtemps, il fallait être parrainé, ou plutôt «marrainé» par des membres féminines pour entrer dans le chœur. La marraine confectionnait alors un pompon que le nouveau membre devait ensuite porter autour du cou. Mais cela ne respectait pas suffisamment les codes du costume traditionnel vaudois. La coutume a donc été délaissée au cours du temps.
Jamais sans leurs costumes vaudois
Il faut dire que le costume traditionnel vaudois était dans l’ADN de la société. Il était rare de croiser La Patriote sans. La société faisait d’ailleurs partie de l’Association cantonale du costume vaudois (ACCV).
Pour en faire partie, il fallait toutefois respecter un règlement très stricte. «On s’était fait taper sur les doigts, car certaines avaient ajouté une poche cachée dans le costume pour y glisser un paquet de mouchoirs ou de cigarettes», sourit Marcel Anex, président de la société pendant près de vingt ans et membre du comité de l’ACCV pendant sept ans.
Tous appréciaient le porter et faisaient fureur à chacune de leurs sorties. «On doit figurer dans les albums photos de nombreux touristes!»
Chant et théâtre
Le chant était l’âme de La Patriote, avec un répertoire qui était et a toujours été populaire et patriotique. «Parfois, on a essayé de chanter des chants plus contemporains. On a même chanté du Johnny (ndlr: sous entendu, Hallyday), mais en costume vaudois, ça faisait un peu bizarre», se rappelle Marcel Anex. Ainsi, on entonnait des chants, comme Je suis de ce pays, ou encore Le fromager, sans jamais s’en lasser.
Si La Patriote s’exportait et allait chanter aux quatre coins de la Suisse et au-delà, c’est toujours lors de la «soirée de La Patriote», le troisième week-end de novembre, que la société prenait le plus de plaisir.
En 1983, une nouvelle composante rejoint le chant pour animer la deuxième partie de soirée: le théâtre. Les premières années, c’est monsieur Monnier, intendant de la place d’armes du Day, qui faisait répéter la petite troupe sur ce site. Puis Yvette Foretay a repris la mise en scène. Chaque année, elle faisait venir quelques pièces comiques de Paris, qu’elle lisait en imaginant déjà quel acteur prendrait quel rôle. «Tout le monde riait. Cela nous a beaucoup rapprochés. Et nous sommes même allés jouer nos pièces à l’extérieur», raconte l’ancien président. Parmi toutes les comédies jouées, une pièce avait été écrite expressément pour La Patriote: Allons voir aux archives. Une pièce qui allait fouiller dans les archives de la société avec beaucoup d’humour.
Une société pleine de vie
Comme les bricelets, La Patriote était partout. Elle allait par monts et par vaux pour chanter en arborant ses beaux costumes, participant souvent aux cortèges lors de festivités diverses et variées. Les «patriotes» étaient souvent sollicités pour ouvrir les cortèges, en costume évidemment. Yvette Foretay, Eliane Anex et Josiane Teuscher ont souvent rempli cette tâche. «Nous étions aussi reconnus pour faire des beaux chars», explique Marcel Anex. En Schtroumpfs, en forgerons ou en arborant les armoiries des familles de Vallorbe, ils avaient tous fière allure.
Grands organisateurs, ils ont plusieurs fois hébergé le Giron de chant du pied du Jura, mais aussi l’assemblée annuelle de l’ACCV. On n’hésitait pas s’investir. «Quand les gens prenaient une tâche, ils la faisaient longtemps.» Inutile d’écrire qu’après plus de vingt ans au comité, Marcel Anex a mérité le titre reçu de «membre d’honneur».
La société n’avait pas peur de relever de nouveaux défis, comme le jour où, de 6h à 9h, les dames ont transformé plusieurs dizaines de kilos de fruits et de crème en un mille-feuille de douze mètres de long pour le marché de Noël. Et elle n’avait pas peur de changer ses habitudes. «Après les répétitions, on avait l’habitude d’aller boire un verre. Mais les hommes s’asseyaient à une table, les femmes à une autre. Une jour, alors que j’étais président, j’ai mis fin à cette singerie et toute le monde s’est finalement assis à la même table», rit encore Marcel Anex. Puis, plus nostalgique, il ajoute : «J’ai toujours dit que pour moi, La Patriote, c’était comme une grande famille.»
Une grande famille dont les derniers membres, encore soudés, se réuniront annuellement, à l’occasion de la fête de l’Indépendance vaudoise, pour partager un repas et des souvenirs qui feront durer, encore un peu, La Patriote.