Le bastion des cuisses de grenouille
3 février 2014Une entreprise familiale de Vallorbe est, avec son homologue du Locle, la dernière de Suisse à proposer un produit très prisé des chefs cuisiniers de la région et d’ailleurs en Suisse romande. Son patron a ouvert ses portes à La Région Nord vaudois.
Le restaurant La Table de Mary, à Cheseaux-Noréaz, le Bistrot des Uttins, à Yverdon-les-Bains ou le Restaurant du Lac, au Pont. Ces adresses sont quelques-uns des endroits où l’on peut déguster les cuisses de grenouille de Fivaz Vallorbe S.A. Dans la région. Fondée en 1962, cette entreprise commercialise des denrées alimentaires allant de la morille à la langoustine, en passant par le foie gras et le saumon durant les Fêtes de fin d’année, mais l’essentiel de son volume d’affaires est constitué par les escargots et les cuisses de grenouille.
Avec la Pisciculture des Enfers, au Locle, la société vallorbière est la dernière au niveau suisse à proposer des cuisses fraîches de ce batracien. Toutes les espèces de grenouilles étant protégées par la loi dans notre pays, Fivaz Vallorbe S.A. S’approvisionne à l’étranger, essentiellement en Turquie.
«Les animaux sont ramassés la nuit, dans la nature. Les pêcheurs sont munis d’une lampe et d’un sac en bandouillère. Quand une grenouille se trouve dans le faisceau de lumière, elle ne saute plus et il n’y a plus qu’à se baisser pour la récolter et la mettre dans le sac, qui s’ouvre en soulevant le coude», indique Bernard Fivaz, patron de l’entreprise.
Métabolisme ralenti
Les batraciens sont ensuite amenés à des centres de collecte, puis préparés pour l’exportation. La grande majorité des commandes de Vallorbe sont transportées par avion jusqu’à l’aéroport de Genève. «Les animaux voyagent dans des cartons d’un poids maximal de 6 kilos, dépouvus de clous. Ils sont soumis à un contrôle vétérinaire en quittant la Turquie et à leur arrivée en Suisse», précise Bernard Fivaz. Le trajet jusqu’à la Cité du fer s’effectue dans des camions frigorifiques et les grenouilles sont ensuite stockées dans des chambres froides afin de ralentir leur métabolisme.
«Quand un client appelle, on prépare la marchandise en fonction de la commande, le jour d’avant ou le jour-même », relève le chef d’entreprise. Fortement anesthésiés par le froid, les animaux sont décapités et préparés. Les petites sont vendues à la douzaine, les grosses, au kilo, désossées, mais Bernard Fivaz constate le succès d’une variante, la jambonette (grenouille semi-désossée, avec le fémur conservé en guise de cure-dent), auprès des grands restaurateurs.
On trouve des cuisses de grenouille toute l’année, mais l’employeur se refuse à l’importation des batraciens en plein été, par égard pour les animaux en raison de la chaleur sur le tarmac de l’aéroport. Ses enfants ayant choisi les voies de l’horlogerie et du graphisme, Bernard Fivaz est sceptique sur l’avenir de son entreprise, qui compte aujourd’hui cinq collaborateurs. Selon lui, le marché de niche des cuisses de grenouille, qui représente environ 40% de son business, va en revanche perdurer car les chefs de renom continuent à apprécier ce produit.
Une polémique vieille de plusieurs décennies
Convaincre Bernard Fivaz de se prêter au jeu de l’interview n’a pas été chose aisée. «Les gens croient qu’on leur arrache directement les pattes», déplore Bernard Fivaz. De l’ancienne conseillère fédérale Elisabeth Kopp au WWF, sans oublier, plus récemment, la Société vaudoise pour la protection des animaux (SVPA), les opposants à la consommation de cuisses de grenouille ont été nombreux à donner de la voix ces vingt dernières années. Le patron de Fivaz Vallorbe S.A. Souligne en outre que ce mets ne bénéficie pas du même accueil partout en Suisse. «Près de la totalité de mes ventes sont réalisées en Suisse romande et au Tessin.
Je n’ai que très peu de clients en Suisse allemande», indique-t-il. A l’image de l’ancien conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz, les Vaudois sont nombreux à aimer les cuisses de grenouille, une spécialité culinaire autour de laquelle le débat ne sera sans doute jamais clos.