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Le rêve «échoué» du Canal d’Entreroches
A Mathod, une mise à l’enquête pourrait porter un nouveau coup à l’ambitieux projet du Canal d’Entreroches. Rencontre avec Pierre-André Vuitel, curateur du Musée Patrimoine au fil de l’eau, qui lui consacre une exposition.

Le rêve «échoué» du Canal d’Entreroches

15 février 2016 | Edition N°1681

Nord vaudois – Le rêve de relier le Rhône au Rhin par voie navigable disparaît avec la libération des surfaces réservées au projet. Retour sur une véritable épopée.

Une portion du tracé du Canal d’Entreroches, vers la STEP de Chavornay. DR

Une portion du tracé du Canal d’Entreroches, vers la STEP de Chavornay.

Les chances de voir se matérialiser un jour le Canal d’Entreroches s’amenuisent au gré des décisions prises en matière d’aménagement du territoire tout au long de son tracé. Ainsi, à Mathod, la libération de la portion de territoire communal dévolue au projet est soumise à une mise à l’enquête, qui sera présentée à la population, ce soir, lors d’une séance d’information.

«Du côté d’Orbe, la nouvelle usine de Nestlé a été construite sur les gabarits destinés au Canal d’Entreroches, rappelle Pierre-André Vuitel, responsable de l’association Développement 21. «Le Grand Conseil vaudois a abandonné la protection du canal en 2006. La Confédération l’avait fait en 1990», explique-t-il.

L’Urbigène reçoit encore régulièrement, au musée situé dans les anciens Moulins Rod, des visiteurs d’outre-Sarine nostalgiques d’une époque où le développement des transports était au coeur des préoccupations. Des balades sont aussi organisées sur le terrain, à la rencontre des vestiges de l’ouvrage.

Exploité près de deux siècles

Car ce dernier a bien existé et été exploité durant près de deux siècles (de 1640 à 1829), sous l’impulsion d’Elie Duplessis-Gouret. Ce Breton établi en Hollande a obtenu, en 1637, une concession de Berne. Son but? Relier les bassins du Rhin et du Rhône, et, par extension, la Mer du Nord à la Méditerranée, en passant par l’Aar, les lacs de Bienne et de Neuchâtel, la plaine de l’Orbe, puis le Léman. Les travaux, démarrés en 1638, ont été freinés par de nombreux éboulements à la hauteur de la cluse d’Entreroches, une faille géologique dans le massif du Mormont, entre Eclépens et Orny.

Cossonay est atteint en 1648, mais les 13 kilomètres séparant Morges du village -une opération coûteuse et délicate, qui aurait nécessité la création d’une quarantaine d’écluses- ne seront jamais réalisés. En 1829, l’effondrement du pont aqueduc du Talent, à Chavornay, marque la fin de l’exploitation du canal construit à partir d’Yverdon-les-Bains.

L’Association suisse pour la navigation du Rhône au Rhin (ASPR), créée en 1910, ravive la flamme. Une étude de canal «Transhelvétique» soutenue par la Confédération est réalisée au début des années 1950. Elle ne permettra pas de ressusciter le projet, notamment pour les raisons évoquées ci-contre.

Echec face au rail et à la route

Les contraintes techniques, notamment en ce qui concerne le passage de la colline du Mormont -«le talon d’Achille du projet», selon le spécialiste Pierre-André Vuitel, ne sauraient expliquer à elles seules l’échec de la tentative de relier le Rhin au Rhône par la plaine de l’Orbe de manière pérenne.

L’inauguration, en 1855, de la ligne de chemin de fer Yverdon-Morges, une première en Suisse romande, met à mal l’idée de remettre en activité le canal navigable qui, pour rappel, ne fonctionnait plus depuis 1829.

A la fin des années 50, la Suisse fait le choix de construire des autoroutes, en renvoyant à plus tard (à jamais?) la création, sur le Plateau, d’un axe de communication pour des barges de 1500 tonnes. Selon Pierre-André Vuitel, le naufrage du Canal d’Entreroches est, cependant, avant tout lié au nombre insuffisant de marchandises à transporter par son biais.

Des bateliers particulièrement assoiffés

Lors de la période d’exploitation du canal, l’acheminement des marchandises s’effectuait au moyen de barques tirées, depuis la berge, par des agriculteurs de la région. Ces bateliers étaient visiblement de grands amateurs de vin -le produit le plus largement transporté-, puisque l’on dit d’eux qu’ils arrivaient bien souvent à destination en état d’ébriété.

 

Voir aussi www.eau21.ch

Ludovic Pillonel