Grandson – Franco Sbarro et son épouse Françoise ont fêté, dimanche, les cinquante ans de l’Atelier de construction automobile Sbarro. Retour sur l’incroyable parcours du concepteur de voitures et inventeur hors pair qui fait rayonner le Nord vaudois à l’international.
Depuis la conception de son premier prototype en 1959, quantité de bolides insolites sont passés entre les mains du constructeur automobile italo-suisse Franco Sbarro. Parmi ceux qui ont fait sa réputation, on peut citer ses répliques cultissimes de la BMW 328, de la Ferrari P4 ou encore de la Bugatti Royale. Il a aussi travaillé parfois sur des modèles de série, comme lorsqu’il a préparé les trois premières Corvette qui ont pris part à des courses européennes. Sautant d’un projet fou à un autre, le Grandsonnois n’a cessé de foncer à la poursuite de ses rêves, qui le poussent depuis plus de 60 ans à aller toujours plus loin. Malgré les virages à prendre et les dos d’ânes à franchir, il a su garder le cap et amener sa société Atelier de Construction Automobile (ACA) Sbarro à fêter, dimanche, son demi-siècle d’existence. «C’est passé tellement vite», confie-t-il. «C’est vrai, les projets se sont enchaînés à une telle vitesse que j’ai l’impression que cela fait 50 ans que l’on court», renchérit son épouse Françoise, qui l’a aidé à fonder et à gérer son entreprise en s’occupant des tâches administratives.
Le couple nord-vaudois avait l’intention de se rappeler quelques bons souvenirs en toute intimité, mais c’était compter sans sa famille et son ami Leonel Silva (lire encadré) qui sont venus en nombre, les bras chargés de gourmandises pour célébrer cet anniversaire.
La vitalité d’une sportive
Même si les années passent, Franco Sbarro n’est pas près de lever le pied: «Les envies sont toujours là, voire elles ont même quintuplé, avoue-t-il en cultivant le mystère. Comme je peux faire moins de projets qu’avant, je dois bien réfléchir pour choisir ceux que je veux réaliser, et donc les idées se bousculent dans ma tête.»
Et autant dire que son imagination n’a pas de limite. Preuve en a été le dernier Salon de l’automobile à Genève où il a présenté, pour sa 46e participation, son étrange modèle baptisé 4×4+2 qui met à contribution les deux roues de secours du véhicules pour faciliter la conduite sur les terrains difficiles.
Des idées incroyables comme celle-ci, le mécanicien pragmatique en avaient déjà à l’âge de cinq ans. «Quand on m’a dit que je devais attendre un an pour commencer l’école, ce n’était pas possible. Alors je suis allé dans une école privée», explique ce fils de fermier du sud de l’Italie. Après avoir sauté deux classes et être parti seul à Lecce pour ses études à l’âge de neuf ans, il a compris qu’il devait se donner les moyens d’arriver à ses fins. «Mon père voulait que je l’aide à s’occuper de la vigne et de notre cheval, mais j’avais horreur de ça, se rappelle-t-il. Moi, je préférais passer mes vacances d’été devant le garage du village pour apprendre en regardant les employés travailler. Ou alors je suivais du regard les vélomoteurs et quand je voyais qu’ils penchaient d’un côté ou qu’ils avaient un problème, je savais que la personne n’arriverait pas au village suivant alors j’allais lui proposer de les réparer. C’est comme ça que je m’exerçais.»
«Les Sbarro ont la tête dure»
Quand il a décidé quelque chose, difficile de freiner Franco Sbarro dans son élan. Et ce n’était certainement pas ses origines qui allaient l’empêcher de réaliser son rêve de devenir mécanicien. Pour sortir de sa campagne italienne, il a donc pris son courage à deux mains et a écrit à des dizaines d’entreprises suisses pour trouver un apprentissage. «J’ai décroché un contrat dans une société horlogère deux mois avant la fin de ma maturité.» Même s’il ne connaissait rien à la mécanique des aiguilles d’une montre, ce n’est pas ce défi qui allait le faire reculer. «Dès qu’on a la dextérité manuelle, elle peut s’appliquer à tous les domaines, juge-t-il. La vrai passion naît d’un manque et moi, j’ai toujours eu soif de savoir, glisse le Grandsonnois. Ma chance, c’est que j’ai toujours aimé travailler.» Mais ce n’est peut-être pas sa seule spécialité: «Les Sbarro ont la tête dure», renchérit son épouse Françoise.
Concentré sur la planification de son avenir, l’Italien avait juste omis d’en informer ses parents qui ont, plus ou moins, été mis devant le fait accompli. «Je me souviens qu’ils m’ont vu un matin de novembre en train d’essayer des salopettes de travail et ils m’ont demandé pourquoi je m’habillais comme ça parce que d’habitude je n’en mettais jamais, se remémore-t-il. Je leur ai répondu que je partais dans deux jours pour la Suisse!»
L’étincelle, moteur de réussite
Deux ans après avoir terminé sa maturité classique, Franco Sbarro, alors âgé de 20 ans, s’est lancé en tant que mécanicien indépendant en Suisse. «Se mettre à son compte, c’est continuer à galérer mais pour soi-même», révèle-t-il avec philosophie.
Le Grandsonnois n’est ni bardé des diplômes ni issu d’une famille aisée qui lui a tout servi sur un plateau d’argent, il a appris seul et en faisant ses erreurs et ses expériences. «J’ai ouvert ma première école parce que j’étais frustré de ne pas pouvoir partager tout ce que je voulais avec les gens qui venaient me voir, précise-t-il. C’est sûr que mes écoles (ndlr: il en possède notamment une au Maroc et une en France, à Montbéliard, où le cursus de dix mois coûte 11 000 euros) ne sont pas comme les autres, car il y a des horaires et des règles à respecter et beaucoup d’efforts à fournir. Mais on donne aux étudiants une vision à 360 degrés d’une dizaine de métiers liés au monde de l’automobile. Alors c’est pas grave si les jeunes n’y connaissent rien en mécanique ou sur l’histoire des grands prix quand ils arrivent, tant qu’ils viennent avec la passion. Car la passion surpasse tout.»
Quelques dates clés
Cinquante ans d’histoire
En un demi-siècle d’aventures, Franco Sbarro a indéniablement marqué le milieu de l’automobile par ses créations et ses inventions uniques. Voici quelques étapes de son parcours.
1957: Franco Sbarro s’installe en Suisse.
1959: Le mécanicien se met à son compte et crée son premier prototype.
1963: Le Grandsonnois fait la rencontre de Georges Filipinetti, observateur permanent de Saint-Marin auprès des Nations Unies à Genève et devient chef mécanicien de l’écurie Filipinetti.
1968: Il quitte l’écurie pour créer sa société ACA Sbarro.
1974: Construction de la première réplique BMW 328, suivie de sa version Baby (pour les enfants) en 1976.
1989: Franco Sbarro réinvente la roue avec son concept de roue orbitale sans moyeu. Il a aussi breveté peu après son châssis Dual frame qui sépare la structure utilisée pour la mécanique de celle nécessaire pour l’habillage.
1992: Fondation de l’Espace Sbarro à Grandson.
1994: Ouverture de l’école CREA à Casablanca (Maroc).
1995: Création du centre d’exposition Espera à Pontarlier (FRA), suivie de l’école Espera un an après. Celle-ci a ensuite déménagé à Montbéliard en 2006.
2003: Le constructeur réinvente une deuxième fois la roue en y ajoutant, cette fois-ci, un moteur au centre.
Leonel Silva a repris le projet abandonné des Sbarro Baby
L’élève qui a dépassé le maître
Alors que Franco Sbarro a fui les vignes italiennes pour se réfugier dans la mécanique en Suisse, Leonel Silva, lui, a tourné le dos au monde automobile portugais pour rejoindre les vignes suisses. «J’en avais marre de passer des heures et des heures à préparer des voitures sans aucune reconnaissance (ndlr: il faisait partie de l’équipe du constructeur Mitsubishi pour le rallye Le Dakar), raconte l’électricien de formation. Alors quand j’ai atterri à Genève, je suis tout de suite allé dans les vignes pour aider les paysans en réparant gratuitement leurs machines.»
Mais la petite odeur de burn et les courbes des belles carrosseries ont fini par lui manquer. Alors, après un passage au sein du groupe Emil Frey, il a eu envie de remettre les mains dans le cambouis en s’essayant , pour la première fois, à la construction de voitures. Pour s’initier à ce monde exigeant, il s’est tourné, en mai 2013, vers un pro: Franco Sbarro. «Je suis venu un jour toquer à sa porte pour lui demander si je pouvais reprendre la production des Sbarro Baby qu’il avait abandonnée il y a quinze ans, explique Leonel Silva. Je cherchais deux choses: montrer ce que je savais faire et de la reconnaissance dans le monde automobile, mais comme c’est très difficile de démarrer dans ce milieu, il me fallait un parrain.» L’audace du Portugais a séduit le Grandsonnois, qui lui a immédiatement fait confiance. «Je lui ai bien dit que c’était à ses risques et périls», souligne Franco Sbarro, qui a produit plus de 300 modèles en 20 ans.
Le feu vert allumé, Leonel Silva a eu à peine deux mois pour façonner sa première réplique de BMW 328 pour enfants. Trois jours avant le Salon de Genève de 2014, il a présenté sa création à son parrain. «Il a réussi à faire mieux que nous», confie Franco Sbarro. C’est ainsi que le maître a invité pour la première fois son nouvel élève sur son stand.