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Un incendiaire devant la Cour
C'est à Vallorbe qu'a eu lieu cet incendie intentionnel.

Un incendiaire devant la Cour

28 novembre 2019

Un septuagénaire, diminué mentalement et harcelé par le fils de sa femme, a mis le feu à son appartement, à Vallorbe.

C’est une affaire touchante qui a occupé la Cour correctionnelle de la Broye et du Nord vaudois, hier. Si les faits sont graves, puisque l’accusé a bouté le feu volontairement à son appartement à Vallorbe, en 2017, il met au jour la détresse et la solitude d’un homme mentalement atteint.

Ce septuagénaire, domicilié dans un petit immeuble de la Cité du fer, a pris en troisièmes noces une femme originaire du Cameroun. Elle a 25 ans de moins que lui et quatre enfants. Alors qu’il l’incite à trouver un travail, son épouse lui explique clairement qu’elle n’est pas venue en Suisse pour travailler; ce qu’elle veut, c’est son deuxième pilier. Mais le septuagénaire refuse catégoriquement, tant qu’elle ne travaille pas. Dès lors, les enfants de sa femme, notamment l’aîné, n’auront de cesse de le harceler afin qu’il leur prête de l’argent. Une nuit, alors qu’il est seul à son domicile, il décide de mettre le feu au duvet de son beau-fils. Il prend soin de refermer la porte, puis boute le feu également à son propre duvet. Pour éviter que l’incendie ne se propage, il ouvre le robinet de la salle de bain. Mais les flammes envahissent le logement. Sa voisine du dessous, constatant que de l’eau coule à travers le plafond de sa salle de bain, monte au 3e étage voir ce qu’il se passe. C’est alors qu’elle voit de la fumée qui s’échappe des interstices de la porte d’entrée. Elle alerte immédiatement les pompiers. Quant au voisin du 4e étage, pensant que la fumée vient d’une cheminée à l’extérieur, il reste chez lui et est intoxiqué. Il doit être hospitalisé.

L’accusé, de son côté, relève: «Après avoir été interrogé par les gendarmes, j’ai réfléchi longtemps. J’ai compris aujourd’hui ce qu’on me reproche. Sur le moment, j’étais furieux, je n’ai pas pensé que je mettais en danger la vie des gens. Je réalise que ce que j’ai fait est grave, mais j’étais à ce moment-là dans un autre monde.» L’expertise psychiatrique conclut à une responsabilité moyenne. Car l’homme souffre d’un léger retard mental, de troubles paranoïaques et de problèmes liés à sa consommation d’alcool.

Après cet épisode, les autorités de la Cité du fer lui ont proposé une chambre. Mais, complètement perdu, l’accusé ne donne pas suite. «Je suis devenu SDF. Je prenais le train tous les jours. J’allais parfois jusqu’à Saint-Gall. J’essayais de dormir dans les gares, mais à minuit, les employés me jetaient dehors. Je suis resté ainsi pendant trois mois et demi, sans me laver ni me changer», a-t-il témoigné. Sa fille, domiciliée dans la région, avait alerté les autorités communales. Elle l’a cherché partout jusqu’à ce qu’elle le retrouve hospitalisé à Saint-Loup. «Mon papa n’a pas la même compréhension des choses que nous. Quand ma soeur est décédée en 2013, il a décidé de ne plus avoir de contact avec moi. Il n’est pas venu à l’enterrement. Je ne l’ai revu que l’année dernière. Je suis devenue sa curatrice, il a accepté. Il a repris des contacts familiaux normaux. Il ne boit plus d’alcool et a retrouvé une certaine stabilité.» Elle conclut, amère: «Sa femme a bien profité de lui.»

«C’est un pauvre diable, admet la procureure, Ximena Paola Manriquez. Il est touchant, mais sa culpabilité reste lourde. Et le risque de récidive est élevé. Il a agi par rage et a accepté de prendre le risque d’un sinistre qui aurait pu avoir des conséquences extrêmement graves. Je requiers une peine de douze mois de prison avec sursis cinq ans.» La magistrate ajoute: «Je ne peux que saluer l’étayage social, médical et administratif mis en place depuis.»

De son côté, la défense a souligné l’extrême isolement de cet homme, sa vie durant. «De plus, il a eu le malheur de tomber sur des harceleurs. Il a cherché de l’aide auprès de ses voisins, il leur a même adressé une lettre dix jours avant l’incendie. Personne ne lui a tendu la main.»

La Cour a tenu compte de ces arguments dans son jugement et a suivi en tout point le Parquet. Le septuagénaire devra s’acquitter des frais de justice, et rembourser ses frais d’avocat d’office s’il revient à meilleure fortune.

Dominique Suter