Jeudi soir, il fallait une certaine dose d’abnégation pour oser affronter la soixantaine d’habitants de Grandson, Fiez et Champagne, réunis à Grandson, et guère ravis de se voir imposer une décharge à côté de chez eux (lire La Région Nord vaudois du 15 novembre).
Nicolas Fawer, ingénieur chez Biolconseils SA, Philippe Veuve, géologue et hydro-géologue à la Direction générale de l’environnement, Antoine Maillard, président du conseil d’administration de Cand-Landi SA et Antonio Vialatte, municipal de l’Urbanisme à Grandson, ont bravé sans sourciller l’ire des habitants.
«Ça vous plairait à vous d’habiter à côté d’une décharge? Croyez-vous que nous arriverons encore vendre nos maisons? Quel bénéfice en tirerons-nous?» Le ton est donné, la soirée va être agitée. Parmi les interrogations arrive immédiatement celle de savoir pourquoi ils n’ont pas été informés en amont de la mise à l’enquête. On sent comme un petit vent de théorie du complot. Pourtant, la soirée et les deux précédentes ont été annoncées sur le site internet de la Commune, dans la Feuille des avis officiels, au pilier public, en tous-ménages, dans le journal La Région Nord vaudois et dans le 24Heures. Sur le fond, tout le monde admet qu’il faut faire quelque chose de nos déchets. Mais quant à savoir où il faut les déposer, c’est toujours mieux chez le voisin! Le fait que le Canton pilote la procédure suscite la méfiance.
Le dossier a été bien ficelé
Une étude d’impact sur la protection de l’environnement, notamment sur la protection de l’air, sur le bruit, sur les vents, etc… a été établie. Le terrain est posé sur une moraine de fond, ce qui garantit l’étanchéité du site. Il est prévu de cumuler une étanchéité artificelle supplémentaire avec des matériaux étanches également, ce qui permettra de garantir la collecte des eaux lors de la phase de chantier. Cette décharge n’accueillera que des matériaux inertes. Il n’y aura aucun produit chimique dangereux. En gros, il s’agit de déchets de chantier et de cendres d’incinération. Le site peut également accepter de l’amiante via une mise en place spécifique. Lorsque le mot «amiante» est prononcé, alors là, ce n’est plus un petit vent, c’est le sirocco qui souffle sur l’assemblée. «Nos enfants ne risquent-ils pas d’être intoxiqués? Nous sommes dans une zone où il y a beaucoup de Joran et de bise», s’inquiètent des mamans. Nicolas Fawer rassure: «Les déchets amiantés seront acheminés en bigs bags – sorte de grands sacs étanches en plastique. Un trou sera creusé dans les matériaux déjà en place et les bigs bags y seront déposés puis recouverts par les autres matériaux. Cela assure qu’il n’y aura pas d’émission athmosphérique de fibres d’amiante et ce, afin de protéger aussi les ouvriers.» Il ajoute: «Les déchets de peinture, de chimie, les boues de STEP, les ordures ménagères, les biodéchets, etc…vont dans des usines spécifiques. Il n’y a pas d’eau, pas de nappe phréatique, pas de glissement de terrain, rien. Donc il n’y a, a priori, aucun risque de pollution.
Autre agacement doublé d’incrédulité lorsqu’un citoyen cherche à savoir quand il pourra voter sur ce projet. La réponse est claire: jamais. «Il s’agit d’une mise à l’enquête d’un Plan d’affectation cantonal. Le citoyen peut s’y opposer formellement, par écrit, en indiquant les raisons de son opposition. Il peut aussi présenter une opposition groupée. Mais une mise à l’enquête ne se vote pas» explique l’élu, Antonio Vialatte.
Des choix mal compris
Voilà déjà plus de deux heures et demie que la discussion est engagée. Les questions fusent mais personne ne se lève pour voir les plans ou consulter le dossier. Le flux de questions commence à ralentir. Nicolas Fawer, avec un calme qui ne l’a jamais quitté, ferme le dossier «terrain» pour évoquer le chemin pris par les camions. Et là, rebelotte! La grogne augmente. A en croire les citoyens, les camions devraient arriver par lévitation. «Le choix du site a été pensé parce qu’il se trouve à proximité d’une autoroute, près d’une gare industrielle, sur un terrain qui est particulièrement adapté à ce type de dépôts en raison de son imperméabilité naturelle, sans milieu naturel de valeur» précisent les scientifiques.
«C’est actuellement une zone agricole. Après l’exploitation, le site sera totalement recouvert avec la terre qui aura été enlevée préalablement. Elle redeviendra zone agricole. L’exploitation est planifiée en six étapes de cinq ans. La remise en état se fera au fur et à mesure de l’exploitation avec un retour à l’agriculture le plus rapidement possible. Des arbres seront plantés et formeront des haies naturelles. Un ruisseau sera créé et longera la parcelle en remettant à ciel ouvert un collecteur d’eau de ruissellement agricole.» Voilà que le fantôme de Bonfol refait surface… «Qu’est-ce-qui nous dit que dans trente ans, on ne va pas nous annoncer que «à l’époque on ne savait pas» ou «nous ne pouvions pas faire autrement»… Ce sont nos enfants qui vont devoir gérer cela…», s’inquiètent des parents.
Trafic de poids lourds
Quant à la circulation induite par l’aller et le retour de 75 camions par jour, là c’est la Confédération qui en prend pour son grade. Les faire passer par la route cantonale qui mène à Champagne est mal perçu. C’est la faute à l’Office fédéral des routes qui refuse que les camions qui auront chargé à la Poissine rejoignent le site par son giratoire. L’accès choisi tient compte aussi de la visibilité pour rejoindre la route cantonale. L’autre accès possible via le passage sous l’autoroute emprunte un itinéraire Swiss mobile destiné aux vélos. L’utilisation de cette route aurait donc demandé un élargissement qui aurait empiété de manière significative sur les surfaces d’assolement. Or, la préservation de ces surfaces est une nécessité dans toutes les procédures.
La boucle est bouclée. Sauf à changer totalement de manière de vivre, il faudra bien s’accommoder de ce type de réalisation.