Marlyse Mayor (en photo) a fait monter toute sa famille sur les crêtes du Jura cette année. Mari et enfants se sont activés pour faire tourner la Grandsonnaz Dessous. Mais cette première année s’avère difficile. Arriveront-ils à retomber sur leurs pattes?
De l’extérieur, difficile de savoir que quelque chose a changé. Pourtant, il y a bien du nouveau sur les alpages des Grandsonnaz. Ce ne sont plus les mêmes vaches et génisses qui profitent de l’air frais du Balcon du Jura. Et surtout, c’est un nouveau locataire qui gère le site. La famille Mayor, de Provence, a repris le bail ce printemps et s’occupe de faire tourner la fromagerie, à la Grandsonnaz Dessous. Et c’est toute une aventure!
Il a d’abord fallu attendre que les locaux soient vidés, puis que la Commune de Grandson, propriétaire des lieux, fasse quelques travaux d’entretien. «Ensuite, on est montés le 30 mai avec les bêtes. Et ce n’est pas rien de garder environ 120 vaches et 90 génisses», assure Marlyse Mayor.
Pour l’aider dans cette nouvelle tâche, l’agricultrice a pu compter sur sa famille. «S’occuper en même temps de la ferme à Provence et de l’alpage, c’est gérable, mais il ne faut pas mettre les deux pieds dans le même sabot… Il y a beaucoup de travail. Ma fille et ma belle-fille sont fromagères, elles sont venues pour prendre en main cette partie, poursuit-elle, précisant que la Grandsonnaz Dessous a le droit de produire 17,5 tonnes de Gruyère AOP. Mon fils est aussi monté, ainsi que mon beau-fils qui a pris un congé sabbatique pour donner un coup de main.» D’ailleurs, chez les Mayor tout le monde a les pieds bien ancrés dans les pâturages, puisque les trois enfants ont choisi des métiers en lien avec l’agriculture. «Il y a juste le dernier qui n’a pas pu venir nous aider car il est encore en formation, confie la maman, heureuse d’avoir pu transmettre sa passion. Même les petits-enfants suivent la même voie!»
Si la Nord-Vaudoise est ravie d’avoir terminé sa saison à l’alpage, elle avoue que tout n’a pas été facile. «Il y a des nuits où on n’a pas très bien dormi… Et ma fille non plus je pense, puisque c’était la première fois qu’elle devait gérer une production de fromage à l’alpage et ce n’est pas la même chose que dans une laiterie de plaine.» Ce d’autant plus qu’il y a un véritable enjeu pour toute la famille. «La production de fromage, c’est notre gagne pain, indique Marlyse Mayor. Au début, on était contents de reprendre le site, mais après cela fait un peu peur de voir qu’on n’arrive pas à se sortir de paie de tout l’été…» Concrètement, comment réussit-on à payer des loyers et à vivre sans aucune entrée d’argent? «On fait des emprunts.»
Dès l’an prochain, la situation devrait être moins tendue pour la famille Mayor car elle devrait renflouer ses caisses dès l’hiver avec la commercialisation de son Gruyère. «Le fin mot de l’histoire sera la vente de nos produits. Une fois que l’on aura ces premiers fonds, on pourra s’organiser pour l’an prochain.»
Et malgré tout, le Covid a permis à la famille de commencer avec un bel été, puisque de nombreux promeneurs se sont baladés sur le massif du Chasseron et se sont arrêtés à la Grandsonnaz. «Le magasin a bien fonctionné», se rassure-t-elle.
De plus, la famille Mayor s’est enlevé un autre poids des épaules: la buvette de la Grandsonnaz Dessus, qui dépend également du bail des Mayor. «Le contrat prévoit qu’on garde les mêmes tenanciers pendant au minimum trois ans. Et de toute façon, on n’était pas intéressés à reprendre ça en plus», admet la Provençoise. Ainsi, pour la septième année consécutive, c’est la famille Oberson, de Bullet, qui est aux fourneaux. Pour elle, le changement à la Grandsonnaz Dessous n’a donc pas vraiment eu d’impact, sauf sur un point: le gardiennage des animaux. «Comme la famille Mayor a ses propres bêtes, c’est elle qui les garde. D’un côté, c’est mieux pour nous car c’est un souci de moins. Mais d’un autre, je n’ai pas eu plus de temps pour moi, ce que j’espérais, et surtout c’est un apport financier en moins», témoigne Sylvie Oberson, qui a fermé les portes de la buvette dimanche.
Elle est redescendue avec le sentiment du devoir accompli: «J’ai l’impression qu’on a eu pas mal de monde cet été, et surtout des nouveaux clients. Après, il faudra voir comment cela se traduit dans les comptes.»
Le coup de gueule d’une famille de paysans
Avant que la famille Mayor ne reprenne les Grandsonnaz, c’était la Société des alpages de Grandson qui gérait le site. Et cela, depuis près de quarante ans. Puis un jour, la Commune de Grandson a décidé de ne pas reconduire le bail. Ce qui a fait jaser les membres de la société. Anthony Perret s’est fendu d’une lettre pour annoncer sa démission du Conseil communal et, au passage, exprimer sa déception.
«Je reste profondément déçu du manque de soutien envers le monde agricole. Je pense qu’il était plus facile pour la Municipalité de soutenir des projets immobiliers avec des ambitions débordantes que de penser un peu plus aux paysans et artisans de Grandson qui, de surcroit, paient leurs impôts dans votre commune, a écrit l’ancien Grandsonnois, devenu aujourd’hui Bavoisan. Je suis très affecté, car après 37 années d’activités d’alpage sur les Grandsonnaz, dont mon père et mon grand-père ont fait partie, nous avons reçu une simple lettre de non renouvellement du bail.»
Et d’ajouter: «Il y avait certainement une autre manière de faire. Ce n’est pas cohérent, voire irrespectueux vis-à-vis des membres de la société. Je pars sans aucune rancune mais la déception restera gravée dans mon cœur.»
«Les agriculteurs de Grandson auront toujours la priorité»
Monsieur le syndic François Payot, comment s’est déroulée la transition entre les anciens et les nouveaux amodiataires?
Pour moi, cela s’est très bien passé.
Pourtant, certains ont eu du mal à accepter la fin d’un bail de trente ans…
C’est vrai que les anciens amodiataires, tous des agriculteurs ou anciens paysans de Grandson, ont exprimé leur déception de ne pas voir leur bail reconduit.
Quel genre d’histoire y a-t-il eu?
La Commune a investi environ 1,2 million de francs il y a quelques années pour remettre aux normes ses alpages, plutôt que de les vendre. Comme on ne peut pas fixer les loyers comme on veut, on a souhaité rentabiliser notre investissement en demandant aux amodiataires de faire de la promotion touristique autour de la vie agricole à l’alpage. L’équipe n’a pas trop fait d’efforts. Elle ne s’en est rappelée que les deux dernières années, après qu’on lui a annoncé qu’on allait mettre le bail au concours.
Ce que vous avez fait?
Oui, mais avant cela, on leur a donné une chance de proposer des activités en signant un bail de trois ans. S’ils confirmaient leurs promesses, on l’aurait prolongé, mais ils ont fait recours et le Tribunal a cassé notre contrat et a imposé un bail de six ans.
Une procédure qui a joué en leur défaveur.
Non car ils ont soumis un nouveau dossier qui avait de très bonnes propositions. Mais on a trouvé une famille de la région (ndlr: les Mayor) qui avaient imaginé plusieurs projets. On nous a aussi confié qu’un alpage tenu par une famille donnait de bons résultats.
Quid des agriculteurs Grandsonnois?
Il faut reconnaitre que leur nombre a passablement diminué ces dernières années. Mais ils auront toujours la priorité s’ils veulent monter leurs vaches aux Grandsonnaz. En revanche, ce sera aux conditions des nouveaux amodiataires.