Exploration artistique – L’architecte d’intérieur Jorge Cañete sonde les frontières de l’imagination à l’aide de l’intelligence artificielle (IA). Une technologie en passe de devenir indispensable dans le milieu de la création architecturale et du design, selon lui. Rencontre.
L’avènement de l’intelligence artificielle touche de plus en plus de domaines, à un rythme toujours plus soutenu. Une technologie qui suscite autant de craintes que d’admiration tant les possibilités offertes semblent vertigineuses, notamment dans le domaine de la création culturelle, avec l’apparition ex nihilo de livres entiers, de musiques ou d’images pouvant reprendre le style d’artistes parfois décédés.
Les dérives de l’IA sont multiples, tout comme les possibilités qu’elle offre pour affronter les problèmes de demain (voir La Région du 31 octobre 2023). Pour sa part, Jorge Cañete a décidé de regarder les bons côtés de cette technologie en plein boum. Cela fait en effet plusieurs mois que l’architecte d’intérieur, basé à Grandson et maintes fois récompensé à l’international, utilise le logiciel indépendant Midjourney dans son travail.
Jorge Cañete, pourquoi utiliser l’IA dans votre travail d’architecte d’intérieur?
Parce que c’est un outil prodigieux, révolutionnaire! Imaginez que vous venez de faire un rêve incroyable. Il vous faudrait des heures pour le coucher sur le papier. L’IA, elle, peut le mettre en images en quelques secondes. Grâce à Midjourney, on peut explorer des territoires incroyables, des horizons créatifs captivants. C’est un outil qui nous fait rêver, et ça tombe bien, car c’est notre métier de faire rêver les gens.
Concrètement, comment cette technologie s’intègre-t-elle dans votre travail?
L’IA intervient uniquement lors du processus créatif. Midjourney permet de mettre en images, en seulement quelques secondes, une idée qu’il me serait impossible de dessiner à la main. Par exemple, j’ai eu il y a quelques jours l’idée d’une salle illuminée remplie de plexiglas de différentes couleurs. Grâce à l’IA, j’ai pu visualiser très rapidement cette idée, et de manière très concrète (image ci-dessous). Et c’est aussi un formidable outil de communication, bien plus efficace que les mots ou un croquis. Avec Midjourney, je peux montrer à un client un résultat très concret sur lequel on peut se baser pour discuter de futurs projets.
Sentez-vous que l’IA fera partie intégrante de votre métier à l’avenir?
Absolument. Je compare ça à l’autre grand bouleversement du métier d’architecte, lorsque le travail à la main a été remplacé par les logiciels informatiques. A l’époque, on se méfiait des ordinateurs. Aujourd’hui, ils sont à la base du métier. Et maintenant, je pense que nous allons devoir de plus en plus intégrer les IA. C’est l’avenir pour les designers, les architectes, voire pour n’importe quel métier, dans les montres, les bijoux, la mode, même les pâtisseries. Le champ des possibles est inimaginable.
Ne pensez-vous pas que l’artiste, le designer ou l’architecte se retrouveront supplantés par la machine?
Le logiciel est puissant, mais il ne travaille pas tout seul. Nous sommes le moteur qui permet au logiciel de fonctionner. Il ne fait que décupler nos possibilités, nos idées. C’est comme un livre de cuisine: il nous apporte de l’inspiration pour nos propres créations, en amenant des recettes qui existent déjà. Ce n’est pas une machine automatique avec laquelle il suffirait d’appuyer sur un bouton pour que tout se fasse automatiquement. C’est un outil, et comme pour tous les outils, si l’utilisateur n’est pas entraîné, le résultat sera mauvais. Il faut avoir un grand bagage de connaissances, de références, de compréhension des différentes matières pour maîtriser l’IA.
Votre travail a été reconnu lors de nombreux concours, à Londres, Paris ou New York. Maintenant que vous vous tournez vers les IA, n’avez-vous pas peur que leur utilisation ne muselle votre créativité, voire détourne les gens de votre travail?
Non. Comme je l’ai dit, c’est un outil qui intervient uniquement lors de la phase de création, pour avoir des idées, des inspirations. C’est un instrument pour visualiser des concepts, mais qui ne va pas impacter le reste du métier. Il nous offre des images desquelles nous pouvons nous inspirer, mais que nous ne pouvons pas utiliser tel quel. Midjourney donne des résultats rapidement, mais si on veut obtenir un résultat léché, il faut y mettre du temps et du travail.
On parle des problèmes suscités par les IA, les utilisations abusives de ChatGPT, les deepfakes, etc. Leur utilisation comporte-t-elle un risque selon vous?
Le risque avec Midjourney, c’est de devenir obnubilé par le logiciel. Les possibilités sont tellement infinies qu’on peut rester sans fin sur un même projet, en demandant continuellement au programme de nouvelles images. Il faut donc savoir quand arrêter l’outil, quitter la phase créative pour se tourner vers le réel. Un autre enjeu réside selon moi dans le droit d’auteur, qui reste une partie encore très floue dans l’utilisation des IA. Je peux demander à Midjourney de s’inspirer du style d’un artiste vivant, si on reste dans le domaine de la création ça va, mais la frontière est vague quand on entre dans le domaine commercial. Il va falloir statuer très vite sur ces questions, surtout que la technologie en est encore à ses balbutiements.
Infos pratiques
Jorge Cañete propose plusieurs ateliers autour du design d’intérieur, avec notamment une journée dédiée à l’utilisation du programme Midjourney.
Prochaine date: Samedi 25 novembre. Journée intensive de 8h45 à 17h30. En français ou en anglais sur demande.
Où: Galerie Interior Design Philosophy, Grandson, rue Haute 36.
Informations et dates des différents ateliers sur son site.