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«C’était effrayant et très pénible»

5 novembre 2013

Le procès de l’affaire Skander Vogt s’est ouvert, hier matin, à Renens. Une première journée durant laquelle les gardiens ont, notamment, raconté dans quel climat s’est déroulée la soirée du drame.

Public et journalistes se pressaient à l’entrée de la salle du tribunal.

Skander Vogt était un détenu particulier. «Une personne lourde à gérer», ainsi que l’a décrit l’un des surveillants du pénitencier de Bochuz qui, depuis hier matin, est jugé par le Tribunal d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, exceptionnellement délocalisé à Renens pour des raisons de place. Un homme qui partage le banc des accusés avec deux autres collègues, un surveillant sous-chef, l’ancienne directrice de la prison du Bois-Mermet, un infirmier, deux ambulanciers et un médecin du SMUR.

Une position désagréable qui fait suite à la mort du détenu Skander Vogt, dans la nuit du 10 au 11 mars 2010. Soit la fameuse soirée durant laquelle, peu avant avant 0h50, ce dernier, alors âgé de 30 ans, a bouté le feu au matelas de sa cellule à la prison de Bochuz. Cet acte lui coûtera finalement la vie. Son corps, inanimé, a été extrait de la pièce enfumée près de deux heures plus tard. Personne, parmi les accusés, n’a pris la décision d’approcher Skander Vogt avant l’arrivée du Détachement d’action rapide et de dissuasion de la Gendarmerie (DARD). Et ceci malgré le danger évident de la situation pour la vie du détenu.

Cette attitude n’a rien de pénalement répréhensible, selon les avocats des accusés, qui estiment que leurs clients n’ont fait qu’appliquer la procédure, alors que l’acte d’accusation retient l’homicide par négligence, l’exposition et l’omission de prêter secours. Le Tribunal aura trois semaines pour trancher. Une tâche à laquelle ce dernier, présidé par Erica Riva Annaheim, s’est donc attelé hier.

Durant cette première journée d’audience, après la lecture de l’acte d’accusation par la présidente, l’auditions des trois surveillants a permis de prendre, d’abord, la mesure du climat particulier qui régnait au sein de la section de haute sécurité du pénitencier de Bochuz durant la nuit du drame.

Une soirée durant laquelle Skander Vogt était «très énervé», selon deux des surveillants. Cet état faisait, notamment, suite au refus de la part du personnel de répondre à une demande du détenu. «Parce que, en tant que gardiens, nous ne pouvions de toute manière pas lui rendre sa radio et ses gants», ont expliqué les accusés.

La situation était suffisamment tendue pour qu’elle pousse l’un des surveillants, peu avant 22h, à demander au surveillant sous-chef, qui terminait alors son service, de rester à la prison. Ce qui représente «une situation tout à fait exceptionnelle », selon les trois agents pénitentiaires. Mais le sous-chef refuse de rester, car Skander Vogt était agité depuis plusieurs heures et qu’il assurait de toute manière le service de piquet depuis son domicile.

Cette décision, ajoutée aux insultes, aux menaces de mort et d’incendie, que profère Skander Vogt, par le biais d’un interphone -toujours au sujet de ses gants et de sa radio qui lui a été retirée en raison de précédentes agressions physiques-, rend la situation très anxiogène, selon l’un des gardiens : «C’était effrayant et très pénible».

Le climat s’alourdit avec la pression induite par l’incendie qui a lieu dans la cellule de Skander Vogt. Un sinistre qualifié sur le moment de «petit feu de poubelle qu’on peut éteindre avec une lance à incendie», et ce malgré le fort dégagement de fumée, selon le premier surveillant, lorsqu’il a été interrogé sur la gestion du sinistre. Il était à la centrale et pouvait évaluer la situation sur un écran de vidéosurveillance.

Pompiers alarmés tardivement

Ce surveillant confirme avoir contacté le surveillant sous-chef qui lui a demandé s’il avait alarmé les pompiers, ce à quoi il a répondu par la négative. Le supérieur lui a alors indiqué qu’il allait se déplacer à la prison et qu’il les aviserait une fois sur place. Une attitude que le procureur a reproché, à plusieurs reprises durant l’aprèsmidi, aux membres du personnel pénitentiaire.

Les débats se sont poursuivis jusque dans la soirée. Ils ont porté entièrement sur le détail de l’attitude de chacun des gardiens pendant l’incendie. Le procureur, Sébastien Fetter, reproche notamment aux accusés de s’être peu souciés de l’état de santé du détenu, et ceci malgré le fait qu’ild ont reconnu l’importance du dégagement de fumée. Une fumée d’autant plus difficile à maîtriser que la fonction désenfumage de la ventilation du bâtiment était alors en panne.

Deux des gardiens et le surveillant sous-chef, avaient, par ailleurs, tous fait partie de corps de pompiers.Le procès doit se poursuivre aujourd’hui avec la suite des auditions des prévenus.

 

Une épreuve difficile pour les accusés

Pour l’avocate Antonella Cereghetti Zwahlen (photo), qui assure la défense de l’un des surveillants, ce procès «a débuté dans une bonne ambiance, même si l’épreuve est très éprouvante pour tous les accusés».

Pour la femme de droit qui «plaidera l’acquittement» comme tous les avocats de la défense, rien, dans le dossier, ne permet de démontrer la culpabilité de son client. Et rien, non plus, ne prouve que Skander Vogt aurait pu survivre à l’incendie si les accusés avaient agi de manière différente.

Raphaël Muriset