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«Un jeune violent est malheureux»

22 janvier 2014

Un peu moins d’une semaine après la mort tragique de D., à la place Bel-Air, l’éducatrice de rue de la Ville d’Yverdon-les-Bains, Monique Maillard-Jan, nous livre son regard sur la violence d’une certaine jeunesse.

L’éducatrice de rue Monique Maillard-Jan.

L’éducatrice de rue Monique Maillard-Jan.

«Ils sont surtout dans la compassion, ils se posent beaucoup de questions et pensent à la douleur des familles des protagonistes. Beaucoup se demandent comment leurs parents réagiraient s’il devait leur arriver une chose pareille», explique Monique Maillard-Jan, une éducatrice de rue de la Ville d’Yverdon-les-Bains.

«Ils», ce sont ces jeunes d’Yverdon-les-Bains qu’elle côtoie au quotidien. Ces adolescents qui, par dizaines, depuis la mort de D., ne cessent de déposer des fleurs et des petits mots sur la place Bel-Air. Ces gamins parmi lesquels figurent des amis de R., l’auteur du coup de poing qui a, hélas, fini par dérober une vie.

Des jeunes dont beaucoup peinent encore à réaliser la gravité des événements. «Certains m’ont dit qu’ils engueuleraient R., quand il reviendra, en imaginant que cela sera la semaine prochaine. Ils ne se rendent vraiment pas compte qu’il va devoir passer quelques temps en prison», poursuit Monique Maillard-Jan qui, bien que très touchée par le drame, refuse de laisser dire que la Cité thermale est devenue un lieu infréquentable, un prétendu Bronx de la Suisse romande.

«Non, je ne pense pas qu’il se passe plus de choses ici que dans des villes comme Vevey ou Montreux. Au contraire, depuis onze ans, je constate plutôt même une baisse des événements de ce type à Yverdon. Par exemple, on a réussi à sortir de ces histoires de bandes rivales entre quartiers. Par contre, c’est vrai que lorsqu’il se passe quelque chose, c’est souvent très violent», déplore l’éducatrice.

Peur de l’avenir

Un triste constat dans lequel beaucoup ont leur part de responsabilité, selon l’éducatrice. «Je pense qu’on a une jeunesse à l’image de notre société», analyse Monique Maillard-Jan, qui ne veut en aucun cas relativiser la gravité du drame de la place Bel-Air. «D’ailleurs, je trouve très bien que même ceux qui ont incité R. À passer à l’acte soient sévèrement punis. Mais je suis aussi certaine qu’un jeune violent est un jeune terriblement malheureux».

Le fait est que beaucoup de ces adolescents qui «traînent» à la place Bel-Air ont de la peine à se projeter dans l’avenir, et ce tant au niveau professionnel que relationnel. «Aujourd’hui les places de travail sont très chères et beaucoup ont usé tous les moyens de réinsertion. Et puis, parfois, les parents ne sont que peu présents, notamment car ils doivent souvent cumuler les emplois pour tourner. Alors ça n’excuse rien, mais cela crée beaucoup de frustration chez ces jeunes.»

Travail sur la tolérance

Un sentiment qui, malheureusement, à Yverdon-les- Bains comme ailleurs, se traduit donc parfois en ultra-violence, que certains jeunes ont tendance à extérioriser sur tout ce qui est différent, sans forcément parler de nationalité ou de religion. «Cela peut être, par exemple, quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, qui s’habille autrement, qui fait partie d’un autre club de foot ou d’une autre école de musique… », regrette Monique Maillard-Jan.

Une agressivité gratuite dont le jeune D. A malheureusement payé le prix fort. Une mort dont il est aujourd’hui important, pour l’éducatrice de rue, qu’elle ne reste pas vaine. «Nous devons encore réfléchir sous quelle forme, mais il est impératif que ce tragique événement puisse servir de levier pour mettre sur pied un travail autour de la tolérance et la violence. Oui, il faut que la mort de D. Puisse au moins servir à quelque chose… »

Raphaël Muriset