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On fait tout un fromage de la période estivale au chalet de la Poyette

10 septembre 2013

La famille Poncet nous a donné rendez- vous pour parler de la fabrication du gruyère, à laquelle elle s’attèle chaque été depuis de nombreuses années.

Le chalet d’alpage de la Poyette, qui appartient à la Commune de Ballaigues, sert de résidence d’été aux Poncet en période de fabrication de fromage.

Il fait bon prendre de l’altitude pour échapper aux brumes matinales accrochées au plateau nord- vaudois en ce matin d’arrière-été. Etienne Poncet sort du chalet de la Poyette, au-dessus de Ballaigues, où il élit domicile avec les siens à chaque période estivale. «J’amène mes filles à l’école», lance-t-il. Délestées de leur lait, les quelque 55 vaches sont allées brouter non loin de la France voisine, alors que des poules s’ébattent devant la bâtisse.

Henri, le père d’Etienne, se trouve dans la pièce réservée à la fabrication du gruyère, qu’on atteint en traversant la cuisine. Face à lui, deux chaudières en cuivre, d’une capacité de 1350 litres chacune, vont contribuer à produire les cinq meules de gruyère de l’alpage de la Poyette de la journée à partir du lait issu des traites de la veille et du matin.

Les vaches sont traites tôt le matin (vers les 5 heures) et en fin d’après-midi (aux alentours de 16h- 17h).

Fromager depuis plus d’un demi-siècle, Henri Poncet a transmis le flambeau à son fils. Toutes ces années d’activité lui ont permis de vivre un grand nombre de changements dans toutes les étapes d’une tradition artisanale où la technologie a fait une irruption massive. La traite, tout d’abord. Réalisée à la main jusqu’à l’aube des années 70, elle a été remplacée par une machine à traire déversant le lait dans des pots. Grâce à une installation inaugurée cette année, le précieux liquide est désormais acheminé directement vers les chaudières, un gain de temps de deux heures pour les Poncet, maintenant que leurs protégées bovines s’y sont faites.

Extrait à la main jusque dans les années 70, le lait est directe- ment acheminé aux chaudières depuis cette année.

«Les vaches doivent attendre à l’entrée de la salle de traite, puis elles ressortent de l’autre côté une fois l’opération effectuée. Au début, nous avons fait appel à nos cousins pour nous prêter main forte, car certaines sortaient de la file», indique Etienne.

Réceptacles du produit de la traite, les deux chaudières à vapeur ont remplacé en 2000 le chaudron placé sur le feu, qui demandait de se consacrer matin et soir à la préparation du fromage. Henri Poncet surveille le caillage du lait sous l’effet de la presure, une poudre à base de caillette de veau à effet coagulant.

Au moyen d’une poche, Etienne Poncet vérifie la taille des grains de caillé, qui doivent équivaloir un grain de blé.

Un instrument issu du savoir-faire régional l’aide dans sa tâche : «L’inventeur de ce thermomètre habite à côté de Cuarnens. Il sonne en continu quand le lait est caillé», indique le vétéran du gruyère. Un premier signale sonore indique que le processus, d’une durée d’environ quarante minutes, touche à sa fin. Un bras métallique duquel part une sorte de grille composée de fils -le tranche- caillé- doit ensuite être installé au-dessus de la chaudière. Le mouvement rotatif de l’hélice à laquelle il est fixé permettra de couper le caillé jusqu’à ce qu’il atteigne la taille de grains de blé. De retour de sa course matinale, Etienne Poncet fait des pointages réguliers au moyen d’une poche (voir photo en bas à gauche). Quasi sans échanger un mot, père et fils accomplissent leurs tâches respectives, respectant un programme journalier devenu machinal au gré des répétitions.

A plus de septante ans, Henri Poncet s’occupe des «détails», tels que la réalimentation en bois du chauffage.

Il faut ensuite brasser le gruyère en devenir environ un quart d’heure et le chauffer à 48-50 degrés pendant 40 minutes. Le contenu de la deuxième chaudière, dans laquelle le processus de fabrication a été lancé à 6h30, arrive d’ailleurs au terme de cette étape. Après sept à huit minutes de brassage, le petit lait est aspiré par une pompe (substitut de la toile plongée à la main dans le récipient à lait) et transféré vers l’arrière-salle, à travers un tuyau, vers les deux moules qui serviront à façonner les meules du jour. Le petit lait goutte dans une cuve. Il sera écrémé dans sa totalité via une centrifugeuse, une acquisition récente des Poncet, pour fabriquer du beurre, environ trois kilos par fromage.

Sous l’oeil attentif de son père, Etienne Poncet nettoie la chaudière en cuivre avec une poudre spécifique.

«S’il reste de la crème, nous l’écoulons à la laiterie de Ballaigues», précise Henri Poncet. Une autre partie du lait écrémé sert à fourrager les cochons, vers lesquels une autre pièce de tuyauterie conduit. Quant aux moules, il sont entreposés sur une étagère en face de la cuve. Le fromage est démoulé et amené à la cave au petit matin.

Chaque meule est identifiée au moyen du numéro d’agrément de la fromagerie.

«Nous avons perdu le droit à l’appellation gruyère d’alpage, car nous ne mettons pas de toile sur toutes les surfaces du fromage. Nous aurions dû tourner les meules quatre fois par jour et engager du personnel », relève Etienne Poncet, qui ne cache pas que la décision de renoncer à l’appellation d’origine protégée a été sujette à discussion.

Les Poncet réceptionnent le lait acheminé depuis la chaudière dans des moules pour façonner les meules.

Vendu moins cher que le L’Etivaz, le gruyère de l’alpage de la Poyette est fabriqué avec des moyens technologiques ayant fortement amélioré le confort des Poncet, dont la production s’élève à 22 tonnes en moyenne par saison. Ce résultat ne va selon toute vraisemblance pas être atteint cette année, en raison du retard pris en début d’exercice. «Nous avions un déficit de 40 meules au 1er août. Il a fallu donner 500 kilos de foin aux vaches car l’herbe était rare et les pâturages avaient été retournés par les souris et les taupes», indique Henri Poncet.

Les fromages sont entreposés dans la cave pendant une semaine à dix jours. Etienne Poncet les nettoie au quotidien.

Les conditions difficiles ne semblent pas avoir entamé le moral d’ Etienne et Henri, dont le bonheur de se retrouver dans ce coin de nature jurassienne se devine en permanence. Le mois d’octobre venu, il faudra toutefois songer à redescendre pour fermer la parenthèse d’une tradition estivale inscrite dans l’ADN des Poncet.

Ludovic Pillonel