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Quand la région a évité son Tchernobyl

20 janvier 2014

Il y a 45 ans, la centrale nucléaire expérimentale de Lucens frisait la catastrophe. Un événement peu connu.

Deux collaborateurs s’attellent à démanteler l’une des nombreuses pièces du réacteur. Cinq ans ont été nécessaires pour nettoyer l’entier du site.

Deux collaborateurs s’attellent à démanteler l’une des nombreuses pièces du réacteur. Cinq ans ont été nécessaires pour nettoyer l’entier du site.

Le 21 janvier 1969 aurait pu devenir un jour noir dans l’histoire récente de la Suisse. Alors que la centrale nucléaire expérimentale de Lucens (CNEL) démarrait officiellement la première exploitation de l’énergie fissile entièrement suisse, dans une caverne aménagée à proximité du village, une série d’incidents se succédèrent dans les installations, provoquant diverses explosions et la libération d’un certain nombre d’éléments radioactifs en dehors de l’enceinte de confinement du réacteur nucléaire. Une situation critique qui sera rapidement maîtrisée par les employés du site dont le sang froid aura permis de déclencher l’arrêt d’urgence du système et de refroidir le combustible à des températures raisonnables. Initiée depuis le début des années 1950, l’aventure nucléaire suisse ne s’était concrétisée que depuis quelques heures qu’elle tombait aussitôt aux oubliettes.

Une longue galerie permettait l’accès au coeur du CNEL, sous la colline.

Une longue galerie permettait l’accès au coeur du CNEL, sous la colline.

Peu de gens se souviennent encore de cette épisode dont les conséquences auraient pu être terribles pour toute la région et l’ensemble du pays, sans une gestion de crise couronnée de succès. Cette méconnaissance, certainement liée à l’opacité régnant autour de la question nucléaire en Suisse, se dissipe peu à peu avec le temps et revient aujourd’hui sur le devant de la scène en raison d’une conjoncture politique peu favorable à l’énergie nucléaire. Ainsi, en novembre 2011, le conseiller national Pierre-André Gaille interpelle le Conseil d’Etat et s’interroge sur la lenteur de la prise en charge de la centrale après l’accident et l’impact réel de ce dernier sur l’environnement. En effet, il aura fallu attendre dix ans avant que le rapport d’enquête sur l’accident de Lucens ne voie le jour et aucune étude n’a été réalisée par la Confédération ou le Canton auprès de la population et de l’environnement.

Une catastrophe évitée de peu

Classé au niveau 4 (sur 7) de l’échelle internationale d’évaluation des événements nucléaires (INES), l’accident de Lucens fait pourtant partie des incidents les plus sérieux dans le domaine du nucléaire civil dans le monde. En 2009, Moritz Leuenberger, alors conseiller fédéral et ministre de l’énergie, entame un virage politique en critiquant officiellement le manque d’information communiquée par les autorités de l’époque, qui auraient dissimulé et évacué sans commentaire la dimension réelle de cette «catastrophe évitée de justesse».

La Suisse aura été indépendante sur le plan nucléaire... l’espace d’une journée.

La Suisse aura été indépendante sur le plan nucléaire… l’espace d’une journée.

Le rapport d’enquête de 1979 conclut, lui, que les causes du sinistre ont été dues à un défaut dans le système de refroidissement qui provoqua une surchauffe du système et la fusion d’un des éléments du réacteur. Celle-ci libéra de l’eau lourde et un mélange en fusion de magnésium et d’uranium dans la caverne. Fort heureusement, une faible quantité de substances radioactives sera toutefois dégagée grâce à l’arrêt d’urgence du réacteur. Dès lors, les effets radiologiques sur le personnel et l’environnement seront considérés comme négligeables par les experts de la commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires.

Achevés en 1974, les travaux de démantèlement du site se sont ensuite écoulés sur de longs mois et ont permis de dépolluer les lieux qui servent désormais de dépôt cantonal des biens culturels. Malgré sa courte existence, le nucléaire suisse aura tout de même eu le mérite de former un grand nombre de spécialistes, toujours actifs dans le domaine du nucléaire civil.

 

Benjamin Fernandez